Un hôtel à la façade de pierres grises, en bord de mer, avec piscine intérieure, peignoirs blancs et soirées dansantes au programme. Non, nous ne sommes pas dans un établissement de thalassothérapie en Normandie, mais dans la prison déguisée en hôtel de The Lobster, où les célibataires sont envoyés de force afin d’y trouver un partenaire, sous peine d’être transformé en animal. Pour gagner des jours supplémentaires, les pensionnaires partent, armés de tranquillisants, à la chasse aux célibataires qui vivent clandestinement dans la forêt voisine.

Voici la société totalitaire complètement barrée que décrit le réalisateur grec Yorgos Lanthimos dans son dernier film présenté en Sélection officielle du Festival de Cannes. Le réalisateur explique : « L’idée de ce film est née d’une discussion à propos des gens qui ressentent le besoin d’être toujours en couple, du jugement envers ceux qui n’y arrivent pas, et le fait que l’on considère comme un échec de ne pas être avec quelqu’un ».

David, interprété par Colin Farrell, brillant dans ce rôle de myope, bedonnant et moustachu, est quitté par sa femme et se trouve obligé de se rendre à l’hôtel pour trouver une nouvelle partenaire sous 45 jours. S’il n’y parvient pas, il se verra transformé en homard, l’animal de son choix. The Lobster est une satire cruelle où la violence est omniprésente.

Pourtant, jamais un film aussi anxiogène ne s’était révélé aussi drôle. Les seconds rôles John C. Reilly et Ben Whishaw sont excellents dans leurs personnages de l’Homme qui zozotte et l’Homme qui boîte. Avec une telle déshumanisation des sentiments, l’absurde devient naturel. Par exemple, lorsque David doit renseigner sa préférence sexuelle avant de s’installer dans l’hôtel, on l’informe que la bisexualité ne fait plus partie des options depuis quelques mois, car cela posait trop de problèmes administratifs. Puis la directrice de l’hôtel lui explique que, même une fois transformés en animal, il y a des règles à respecter : un pingouin ne peut pas être en couple avec un loup… « parce que ce serait absurde ». On oscille en permanence entre l’humour, la violence et une profonde tristesse.

Le réalisateur grec nous avait habitués aux extravagantes allégories de la condition humaine : Canine racontait l’histoire d’une famille qui maintenait ses enfants captifs, coupés du monde pour leur bien, ou encore Alps où des acteurs venaient remplacer un proche décédé, le temps du deuil. Avec The Lobster, il parfait son art : le scénario est tenu par une narration surprenante et rafraîchissante.

Le collaborateur de Lanthimos, Efthimis Filippou a déclaré : « Nous avons essayé de présenter quelque chose de réel, mais pas de façon réelle ». Et c’est en cela que réside le seul (léger) reproche que l’on pourra faire au film : dans un monde totalement dystopique, coupé de toute réalité, le film parvient-il à parler de notre société ?

Au delà de l’évidente accusation de la génération Meetic/Tinder, cette dictature du couple semble également dévoiler une critique du système libéral où la jouissance et la rentabilité sont prônées : les couples ont de meilleures chambres, on leur offre une croisière en voilier, ils peuvent « obtenir » un enfant pour souder leurs sentiments…

Or, le film pousse sa logique à l’extrême : dans la deuxième partie, les célibataires isolés dans la forêt et qui se sont échappés de la société totalitaire, ne font aucunement preuve de plus de tolérance. Ils ont, de leur côté, établi un monde tout aussi violent et régulé. Menés par Léa Seydoux, les « Solitaires », eux, ne doivent absolument pas former de couple : si deux personnes sont surprises en train de se rapprocher, on leur arrachera les lèvres. Il est interdit de danser à deux, explique Léa Seydoux, « c’est pour ça qu’on n’écoute que de la musique électronique »… Ces deux mondes, L’hôtel et la Forêt, sont opposés mais tout aussi absurdes et totalitaristes l’un que l’autre. Ces deux modes de vie, en couple ou célibataire, bien qu’antagonistes, partagent des pratiques extrémistes. Tiens, tiens… Serait-ce un apologue sur la situation politique grecque ?

Yorgos Lanthimos prouve qu’il est un solide représentant de ce que The Guardian a nommé « the weird wave of Greek cinema » (la vague de l’étrange du cinéma grec) – à laquelle appartient Panos Koutras, qui avait présenté Xenia l’an dernier dans la sélection « Un certain regard » et membre du jury de cette même sélection cette année.

Cet objet de curiosité, qui dénote dans la sinistrose cannoise, se montre dérangeant, mais aussi émouvant et drôle. On espère que The Lobster saura attirer l’attention des frères Cohen, présidents du jury, au moins pour son scénario délirant…

 


the-lobster-cannes-afficheThe Lobster

Réalisé par Yorgos Lanthimos

Avec Colin Farrell, Rachel Weisz, John C. Reilly, Ben Whishaw, Léa Seydoux