Voyez-vous, je parle toutes les langues mais en yiddish.

(Madame Klug, citée par Kafka dans son journal)

Cette phrase m’est revenue en apprenant la mort de Remy Kolpa Kopoul – RKK, pour tous ses amis – dimanche après-midi.
Je connaissais Rémy depuis longtemps, très exactement depuis la projection d’un film sur la lutte des ouvriers de l’usine Darbois, une usine de la banlieue parisienne où RKK s’était “établi”, comme on disait à l’époque, et où il dirigeait la lutte en tant que maoïste.
Maoïste, une des nombreuses vies qui furent les siennes. (Je crois d’ailleurs savoir qu’il était, au même moment, étudiant à l’Université de Paris VIII, un endroit où il ne devait pas mettre les pieds bien souvent.)
Car RKK a eu plusieurs vies : des vies non pas parallèles mais qui se superposaient. Aucune n’étant réellement contradictoire avec la précédente ou les précédentes.
“Ouvrier”, il passait ainsi son temps à chanter et à faire la foire – et de la musique, au passage. Journaliste, il faisait découvrir la world music, ce concept qu’il inventa quasiment seul. Producteur de concerts, il le faisait avec ses connaissances de l’époque maoïste, musiciens brésiliens exilés surtout. Animateur de radio, il révolutionnait la façon de faire écouter de la musique, fouillant la discothèque de ses invités pour les décrire par leurs CDs. DJ, il mélangeait tout ce qu’il avait fait avant, carnet d’adresses de “révolutionnaire” et de journaliste, connaissance encyclopédique des disques et amitiés tous azimuts, pour en faire un grand mix.
La “sono mondiale”, cette idée qui fit la réputation de radio Nova et dont il fut à l’origine, c’était sans doute cela. Mélanger toutes les musiques, toutes les cultures, toutes les langues et toutes ses vies. Devenir une sorte de Zelig, ce personnage du film homonyme de Woody Allen, qui s’assimile à toutes les cultures et toutes les ethnies qu’il fréquente.
RKK n’avait pourtant guère le physique adéquat : reconnaissable à cent mètres, même de nuit et éméché, un ventre considérable et une allure très particulière, bretelles XXL et canne à pommeau en avant. Une voix éraillée de titi parisien, reconnaissable entre mille. Et puis, vieux avant l’heure – physiquement s’entend, sans doute pour qu’on oublie qu’il vieillissait et qu’on oublie qu’il pouvait mourir.
Il n’empêche. Il se fondait partout où il passait, dans la masse, et fédérait autour de lui toutes sortes de tribus.
Les douze tribus d’Israël ? Non, bien plus que cela, celles du monde entier. Par un biais très astucieux, un biais sans mots, sans idéologie, sans couleur de peau ni sexe : la musique. Toutes les musiques.
Car la musique n’adoucit pas que les moeurs : elle repousse les conflits, ne demande pas de connaître la langue ni l’identité du chanteur. Elle provoque une adhésion qui n’a rien de rationnel mais qui, en revanche, doit tout au plaisir.
Cette communion par la musique, RKK la devait sans doute à ses origines, juives lituaniennes, et à sa mère qui l’initia à la musique klezmer, cette musique juive d’Europe Centrale, qui était le florilège de la culture yiddish. Le Yiddish, cette langue qui est toutes les langues, comme le disait la Madame Klug du Journal de Kafka. Le Yiddish, cette langue qui est à la fois morte et vivante et qui renaît aujourd’hui de ses cendres après s’être, pour cause de persécutions nazies, dispersée un peu partout à travers le monde. Jusqu’aux Antilles et en Amérique latine, la région préférée de Rémy. Le Yiddish, cette langue qui est aussi une culture et qui était, je crois, la source d’inspiration de ce Grand Mix des musiques de partout qui était la raison d’être et l’âme de Rémy Kolpa Kopoul.
Une des dernières fois où j’ai vu RKK, c’était pour parler d’un projet de disque en yiddish. Il était très emballé et m’avait parlé d’un Sénégalais qui chantait en yiddish. Je n’en revenais pas.
C’était cela Rémy.
Nous sommes tous tristes de son départ mais la seule chose qui me rassure, c’est qu’il est parti à la fin d’un concert.
“Mort des suites d’un concert”, un grand pied de nez à la maladie et à la mort. Peut-être qu’il faudrait inscrire la formule sur sa tombe ?

2 Commentaires

  1. Il est assez étonnant de recevoir une nouvelle comme celle de la mort de Rémy Kolpa Kolpoul, c’est-à-dire par l’internet, au-delà du temps et de l’espace. Nous nous étions croisés enfants. Il ne connaissait pas le yiddish du tout qui est ma langue maternelle. Un parcours très riche. Je lui souhaite du repos tranquille et beaucoup de sons de toutes tonalités. יהי זכרו ברוך.