Matteo Garonne revient pour la quatrième fois au Festival de Cannes, avec Tale of tales (Il racconto dei racconti), l’un des trois films italiens en sélection officielle de cette 68e édition, une « libre adaptation » du Pentamerone, recueil de contes de fée écrit au XVIIe siècle par le Napolitain Giambattista Basile.

Cette œuvre fondatrice, qui inspira Perrault ou les frères Grimm, empreinte d’Ovide et Apulée, est à l’origine composée de cinquante contes : quarante-neuf introduits par un premier conte qui leur sert de cadre et dans lequel un groupe de personnes est amené à se raconter des histoires.

De ce monument narratif, Matteo Garonne n’a conservé que trois histoires, au sein d’une construction plus évidente, voire simpliste, autour d’une reine rongée par son désir d’enfant (Salma Hayek) ; d’un roi obsédé par une puce apprivoisée (Toby Jones) ; d’une blanchisseuse pauvre et hideuse (Hayley Carmichael) cherchant à tout prix à retrouver sa jeunesse pour s’offrir à un roi libidineux (Vincent Cassel).

De son nom originel « Le conte des contes ou Le divertissement des petits enfants », ces histoires ne sont en rien destinées à nos chères têtes blondes, abordant des thématiques incroyablement actuelles, telles que le conflit entre les générations, la quête de jeunesse, et avançant même, en 1634, une mise en garde contre la chirurgie esthétique d’aujourd’hui. Matteo Garonne en livre une version sombre, presque gore, mais en cela fidèle aux Contes. Ignorés des adaptations modernes, ils sont ressuscités sans être passés sous le sceau édulcoré de Disney pouvant altérer durablement la vision de certains contes dans les esprits.

L’univers présenté est ainsi violemment physique, viscéral, baveux, sanguin (la puce suce le sang du roi pour croître, la reine mange un cœur sanguinolent…) Et les personnages – rois, reines, ogres et sorcières – dirigés par des désirs surpuissants, sont prêts à toutes les audaces, tous les sacrifices pour les assouvir. Le bien et le mal se confrontent au sein de ces personnages archétypaux, comme par exemple le tyran généreux ou la mère possessive mais aimante.

Cette galerie de personnages tranche donc brutalement avec les mafieux napolitains et les victimes de la téléréalité des précédents succès de Matteo Garonne, films à thématiques dites sociales (Gomorra et Reality). Cependant, le réalisateur italien se plaisait déjà à introduire du fantastique dans ces histoires réalistes, à mêler l’ordinaire et l’extraordinaire, la magie et le quotidien.

Si cette fois il part d’un univers fantastico-médiéval, il échoue toutefois à le teinter de réalisme – si tel était le cheminement souhaité. En effet, les préoccupations psychologiques (pour utiliser un terme anachronique) dont l’écho résonne dans notre société actuelle existaient déjà dans l’œuvre de Basile, et l’adaptation de Garonne ne leur insuffle aucun élan nouveau.

Un tel changement de registre dans la filmographie du réalisateur représentait un lourd pari qui s’avère largement réussi sur le plan esthétique, comme le prouvent de magnifiques et riches tableaux. Tale of tales permet de s’émerveiller du beau et du laid, du délicat comme de l’horreur ou du pathétique. Or le résultat final manque d’une structure solide permettant de dépasser la simple accumulation de péripéties carnavalesques, la succession de victoires (illusoires) et de punitions, laissant l’impression d’un film relativement amorphe. La leçon du sorcier préconisant l’équilibre du monde (une nouvelle vie contre un décès, une sœur jeune et une sœur vieille, un jumeau riche et un jumeau pauvre), est à l’image du film : il maintient un équilibre servi par des transitions plates et une morale paresseuse.

Certes, le spectateur comprend clairement que nous sommes ici aux antipodes du « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », mais le film, sans aucun parti pris affirmé dans le montage, se contente de passer mollement d’un personnage à un autre et ne parle finalement qu’à l’imaginaire, évinçant la morale constitutive du genre du conte.

Avec le registre fantastique, Garonne s’éloigne des messages politiques de ses œuvres précédentes, mais semble par la même occasion chasser toute velléité de message, quel qu’il soit. Tout conte fait… est-ce dans ce retrait de toute visée didactique que s’incarne la version moderne du conte ?

 

affiche-tale-of-talesTale of tales (Il racconto dei racconti)

Réalisé par Matteo Garonne

Avec Salma Hayek, John C. Reilly, Vincent Cassel…

Date de sortie : 1er juillet 2015