We’ll pretend that we have forgotten 

Entre la langue et l’esprit se dresse la colonie, une figure du père ou de la mère en un jeu enchaîné des tendresses : on fera avec les déterminants comme on espèrera s’en remettre à la force aveugle de l’océan.

Bien plus que notre nom (cette dernière trace de l’écriture des dieux), bien plus que la fable que l’on se récite descendue la nuit, le langage se chargera d’arbitrer nos humeurs.
La tyrannie qu’il nous impose ne peut se comparer à rien d’aussi sévère; à part peut-être aux mouvements nerveux qui décident de nos gestes et font vaciller notre pas (et par là je parle d’une danse physique, le corps en guerre contre le monde).

Pour en revenir au langage, c’est l’absolue contrariété.
On changera de nom, on pourra envisager celui de sa mère, quitte à risquer de se faire foudroyer par les dieux comme un héros tragique d’un désespoir tranquille ; mais le langage, ça, même s’il épouse à une époque les contours du meurtre, lui, on ne peut que l’oublier. En tout cas on fera tout comme ; car on soulignera le silence par le cri, on invoquera à raison la vertu, ce stratagème soufflé par certains qui se parent d’un mystère que nous aurons appris à leur place.
Nous crânerons, absolument ; car au sens inverse se pourrait cartographier ce qui use nos semelles.

Nicolas Langlois dit Ker :

Je suis né en 1970 à Phnom-Penh (Cambodge) d’un père orphelin béarnais, Fernand Langlois, et d’une mère aristocrate cambodgienne, Chon Ker, baptisée Aline Ker par les soeurs catholiques.
Ma mère me parle en cambodgien, mon père en français; il semblerait que j’étais très heureux, mais peut-être est-ce une légende familiale.
En 1975 Pol-Pot s’empare du pouvoir et commence par assassiner l’entourage du roi Sihanouk (dont ma famille) afin de l’isoler tout en le préservant comme symbole utile, tout comme on peut parler d’idiot utile.

Ma soeur, ma mère, mon père et moi sommes rapatriés par le consulat français. Une roquette rate l’avion au décollage du tarmac, une trace éphémère s’inscrit au ciel. Le reste du monde est mort.
Maman me croit devenu fou, je ne lui réponds plus. Elle comprendra au bout d’une semaine que j’ai oublié en une nuit la langue khmère.
Je changerai de chaîne dès que je l’entendrai parler cette langue, je ne supporte pas les insectes carnivores, j’aurai trop peur de les comprendre.

Je suis en guerre ouverte contre mon corps et mon âme; d’où proviendrait donc ce « je », si ce n’était du coeur de ce langage déchiré ? Ce n’est rien de l’affirmer, cela souligne l’indécence d’un verbe ployant sous une histoire trop lourde, c’est nul.

Alors qu’est-ce qu’un langage oublié ?
Tout ça est, c’est quoi ?
Les images floues d’une synesthésie bégnine, des mots dessinés à la surface du monde et perçus si clairement au travers de l’eau : une chaussure dépareillée posée là sur le bitume, une photographie au contraste aveuglant, des papiers froissés au vent, une infinité d’écho s’écrasant aux confins de l’univers, là où pourrait se tenir Dieu, aveugle, sourd et muet.

On invoquera l’oubli pour se croire légitime. Il faudra pourtant entendre que tout est vrai.
Afin de se rassurer, on affirmera que seuls importent les phénomènes; le masque absolu de la vérité qui estompe tout, jusqu’à ses contours, une vérité qui se parerait des atours de la dignité. C’est vrai ! Peut-être…

La poésie tue la réponse, à nouveau.

 

Un commentaire

  1. Bonjour,
    Il est vrai que la période Khmer Rouge a été terrifiante et je l’ai moi-même vécue. Mais il ne faut pas confiner le Cambodge dans cette image de pays en guerre et miné.
    25% de sa population est jeune et se tourne vers un rêve d’avenir à l’image projeté par les pays Européen.
    Aujourd’hui, je suis revenu au Cambodge comme guide francophone sokmonorom.com à Angkor. Ce sont mes racines même après 20 ans en France.
    Merci.