Qu’est-ce donc qui rapproche Miles Davis, Lauren Bacall, Jeff Brigdes dans The Big Lebowski ou encore Mac DeMarco ? La réponse, la voici : ils sont cools, tous, indéniablement et chacun dans leur style, cools ! Pourtant, si l’on arrive plutôt facilement à s’accorder sur ses dépositaires, il s’avère nettement moins aisé de définir l’idée même du cool, ses contours, son essence… Le cool est un de ces concepts piégés que tout le monde utilise (le faisant ainsi dévier de son sens initial), dont tout le monde connaît le sens, une notion qui ponctue les fins de phrases depuis des décennies et les échanges lapidaires par emails, What’s App et sms depuis peu. Regardons-y de plus près. Avec ses formes toutes en rondeurs, la coquille du « c », le double « o » moelleux, la lettre « l » introduisant un élément de féminité, la graphie du mot cool colle à sa signification : elle n’effraie pas puisqu’il est idéal. Ultra employé, multi-usage, bien à son aise dans une époque qui donne la primauté à l’émotion et aux sensations, voilà le cool, une matière mouvante, liquide, sans cesse en renouvèlement. Le cool coule. Pas étonnant, dès lors, qu’il se soit parfaitement agrégé à l’univers de la glisse, au surf, au skateboard… Mais revenons au concept. Si elle est bien universelle (en parlant à différentes aires géographiques – l’Afrique, l’Europe, les Amériques – et différentes générations), l’idée de cool est également très subjective (le cool de l’un n’est pas forcément le cool de l’autre). Elle sait donc être globale mais fluctue au gré des modes et des époques.

Pour nous aider à y voir plus clair dans l’océan du cool, Jean-Marie Durand, journaliste aux Inrockuptibles, responsable des pages Médias et Idées d’un magazine qui se demande chaque semaine «Où est le cool ?», le traque puis le décrète, retrace à la fois l’histoire du concept dans un élégant essai intitulé Le cool dans nos veines, Histoire d’une sensibilité. Un livre truffé de références qui questionne notre rapport au monde, nos attitudes. On y apprend notamment que le cool, outre sa dimension culturelle, serait également éminemment politique. L’idée de cool raconterait une résistance au réel, celle de dépositaires, loin d’être des imbéciles heureux inconscients de la marche du monde, qui savent pertinemment que le pire pourrait survenir. Plutôt que de céder aux passions destructrices et à l’inquiétude, ces derniers prennent le parti de garder la tête froide. « Paisibles, à la fraîche » comme Patrick Dewaere et Gérard Depardieu dans Les Valseuses… C’est d’ailleurs là le sens premier du mot : étymologiquement, le cool est frais puisqu’il provient de l’anglais « rafraîchir ». Cette origine, l’essayiste la prolonge par l’exemple on ne peut plus contemporain d’un Barack Obama, incarnation politique du cool, qui, au cours de ses deux mandats de Président des Etats-Unis, n’aura cessé de refroidir les ardeurs de ses partisans comme de ses détracteurs. En prenant du recul sur les événements, en se gardant bien de commenter l’actualité chaude, en apparaissant là où on ne l’attendait pas forcément (sur les plateaux des late shows par exemple), le Président américain a appliqué sciemment plusieurs « lois » du cool. Attention, tout de même, le cool d’Obama demeure largement élitiste. Dans les grandes largeurs, l’électorat républicain ne l’a jamais compris. Pire, le populisme du Tea Party l’a détesté et s’en est servi comme arme rhétorique pour marquer l’écart qui se serait creusé entre le locataire de la Maison Blanche et le peuple américain. Huit ans après son élection, Obama est-il encore cool ? Si le livre de Jean-Marie Durand ne donne pas de réponse précise sur ce point, il offre néanmoins plusieurs clés pour le savoir. En ce qu’il suppose une attitude dégagée, le cool a ainsi du mal avec la notion de travail en général et l’exercice du pouvoir en particulier. L’auteur écrit d’ailleurs : « Pour beaucoup, la majesté du cool, signe d’une résistance minoritaire, importe moins que la survie sociale et n’est que le nom travesti d’une réalité implacable : un confort élitiste, excluant de son champ tous ceux pour qui la vie ne consiste qu’à se battre. Comment être cool lorsqu’on est un combattant ? » C’est en effet compliqué…

Dans un monde qui banalise le cool, nous possédons avec l’essai de Jean-Marie Durand un essai plus qu’utile pour le remettre en perspective, grâce à son approche pluridisciplinaire. Au fil des pages, l’auteur se demande, pêle-mêle, si le cool peut se conjuguer au féminin, si il s’agit bien d’une notion américaine, si le cool ne serait pas devenu conformiste ? Il aborde également la question des « Mister Cool », ces représentants d’un idéal, des personnages souvent portés et parfois même fabriqués par des médias U.S. sans cesse en quête d’un nouveau roi à couronner. Durand écrit ainsi : « On ne compte plus ceux qui au cours des dernières décennies ont connu le privilège de recevoir cette étiquette, qui a valeur de sacrement. De Miles Davis à Johnny Cash, de Duke Ellington à Marvin Gaye, de James Dean à Paul Newman, de Steve McQueen à John Travolta, de John Fitzgerald Kennedy à Barack Obama… : très souvent noirs, mais concurrencés par le blanc -, oscillant entre un versant ténébreux et une attitude solaire, entre la gravité du regard et la malice, entre pesanteur et légèreté. » Dans un monde où l’habit fait le moine, le playboy ou encore le hipster, il fallait bien un livre pour comprendre cet « édifice symbolique », cette « paroi de protection », cette « zone de survie » en forme de carapace qu’est le cool. Le voici, chaudement recommandé.

 

le-cool-dans-les-veines-couverture_de_jean-marie-durandLe cool dans nos veines, histoire d’une sensibilité, Jean-Marie Durand. Editions Robert Laffont, 228 pages. 18 euros