Huit ans après sa dernière sélection officielle cannoise avec Paranoid Park, Gus Van Sant présente cette année La forêt des songes (The sea of trees). Un mathématicien américain décide de mettre fin à ses jours et se rend dans la forêt d’Aokigahara, au Japon, célèbre destination pour suicidaires. Présenté ainsi, nous nous attendions donc à retrouver le réalisateur de l’époque de la « trilogie de la mort » (Elephant, Palme d’or en 2003, Gerry, Last Days), le Gus Van Sant qui excelle dans les fresques morbides et poétiques. Nous nous sommes plantés en beauté… Et Gus aussi.

Après un aller simple pour le Japon, Arthur (Matthew McConaughey) se trouve donc dans la fameuse forêt au pied du Mont Fuji, prêt à s’ôter la vie, quand il croise le chemin d’un homme en sang et visiblement désorienté (Ken Watanabe). Il décide de l’aider à retrouver son chemin hors de la forêt, mais ils se perdront finalement ensemble dans ces bois hostiles. Son compagnon d’infortune le prévient (et prévient de même le spectateur) : « Ici, les apparences sont trompeuses. »

Le récit de leur tourmente est entrecoupé de flashbacks de la vie de Matthew McConaughey, permettant d’en savoir plus sur ce qui a pu le pousser au suicide : principalement des scènes de querelles avec sa femme (Naomi Watts), exposant avec intelligence le mépris grandissant entre les deux époux.

Entre Arthur et Takumi, des liens forts se créent, malgré les incompréhensions et les clichés culturels de part et d’autre. Pour le Japonais, l’Américain croit forcément en Dieu ; en retour, l’Occidental ne comprend pas pourquoi cet homme a envisagé de se suicider pour la seule et unique raison qu’il ne pouvait plus subvenir aux besoins de sa famille.

Jusque là, nous étions confortablement installés : l’intrigue unit rapidement les destinées des deux hommes tandis que le récit du passé d’Arthur, à travers les flashbacks, monte en puissance ; les rôles sont interprétés avec justesse ; la forêt, tour à tour drainée de vie ou pétrifiée, est filmée avec grâce.

Conquis, nous commencions même à rêver d’un Prix pour ce film… Et puis soudain : la déconfiture. La scène où, près d’un feu de camp, Matthew McConaughey prend conscience de ce qu’il aurait dû faire, ou dire, avant qu’il ne soit trop tard, est peut-être l’une des plus belles du film, mais c’est aussi celle qui déclenchera le déluge de bêtise qui a malheureusement nourri la dernière demi-heure du film.

En effet, une fois que le scientifique au triste mariage a expié ses fautes en les exprimant au Japonais, tout n’est qu’explications rétrospectives lourdingues, parallélismes vaseux entre son ancienne vie et ses expériences dans la forêt, effets tire-larmes indécents, qui nous auraient presque arraché un ricanement, si nous n’avions été si désolés de la tournure du film. La déception est à la hauteur des attentes…

A la première dérive scénaristique, nous serrons les dents et nous nous accrochons aux accoudoirs de notre fauteuil. Alors que nos voisins commencent à pouffer et souffler, le film continue de s’enfoncer mais nous voulons encore y croire ! Ce sera finalement le même mysticisme niais et lourd jusqu’à la fin… Il faut alors se rendre à l’évidence : le film n’est plus défendable.


La forêt des songes (The sea of trees)
Réalisé par Gus Van Sant
Avec Matthew McConaughey, Ken Watanabe, Naomi Watts
Date de sortie : 9 septembre 2015