« L’Histoire est le livre de chevet favori sur la table de nuit des Tyrans »

(Georges Orwell)

Se tenait ce 16 avril à Paris, à l’initiative conjointe de notre amie Galia Ackerman du Forum européen et de La Règle du Jeu, un colloque sur l’instrumentalisation de la seconde guerre mondiale et la victoire soviétique par le Kremlin, son grand prêtre, ses idéologues, ses médias et l’Eglise orthodoxe russe.
Comment considérer, au regard de la vérité historique, l’historien en chef qu’est devenu, couronnant ses mille et un titres, Vladimir Poutine ? L’homme qui, en grand nostalgique du totalitarisme et de l’impérialisme communistes, écartant d’un revers de main le nazisme et les camps, déclara, à l’aube de son irrésistible ascension, que la chute de l’URSS était la pire catastrophe géopolitique du XXème siècle, là où le monde entier voit la fin de la guerre froide, la libération des peuples de l’Europe de l’Est et du peuple russe lui-même ?
Impérialisme oblige : à la veille du soixante-dixième anniversaire du 8 mai 1945, la vaste entreprise de réécriture de l’Histoire pour justifier les agressions russes à la périphérie et les annexions qui se sont succédé depuis quinze ans, redouble. L’Histoire, à Moscou, est en service commandé.
L’occasion est trop belle. La grande guerre patriotique, toujours ainsi nommée selon la qualification stalinienne, sanctifierait la Russie actuelle, seule héritière en esprit et en droit du sacrifice de 17 millions d’hommes et de femmes… dont la moitié n’était pas russes. Mais qu’importe ! Les autres peuples, dûment soviétisés par la force depuis 1917, à commencer par l’Ukraine de l’Holodomor et ses trois millions de morts par la famine, n’ont droit qu’à des strapontins à la table de l’Histoire soviétique, entendez à la Russie, à qui ils devraient leur liberté d’aujourd’hui et, pourtant, une reconnaissance sans partage. Avec un sous-entendu subséquent : nous Russes qui nous sommes tant sacrifiés pour vous, comment pouvez-vous ne pas être des nôtres, comment pouvez-vous ne pas être encore et toujours de cœur et d’esprit avec nous, vos (grands) frères d’hier et donc d’aujourd’hui, l’auriez-vous oublié par ingratitude « nationaliste »?
Même discours à l’attention de l’Europe et du monde extérieur. La bataille de Stalingrad et son million de morts, le renversement du cours de la guerre, la fin de l’invincibilité nazie, l’espoir rendu aux peuples européens sous la botte ; la libération des camps en Pologne ; la bataille de Berlin : « Nous fûmes vos libérateurs ». Message subséquent : s’opposer à la Russie d’aujourd’hui, héritière de ce flambeau, c’est attenter à cette mémoire et ne pas honorer une dette historique capitale, dette qui impliquerait de s’incliner à propos de la Tchetchénie, et, plus encore, de l’Ukraine, cet appendice historico-politique de la Russie aux yeux de Poutine, sans parler de la Crimée, « historiquement » russe.
Ce nationalisme historique débridé s’accompagne d’une réécriture de l’histoire soviétique du XXème siècle, à base de distorsions, d’oublis, de négationnisme, de réhabilitation des grandes figures criminelles du passé, comme l’a rappelé Bernard-Henri Lévy, à propos, entre autres, de l’Holodomor et de la libération d’Auschwitz
Le Pacte germano-soviétique entre Hitler et Staline, qui ouvrit à l’Allemagne nazie le dépeçage de la Pologne et la défaite de la France ? « Il n’a rien de répréhensible », a déclaré Vladimir Poutine.
Oublié, les protocoles secrets qui accordaient à l’URSS la moitié de la Pologne, les pays baltes et la Finlande.
Oublié, bien évidemment, Katyn et le massacre de 20.000 officiers polonais.
Oublié l’alliance de Hitler et de Staline, qui, deux ans durant, fournit à l’Allemagne nazie en guerre contre la France et la Grande Bretagne, vivres, pétrole, équipements.
Oublié, la livraison par le NKVD à la Gestapo de quatre mille antinazis réfugiés dans la patrie de l’internationalisme prolétarien.
Oublié, l’Armée rouge restant l’arme au pied devant Varsovie insurgée au printemps 44, écrasée par les Allemands en retraite.
Oublié, la libération d’Auschwitz par un bataillon sous commandement ukrainien.
Oublié, le sort de centaines de milliers de prisonniers russes qui, à peine libérés, passèrent directement au Goulag.
La repentance n’est pas le fort du maître du Kremlin.
Oublié, les purges militaires de 1935, les erreurs stratégiques de 1941 qui faillirent être fatales. Staline, au contraire, passe désormais pour un génial stratège et le grand libérateur de la Russie. Et Djerzinski, le maître de la Guépéou, a retrouvé sa statue face à la Loubianka.
Oublié les deux millions de soldats de l’armée Vlassov, un général russe de l’Armée rouge, qui, par anti-communisme, passa à l’Allemagne avant de s’en repentir et de rompre.
Pas oublié, en revanche, la Shoah par balles en Ukraine et dans les pays baltes, avec la participation des supplétifs locaux, qui permet de mieux passer sous silence l’antisémitisme de l’appareil stalinien dûment purgé de ses éléments juifs avant et après la guerre.
Pour l’anecdote, oubliée aussi l’aide gigantesque apportée à l’URSS aux abois par l’Amérique par la loi Prêt-bail, sans laquelle l’Armée rouge n’aurait pas repris l’avantage et vaincu. En quatre ans, 375.000 camions, 5000 chars moyens, 1900 locomotives, 700.000 tonnes de rail, 350.000 tonnes d’explosifs, 130.000 mitrailleuses, 8000 pièces d’artillerie, 14.000 avions, 344 bâtiments de mer, 5 millions de tonnes de nourriture, 2,6 millions de tonnes d’acier, des montagnes d’équipements divers, furent livrés à l’URSS. Le plus formidable arsenal – gratuit – de tous les temps. Pas un mot, bien entendu, à ce sujet. Les Russes ignorent tout ou presque de cela.
La falsification de l’Histoire, son instrumentalisation à des fins conquérantes, signent immanquablement les régimes totalitaires.
Face à ce nouveau front idéologique, la tâche des historiens à Moscou, au péril de leur poste, comme ici, à Paris, est capitale. Défaire le mensonge des historiens en uniforme, rétablir les faits et leur vrai sens. Ici, non moins, en effet, qu’à Moscou. Car une véritable cinquième Colonne idéologique s’est formée sur les berges de la Seine, avec la bénédiction de l’ambassade russe et des autorités du Kremlin, qui approuvent à grands cris l’agression contre l’Ukraine au nom de la « protection » des minorités russophones, glorifie la Russie et son passé impérialiste. Nouveaux compagnons de route qui, par une ironie de l’Histoire, un demi-siècle après les communistes français, peuplent à plein la Droite française, sans parler de l’extrême-droite qui va chercher l’or de Moscou directement dans les banques russes. Ils sont nos nouveaux Moscoutaires !
Cette première Conférence sur les falsifications de la mémoire russe aura fait œuvre de salubrité publique dans le combat pour le droit des peuples, le droit à leur histoire propre et à la vérité historique.

2 Commentaires

  1. Pour ceux qui voudraient approfondir le sujet voici ci bas un lien sur une excellente vidéo exposant l’histoire de l’Ukraine. Un exposé très clair, simplement énoncées qui privilégie: l’histoire longue sur l’histoire courte, le spirituel sur le culturel, le politique sur l’économique, le fait sur l’idéologie, la compréhension avant le jugement. Cette conférence complète très bien l’article de Gille Hertzog concernant le colloque notre amie Galia Ackerman. A voir absolument pour qui veut s’instruire sérieusement sur la question.

    https://www.youtube.com/watch?v=g-8WWzqXBtE

  2. Pierre Laurent réclame aujourd’hui des excuses publiques de la part du président de la République, lequel a, cependant, montré de toute sa clémence en limitant au seul champ économique de leurs programmes respectifs, sa comparaison entre le FN des années dix et le PCF des années soixante-dix. Souhaite-t-il qu’on lui rappelle les liens qu’entretenait toujours son parti avec l’URSS à une époque où Vladimir Poutine aurait déjà pu dire : «La mort est mon métier»?
    Le président de l’Union des ex-républiques socialistes soviétiques fut le grand absent de l’Accord Cadre dont il aura félinement attendu le verdict pour doter son aryen vassal d’une DCA dernier cri, une force de dissuasion capable de réduire sensiblement les chances du peuple juif de frapper, quand il le jugera impérieux, les installations nucléaires d’un État islamique iranien qui proclamait, il y a quelques semaines, son droit non négociable de détruire Israël.
    C’est le grain de folie qui permettrait d’identifier les premiers rôles de l’Histoire. On a dit un grain, pas un roc! Courez vite en informer un tsar minuscule ayant tout de même réussi à empêcher le rapprochement d’Ukraine et d’Europe qui, au train où ça va, sera bien forcée d’ordonner à l’Hermione de faire demi-tour en pleine mer, cap sur Sébastopol.
    Au lieu de se soucier de l’image de son parti qui n’a pas son pareil pour botter en touche aux rappels à l’ordre de la mémoire, M. Laurent serait bien inspiré d’ériger à Paris un Monument aux morts du Holodomor. Il y pourrait convoquer, au hasard, la part bonne de l’âme russe, la Russie dissidente d’hier et d’aujourd’hui et, prions ensemble pour cela, camarade! la Chère Inconnue de nos lendemains, pour le moment, désenchantés.