Cynisme ou incompétence ? Le comité du patrimoine mondial de l’UNESCO a confié début juillet sa présidence à la Turquie. Une décision qui est pratiquement passée inaperçue, et pourtant… Comment en effet ne pas s’étonner que cette vénérable institution, qui a notamment pour charge d’inscrire ou de retirer les sites sur la liste du patrimoine mondial et de vérifier leur bonne conservation, puisse nommer à sa direction un Etat génocidaire et négationniste qui n’a eu de cesse de procéder à l’annihilation de l’héritage culturel des populations assassinées par ses soins ? On ne compte plus les églises détruites, transformées en étables ou en mosquées. Pour l’une d’entre elles restaurée in extremis à Aghtamar (sur le lac de Van) – du fait des pressions internationales – ou une autre à Diyarbakir – grâce aux capitaux arméniens et au courage d’un maire kurde – combien de monuments et de biens ont-ils été spoliés, saccagés, rasés ou dénaturés dans le but de gommer toute trace de la présence des Arméniens dans leurs territoires historiques ?[1]

Outre le négationnisme, cette entreprise de « purification culturelle » de l’Asie Mineure constitue la continuation politique du génocide de 1915. Aussi ne peut-on qu’être abasourdi par cette décision de l’UNESCO, qui intervient de surcroît l’année de son centième anniversaire. « La Turquie » qui a le triomphe modeste « continuera d’user de sa douce puissance culturelle sous le toit de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture », a déclaré le ministère turc des Affaires étrangères. Et ce, quelque mois après que Hakki Akil, ambassadeur de Turquie en France a fait annuler (le 30 mars) une exposition dans cette même structure du photographe Jean Morh, au motif qu’elle comprenait des clichés pris au moment de l’invasion de Chypre par les troupes turques…[2] Faut-il également rappeler le lobbying systématique de cet Etat  contre le patrimoine arménien, qui s’était notamment traduit en juin 2011 par la censure d’un événement consacré aux Khatchkars (croix de pierre) dans l’enceinte de l’UNESCO?[3]

Les autorités turques qui ont relancé le 16 juillet le projet d’urbanisme sur le parc emblématique de Gézi, dont la destruction avait entraîné des protestations massives en juin 2013, ne manqueront pas d’apprécier à sa juste mesure cette distinction pour le moins provocatrice.

Quant à l’UNESCO, qui n’en est plus à quelques errements près (on se souvient, entre autres, de la « suspension » de l’exposition « Le Peuple, le Livre, la Terre » en janvier 2014), elle ne sort pas grandie par cette nomination qui constitue un non-sens par rapport à ses objectifs proclamés. Comment ne pas y voir le témoignage d’un aveuglement, voire d’un mépris ouvert à l’égard de toutes les victimes de l’Etat ainsi promu à la tête de cette mission de sauvegarde culturelle, raison d’être de l’organisation ?


 

[1] Voir entre autres les sites suivants :

Le communiqué du Collectif 2015 (Union Internationale des Organisations Terre et Culture)
Le Génocide blanc continue (Repair)
La confiscation des biens et la destruction des monuments historiques comme manifestations du processus génocidaire (Imprescriptible)
L’annihilation du patrimoine arménien de Turquie, par Haroutioun Khatchadourian (Le Monde)
Génocide culturel (The Armenian Genocide Museum-Institute)
Cimetière de Djoulfa (Wikipédia)

[2] L’ambassadeur de Turquie en France fait annuler une expo photo à l’Unesco (Nouvelles d’Arménie)

[3] Paris : Censure à L’Unesco (La Règle du jeu)

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