Devant la caméra de la BBC qui le filme le 11 juillet 1995 dans sa chambre d’hôtel, lors d’une tournée en Afrique, le secrétaire général des Nations unies, Boutros Boutros-Ghali, reconnaît qu’à Srebrenica l’ONU vient d’être « humiliée et abusée » et qu’« elle devra vivre avec cela ». Puis d’ajouter : « Mais dans quelques jours, tout cela appartiendra au passé. » Aujourd’hui, Srebrenica figure, aux côtés d’Auschwitz – paradigme de la barbarie humaine – et du massacre de la forêt de Katyń, parmi les épisodes les plus sombres de la mémoire commune de l’Europe.
Il y a vingt ans, les forces serbes commandées par le général Mladić s’emparaient de la bourgade de Srebrenica et exécutaient de sang-froid quelque huit mille hommes et adolescents dont la survie même faisait entrave au projet de purification ethnique des territoires de la défunte Yougoslavie, entamé dès 1991 en Croatie et dont la mise en œuvre s’est poursuivie, à partir de 1992, en Bosnie-Herzégovine. Deux instances judiciaires internationales – le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la Cour internationale de justice – ont depuis qualifié ce massacre de génocide. Avec le Rwanda, Srebrenica symbolise l’un des chapitres les plus douloureux de l’histoire de la diplomatie occidentale de la fin du siècle passé.
De cette barbarie, les dirigeants serbes de l’époque et les forces sous leurs ordres sont les coupables. Mais au-delà de cette responsabilité première, il y a celle de la communauté internationale. L’échec des Nations unies à Srebrenica est évidemment celui des États au sein du Conseil de sécurité, au premier rang desquels la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, tous trois impliqués dans le règlement du conflit. La chose est entendue. Pour autant, les trois grandes puissances ont décliné toute responsabilité, concédant uniquement avoir commis des erreurs. Celles de n’avoir envisagé ni l’hypothèse de la prise de Srebrenica, ni celle des charniers et de ne pas s’être donné les moyens de conjurer le retour du génocide en Europe.
Pour la première fois de son histoire, le Conseil de sécurité des Nations unies avait pourtant autorisé l’emploi de la force pour protéger les populations promises aux exactions en Bosnie-Herzégovine. Y compris par la voie des avions de l’Otan. Ce n’est donc pas dans l’absence d’instruments juridiques ou militaires qu’il faut chercher les raisons de cet échec. Les racines du drame de Srebrenica ne se trouvent pas non plus dans l’absence de volonté politique de la France, du Royaume-Uni, des États-Unis, ou des dirigeants bosniaques eux-mêmes. C’est pourtant ce que se sont cantonnés à dire depuis vingt ans tous les rapports institutionnels consacrés à cette douloureuse question : le rapport de l’ONU, celui de l’Institut néerlandais d’études militaires ou de la mission d’information parlementaire française.
La responsabilité de nos États est finalement beaucoup plus grave. C’est ce qui ressort de la reconstitution minutieuse du processus diplomatique dans les semaines qui ont précédé le drame. Un travail d’enquête entamé depuis de longues années, facilité par l’accès récent à une partie des archives internationales, notamment américaines, mais qui a supposé aussi d’écumer des milliers de pages à la recherche des informations ayant échappé à la vigilance des services chargés de les déclassifier.
Londres, Paris et Washington n’ont rien fait pour empêcher ce qui était en train d’arriver, même une fois en avoir pris connaissance. Malgré les démentis, cette vérité hante, depuis deux décennies, la conscience européenne et internationale. Nous soupçonnions un calcul ô combien politique, visant à éliminer les derniers obstacles à la paix et à simplifier la négociation diplomatique. Srebrenica est bien tombée au nom d’une raison d’État qui se trouvait dans ces capitales et sans doute à Sarajevo. Mais ce sera aux Bosniaques d’examiner la pertinence des choix effectués par leurs propres dirigeants pendant la guerre et, tout particulièrement, en 1995. Le moment est venu, pour eux aussi, de crever ce douloureux abcès.

Nous ne pouvions cependant pas prouver que la France, le Royaume-Uni et les États-Unis avaient activement favorisé la disparition de ces territoires qu’on savait être les ultimes buts de guerre serbes. Cette enquête démontre désormais comment et pourquoi les trois puissances ont négocié l’abandon de Srebrenica et, par ce marché de dupe, sont devenues les facilitateurs du dernier génocide du XXe siècle.

La politique étrangère consiste à rechercher des solutions dans des conditions difficiles, avec des adversaires, voire des ennemis. D’aucuns assurent, tel Hubert Védrine, que « la realpolitik a fait couler moins de sang dans l’histoire que l’idéalisme ». La politique du réalisme n’est pourtant pas toujours synonyme de bon sens ni même de sagesse. Elle peut vouloir aussi dire lâcheté, cynisme et trahison de nos valeurs fondamentales. Srebrenica est l’illustration de cette autre barbarie, celle qui est froide, glacée, celle du calcul, qu’évoque Edgar Morin lorsqu’il parle de l’économie mais qu’il pourrait appliquer à la politique étrangère.

 

4 Commentaires

  1. Plan large : L’homme qui a déclaré à la face du monde sa volonté de détruire tout un peuple, cet homme-là, je m’en méfierai jusqu’à son dernier jet de gaz. Et une fois mort et enterré, je ferai installer un système de vidéo-surveillance dans sa tombe.
    Gros plan : Voter Rohani, ce n’est pas ce que l’on pourrait appeler résister au régime des mollahs.
    Zoom : La Hitlerjungend aryenne, oh pardon! iranienne, sera bien plus difficile à désendoctriner que ne le fut son artéfact capitulard; nous n’oserons pas comparer ce défi qu’on nous fixe avec la dure tache à laquelle nous occupe, en l’espèce, une partie de notre belle jeunesse française.
    Macro zoom : Un quart de siècle après la chute de l’empire soviétique, nous sommes toujours forcés de nous appuyer, en Russie, sur une hypothétique dissidence néotsariste.

    • P.-S. : Ne minorons pas les effets et contre-effets de l’extension de la propagande d’une Khomeinijungend décomplexée sur la génération Z.

    • P.-S. du P.-S. : Le blue jeans ne fait pas l’antimoine. En tout cas, celui de Roger Waters ne l’a jamais empêché de renverser la carte du néonazisme.

  2. Or, nous avons conclu — de mon vivant — un accord avec le Quatrième Reich. Merdre alors! Nous sommes donc libérés de cette phase de négociations qui, quoi qu’on en pense, fut nécessaire quand sa clôture nous donne à présent la possibilité de faire sauter la porte de ce QG inviolable que représentait le ban des nations pour l’État islamique d’Iran. Et croyez-moi, nous n’allons pas nous priver de remettre à la place qui est la sienne l’Arépublique des mollahs après qu’elle a réussi à monopoliser autour de son casus belli toute l’attention du monde. Je rappelle que l’accord de Vienne anticipe, dans ses termes, une forte probabilité de torpillage. Aussi, ne feignons pas l’auto-interloquement alors que nous disons que nous n’y sommes pas plus enchaînés que l’arbre israélien (celui qui cache la forêt occidentale) ne s’était accroché à la grenade dégoupillée des accords d’Oslo. En deux mots, la sentinelle orientale de l’Occident ne s’interdira pas de violer l’espace aérien de l’un des derniers régimes cryptonazis de la planète en vue d’y bombarder les tunnels souterrains menant à son programme nucléaire militaire.
    Concernant (1) le programme nucléaire civil iranien, nous n’avons pas entendu les écologistes s’inquiéter de ce que l’Iran — dont je rappelle que le drapeau prend la colombe de la paix en sandwich entre le steak du Tartare et le monstre aux yeux vert de Iago — en ait fait une question de dignité métapolitique.
    Concernant (2) les réjouissances obscènes auxquelles participent les vacanciers de la conscience, les fulminations de la classe politique israélienne me paraissent, somme toute, bien mesurées en regard du droit de détruire Israël (sic) auquel leurs nouveaux amis islamistes réaffirmaient, il y a trois mois à peine, qu’ils n’y renonceraient jamais.
    Concernant (3) mon ingratitude envers vous qui, pourtant, avez négocié, pied à pied, les nobles particules de cet accord dont j’affirme qu’il n’a rien de commun avec celui derrière lequel il s’éclipsa, — je fais bien évidemment allusion au petit coup de foudre jovien que cracha à sa propre face la zone euro, s’épargnant de la sorte un relent de schisme entre les églises d’Orient et d’Occident, — Tsipras n’étant pas, Dieu merci, aussi poutino-compatible que ne l’est une caste pussyriotophobe avec laquelle les femelles ont le droit de débattre à condition qu’elles tiennent leur rang au ras du sol, — excusez-moi si j’en profite pour aller droit au but que nous nous sommes fixés, du fond duquel, outre le risque d’entorse, je suis forcé de dénoncer le risque de respect auquel s’expose notre accord à double tranchant. J’aurai besoin, pour cela, d’un petit coup de main de Susan Sarandon ou, plus précisément, de son «Pourquoi ferions-nous la guerre aux Irakiens? Que je sache, ils ne nous ont rien fait?» — au passage, merci pour les Kurdes qui s’avéreraient être, dix ans plus tard, nos seuls alliés fiables et redoutables face à Daech (puissance non nucléaire). Il y a bien des façons de causer un désastre. Génétiser avec Ratko le Nettoyeur. Fournir Bachar le Chimique. Nourrir l’hydre HezbollaHamas. Lui écarter la gueule jusqu’au sud de l’antique Arabie. À ce titre, le facteur de fréquentabilité sarandonien devrait renforcer les capacités de nuisance d’une dictature revigorée par son rayonnement international. Un jeu de faux hipster que l’impérialisme iranien estime jouable à l’aulne du degré d’influence qu’il lui rapporte.
    Concernant (4) l’épineux sujet d’une existence plus que probable des modèles de civilisation barbares, je tiens à souligner notre nullité crasse face au problème que constitue pour nous l’État de non-droit : pire lorsque nous l’avons asphyxié dans l’espoir que son peuple en accuserait le régime effarant dont nous espérions qu’il songeât à le renverser à la force du poignet qu’on lui avait broyé; plus que pire une fois normalisées les relations d’État (démocratique) à État (antidémocratique) en contrepartie d’un microsigne de bonne volonté de la part du tyran, bon ou mauvais présage? à votre avis… avez-vous jamais vu un Titan se transformer en Olympien?
    Concernant (5) l’ascension du mont Golgotha qu’Israël semble avoir entamée aujourd’hui devant le Capitole, — je n’ai pas dit «au» mais bien «devant», — celle-ci a pour but de mener à sa destination finale l’Iran de Rohani et non l’Amérique d’Obama, qui n’est pas son ennemie ni même son adversaire, inversement à l’autre. J’en veux pour preuve la liesse dans laquelle s’est engouffrée cette pauvre jeunesse iranienne dont le discernement affleure le niveau d’enlisement de la biomasse roumaine sous les Ceausescu. Et je me hasarde à penser que, si la voix d’Israël prend la sage décision de porter à perte de vue en face des tours fantômes, elle le fera parce qu’il n’existe aucune voix au monde qui soit mieux placée qu’elle pour répercuter le cri de Munch depuis le carrefour des Obsessions où la vérité s’est immobilisée, à la recherche d’elle-même.