Qui est Brigitte Bardot ? Hormis la principale intéressée – qui semble avoir hésité entre plusieurs hypothèses à travers les décennies – toute la France a son avis sur la question. BB est « la plus belle femme du monde », une éternelle image de jeunesse et de beauté, un fantasme pour ceux qui l’ont côtoyée du temps de sa splendeur. Bardot c’est aussi le scandale. Le sexe. Une lolita du temps où ce concept était rare et signifiait encore quelque chose. BB : l’indécence, le vice, une incitation à la débauche et le trouble qui naît de la conjonction du désir et de la signification de ses initiales… Dans l’avant-propos de la biographie qu’il consacre à la star française, Yves Bigot écrit ce qui suit. « Les Américains ont eu Elvis. Nous avons eu BB. Tous deux nés aux yeux – et aux oreilles – du monde ébahi et scandalisé au même moment de rupture : 1956. Deux superstars, deux mythes, deux symboles sexuels définitifs. Deux révolutionnaires. Malgré eux, issus de familles conservatrices, bigotes, l’une white trash, dirt poor, né du mauvais coté des rails à Tupelo, Mississippi (…), l’autre bourgeoise, collet-monté, catho, droitière, élevée dans ce seizième arrondissement parisien hautain et dominant, si sûr de lui, corseté dans des certitudes bienséantes de faïence qu’elle violera bientôt de son insolente impudeur. » L’écriture de Bigot est ciselée, précise. Chaque mot compte. Il faut dire que le sujet est épineux…
Bardot c’est surtout la liberté : celle d’enchaîner les conquêtes, celle d’imposer une image omniprésente autour de la planète puis de rejeter subitement les caméras, celle de préférer aux hommes les animaux, celle d’apparaître nue à l’écran et d’émoustiller son époque. Voilà ce que nous raconte Yves Bigot : du temps de sa grandeur, Bardot emportera les vieux comme les jeunes dans un mouvement infiniment plus complexe et vaste que sa seule personne. Un mouvement qui va briser en mille morceaux ce qui faisait le ciment même de son éducation et la base de ses principes : la bienséance. Une révolution (des mœurs, sexuelles) que l’icône reniera plus tard et qui lui déplaira au point de lui opposer une réaction qui porte notamment la marque du Front National. Voilà Brigitte Bardot, entière, star à qui l’on n’impose jamais rien et qui ne se serait de toute manière jamais pliée à quelque obligation que ce soit. En somme, une éternelle et capricieuse ingénue, libre de dire et de faire ce qu’elle veut (jusqu’à ce qui nuit à son image…)
Insaisissable, Bardot fait partie de ces personnes qui dévient tragiquement avec le temps. Jadis incarnation de la transgression, BB s’est progressivement muée en porte-voix de la réaction. Au passage, visionnaire, la star a anticipé les envies d’une société d’abord guindée mais en quête effrénée de liberté puis, plusieurs décennies plus tard, largement ouverte mais paradoxalement en quête d’un retour à l’ordre et aux valeurs. Transposé à la carrière de l’actrice/chanteuse/mythe, cela donne d’abord, en 1956, ce fameux dialogue joué dans Le Mépris de Jean-Luc Godard.
« Tu vois mon derrière dans la glace ?
— Oui.
— Tu les trouves jolies, mes fesses ?
— Oui, très.
— Et mes seins, tu les aimes ? »
Puis, le 26 avril 1996, dans les pages Opinions du Figaro, un texte intitulé « Lettre à ma France perdue » (que le journal re-titre en « Mon cri de colère à l’occasion de l’Aïd »…). Une tribune dans laquelle la tropézienne écrit : « La France est de nouveaux envahie, avec la bénédiction de nos gouvernements successifs, par une surpopulation étrangère, notamment musulmane, à laquelle nous faisons allégeance ! Au droit desquels nous nous plions avec soumission. » On notera l’utilisation de ce terme aux résonances désormais houellebecquiennes : « soumission ». Le texte s’étend ainsi sur plusieurs paragraphes. Les déclarations de ce type se multiplieront. A la surprise de ses fans, depuis les années 1990, le nom de Bardot a commencé à rimer avec le mot « facho ». Tout s’est joué par l’entremise des animaux. Yves Bigot l’explique de façon limpide, presque clinique, dans son livre. L’ouvrage, qui sort ces jours-ci en édition poche aux éditions Points, ne passe rien sous silence. Il chronique admirablement les différentes étapes de la vie de « la femme la plus belle et la plus scandaleuse au monde », raconte dans le détail la « comédienne », « la première bobo » et la « muse ». On retrouvera au fil des pages des noms familiers, ceux de Vadim et de Gainsbourg, de Distel et de Bécaud. On aimera lire le récit des rencontres de la ravissante avec un Général de Gaulle amusé ou bien avec un John Lennon perdant, par deux fois au moins, tous ses moyens ! Autant d’aventures qui ouvrent des parenthèses propices aux anecdotes. Le tout est raconté avec cette plume rock qui a fait la marque d’Yves Bigot, des colonnes de Libération aux plateaux de Rapido. Constamment replacée dans son époque, Bardot devient une figure permettant le décryptage sociologique et politique. En revanche, l’interrogation demeure : qui est Bardot ?