1 — Nous oublierons les oiseaux au souvenir de François dit d’Assises

Composer de la musique relève au fond de la foi; ordonner harmoniquement et rythmiquement le son repose à coup sûr sur une intuition un peu folle: celle de croire que la matière danse. Et le chant, cet instrument sans bois, se pique de civiliser le cri; tous les enfants chantent et dessinent, certainement pour faire face au mystère d’un ordre social qu’ils n’entendent toujours pas. Ceux ayant deviné trop tôt sa violence banale continuent, ils chantent et dessinent tout le long de leur vie, sachant qu’ils ne l’entendront jamais plus, nevermore.

Cet ordre perçu trop tôt par les enfants tristes, puis assourdi, relève d’une géométrie criminelle écrasée en une droite implacable: tuer pour stabiliser; cet ordre mort à mon objectivité se doit, malgré les cendres, de violer le ciel pour assurer une forme (en laquelle je ne crois plus depuis longtemps). Chanter devient alors facile, une forme de vertu érigée en un rempart nécessaire. Et pourtant…

Les gestes de tous, même de ceux, rares, qui se piquent de vouloir le mal, ne relèvent au fond que de la tyrannie de cette violence grise, pour ou contre elle; le mal n’étant qu’un outil sonnant terriblement creux. Mieux vaudrait encore, comme Einsturzende Neubauten, générer une musique au moyen de marteaux-piqueurs et d’une scie circulaire découpant un frigidaire qui ne fonctionne plus.

Ecrire alors, vaste question, bien plus que celle de chanter. Oui, le langage est l’absolu moyen de coercition, c’est clair. Ecrire c’est toujours graver sa propre sentence dans sa chair de pénitent, rédiger à nouveau la Bible tous les matins en l’oubliant au soir, en appeler à la mise à mort des oiseaux, ces créatures absurdes qui nous insultent, nous à terre; écrire c’est du blanc. J’aurais voulu savoir écrire; au moins je sais parler (et encore, j’ai oublié une langue entière).

Ecrire pour et sur de la musique c’est rien et l’idiotie reine du premier Christ (il faut absolument réfuter le messie pour convenablement l’envisager, de quoi s’éxonérer au final de tout miracle). Oui les paroles de chanson ne peuvent se lire, non ce n’est pas de la poésie, c’est futile et vertical, toute gravité annulée par le chant; c’est nulle part, ce sont des slogans publicitaires pour un produit qui n’existe pas; un mi mineur associé à un verbe c’est un étang aux eaux vertes où nagent des poissons aveugles.

 

2 — Se retrouver précisément à l’endroit que l’on aura nommé nulle part cinq minutes avant  

Imaginons un homme portant une valise vide afin de prétendre à un système, tout comme il pourrait se prétendre escroc afin de se faire invisible. On le dit musicien? il s’en défendra évidemment; cet individu a toujours été d’humeur contrariante, j’imagine que ça l’apaise. Il porte une paire de pantalons noirs, cela peut être utile d’être précis; car maintenant que c’est conçu, on pourra oublier sa fiction et en revenir à l’essentiel.

Vous prenez une pomme, la posez à côté d’une orange, cela crée une nature morte. Un groupe de rock ça peut-être un kiwi, une tomate, un homme oublié là, un pamplemousse et un bélier aveugle. Ce petit monde de cuivre génère un langage qui parcourt les dunes; rien ne meurt, jamais, même si on en souffre terriblement. L’homme oublié prend un train en marche, un tabouret vient occuper l’espace qu’il occupait, ça change de grammaire, des vagues de basse viennent exploser sur l’horizon qui pourtant vient de s’embraser, un oiseau gigantesque se lève, il ne sait plus voler, ses cris s’entendent, se précisent, on entend parfois une idée, juste avant qu’elle ne disparaisse, le langage se tord, il change à chaque mouvement de rideau, le kiwi cède sa place à une bergère, des ailes immenses faites d’ombre ou de lumière, on ne sait plus, se déploient, voilà, nous y sommes, le temps se parcourt maintenant comme un territoire. On entend une mélodie.

Savez-vous? Cette chanson est celle que vous chantait votre mère quand vous étiez enfant.

Quelque part un juke-box diffuse en boucle la même phrase: Hush little baby, don’t you cry.

Au-delà de la stratosphère le son n’existe plus; cela n’empêchera jamais la musique.

 

3 — Last house on silent street 

Note après note après note. On distingue une silhouette noire sur un quai. Elle est écrite, évidemment, mais ça ne l’arrange pas, elle devine les signes mais ne trouve plus la volonté de les comprendre; on écrira, on chantera, on envisagera une chanson de gestes. On permettra une notation comme on pourrait siffler dans une rue lugubre et désertée. Qui se souvient de son nom? Les panneaux sont effacés, malgré tout on distingue toujours des lettres, il faudrait barbouiller cela à la craie afin d’en faire surgir le relief, mais on oublie de faire cela le lendemain, trop occupé à reconstituer un alphabet. On voit des sons comme on entend des lettres, un animal nous tient lieu de raison, une maison bascule, on la croit de sa famille. Un vieil homme tend un briquet. Il parle, l’aube se lève, les oiseaux crient car ils perçoivent le soleil à l’envers, la flamme du briquet pourrait avoir une fonction, on a préféré l’oublier. Il dit:

Sais-tu ce qui a été oublié dans les cratères des roquettes pleuvant sur Phnom Penh?

Toi.

On peut percevoir un chant au lointain, c’est possible, on croirait naître une lueur.

Je marcherais en rêve, vous verseriez de l’eau sur mes mains, j’en ferais de même, il y’aurait eu la joie de nous être vus.