J’aurais voulu ne pas parler de l’islamophobie : on ne devrait pas parler de ce qui n’existe pas. Je le fais justement parce que j’entends récuser la validité de ce concept, la récuser parce qu’il assimile au racisme, ou pire à la maladie mentale, la critique d’un système de pensée. La nature d’un concept vrai, c’est son unité et celui-ci n’en a pas : il concentre la critique légitime de l’islam, la haine stupide de l’islam et sa peur (« phobie »). En nous faisant croire que tout ça, c’est la même chose.
Je le fais aussi parce que son invention trahit la lutte plus que jamais nécessaire contre le racisme et l’exclusion : je dis que l’islamophobie n’existe pas, mais cela n’empêche que des humains, en France et en Europe, aux Etats-Unis où ce racisme a récemment tué, des humains sont haïs du fait de leur naissance, de leur origine ; arabes, africains, nés dans l’islam, musulmans pratiquants ou non, ils sont rejetés par un Occident loin d’en avoir fini avec sa propre pulsion de mort – et cela est atroce, cela mérite que nous gardions les yeux ouverts.
Je le fais enfin parce que je veux pouvoir critiquer l’islam tout en en mesurant la richesse et la diversité : il y a des islams et ils ne se ressemblent pas, des musulmans eux-mêmes fort divers, une multitude d’aspects enfin qui font qu’on ne saurait parler à la légère de l’islam. Bizarrement, ceux-là mêmes qui ont imposé la rengaine du « pas-d’amalgames » sont prompts à taxer d’islamophobie la critique de tel ou tel aspect, de tel ou tel élément d’une culture pourtant bien plus vaste, empêchant ainsi tout franc dialogue d’avoir lieu.
La critique d’un système de pensée donné n’implique pourtant pas que l’on haïsse ceux qui s’en réclament. On me répondra qu’une religion n’est pas un simple système de pensée, qu’il y va du sacré et de la vie même de millions de gens, ou du sens qu’elle a pour eux. Ainsi, se moquer de la religion d’un homme revient, à ce qu’affirme le pape François, à insulter sa mère : « Par le fils dont la mère a été insultée », chantait Brassens, la vertu de la mère n’est pas chose plus innocente en Occident qu’ailleurs ! Nous ne nions pas l’existence du sacré et cet argument, pour faux qu’il soit, mérite tout de même qu’on s’y arrête.
Un système de pensée politique ou philosophique émerge à un moment donné, mais ne fonde pas à soi seul une civilisation ; c’est ce qui distingue la religion, qui est intrinsèquement civilisatrice et fondatrice de civilisations, structurant notre rapport à la transcendance et à l’être.
Insistons-y donc, le sacré résiste. Si j’écris que l’islamophobie n’existe pas, que c’est une escroquerie intellectuelle visant à nous faire taire, je ne suis pour autant ni matérialiste ni naïvement anticlérical. Le philosophe Abdennour Bidar, auteur d’une belle et très médiatisée Lettre au monde musulman, exprime à cet égard un paradoxe : nous oscillons entre « sortie de la religion » et « retour du religieux » mais si l’apport de la sortie demeure malgré ce retour, cela ne veut pas dire que nous soyons débarrassés de la religion ; au contraire, nous en sommes sortis, nous sommes nés, nous sommes hors de la matrice mais c’est là le nouveau visage de notre spiritualité, notre rapport au religieux sera désormais celui-là.
En un sens, jusqu’à la sortie elle-même, tout est religieux. Le cœur de la civilisation, c’est un certain rapport à la transcendance, à l’âme, à la mort. Rapport à la fois matriciel et conflictuel. Dialectique. Rapport à l’être et peut-être à ce qui est au-delà de l’être. On ne se débarrassera pas de ça, sauf à devenir des machines ou des animaux.
Le problème est que cet héritage dont on ne peut se défaire comporte à la fois sa bénédiction et sa malédiction. Le rapport à l’être et à la transcendance, le sentiment d’appartenance qui donne à l’homme un visage, la ritualité qui confère un nom aux choses et qui est le contraire de la banalité : chacune de ces trois dimensions comporte son revers. Le rite peut étouffer la belle vanité du réel, devenir iconoclaste ou pire, guerre déclarée à la nature, à la naïveté de la chair. L’amour de l’être pur et absolu, transcendant, tue la nature : « Les premiers chrétiens […] maudissent la Nature elle-même. Ils la condamnent tout entière, jusqu’à voir le mal incarné, le démon dans une fleur. » Ce sont les mots de Michelet au début de La Sorcière. Quant au sentiment d’appartenance, il peut si facilement être subverti en haine de tout ce qui n’est pas soi, fût-ce au nom d’une religion universelle, islam ou christianisme !
Alors, puisqu’on n’échappe pas à la religion, relisons les textes qui nous fondent – mais relisons-les comme des hommes en lutte. Aimons Job révolté contre le décret, le mektoub divin. On ne se débarrassera pas de la religion en en sortant ? A la bonne heure ! Soyons des lettrés de la religion – et des religieux insoumis. Et par-delà la religion comme système de pensée, c’est la religion comme fondement de la civilisation que nous devons pouvoir critiquer. La nôtre ou celle des autres, sans craindre de tomber dans le racisme ou la haine de soi.
A la fin de Tristes Tropiques, Lévi-Strauss livre une critique fameuse de l’islam, non seulement de la religion islamique mais bien encore de la civilisation qui en découle, de l’Islam avec un grand I. Sa critique n’est pas véhémente et elle n’implique en rien une haine des individus, elle est d’ailleurs en fait le prolongement de sa critique de l’Occident. « Ce malaise ressenti au voisinage de l’Islam », écrit-il « je n’en connais que trop les raisons : je retrouve en lui l’univers d’où je viens ; l’Islam, c’est l’Occident de l’Orient. » Et de continuer, comparant même Napoléon à un Mohammed raté, et mettant sur le même plan ces deux obsessions d’un passé morbide et figé, l’occidentale et l’islamique, ainsi que ces deux intolérances. En 1955, l’Islam, qui au même titre que l’Occident fut impérialiste de son origine jusqu’à l’ère coloniale (les franges qui le sont aujourd’hui ne font que renouer avec ce passé), est le miroir de la culture où Lévi-Strauss est né et a grandi. L’Occident prétendument civilisateur ressemble à l’Islam « qui, dans le Proche-Orient, fut l’inventeur de la tolérance » et « pardonne mal aux non-Musulmans de ne pas abjurer leur foi au profit de la sienne, puisqu’elle a sur toutes les autres la supériorité écrasante de les respecter ».
Nous parlons là de critiques légitimes mais quoi des sottises que certains disent ? Tout le monde, me dira-t-on, n’est pas Lévi-Strauss ! Voyez ce que disait Voltaire du judaïsme : il est vrai que beaucoup de ses arguments sont outrés voire tout simplement stupides, lorsque par exemple il attribue dans son Dictionnaire philosophique le sacrifice de Jephté à une disposition de la loi mosaïque. Ce n’est qu’un exemple parmi mille autres d’une critique souvent infondée et parfois ridicule.
Pourtant, deux choses. Le contexte tout d’abord. Il est évident à qui lira les pages que Voltaire consacre aux Juifs dans son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, qu’il vise surtout les chrétiens qui doivent toute leur religion à ce peuple dont, en effet, il méprise les dogmes et les pratiques. « Et ce sont nos pères ! », s’écrie-t-il par exemple après avoir énuméré les turpitudes des Juifs en Espagne, en même temps que celle des Maures et des Rois catholiques car avec lui chacun en prend pour son grade.
Alors, répondra-t-on à ce premier point, c’est peut-être précisément là la limite de l’anticléricalisme « légitime » et de l’islamophobie. J’ai beaucoup entendu cet argument aux Etats-Unis. Il reflète l’un des plus graves défauts intellectuels de la gauche culturelle pseudo ou postmarxiste, qui consiste à tout ranger de part et d’autre d’une ligne qui opposerait à toutes les époques et en tout lieu un avatar de la « bourgeoisie » à un avatar du « prolétariat ». Avec la pensée « postcoloniale », les mots de « Blancs » et de « Noirs » remplacent ces anciennes déterminations sociologiques. De sorte qu’on peut non seulement récuser, comme le font en France les Indigènes de la République, qu’il y ait du racisme contre les blancs (puisque le racisme n’intéresse qu’en tant qu’arme des puissants, c’est-à-dire nécessairement des « Blancs », contre les faibles), mais encore entre non-blancs. Et a contrario, l’anticléricalisme ne serait valable qu’en tant que dirigé contre une religion puissante, celle du « pouvoir », mais pas contre la religion des damnés de la terre.
C’est un peu vite oublier tous les « opprimés » de culture ou de religion chrétienne, y compris dans la France d’aujourd’hui, mais aussi partout dans le monde, qui frémiraient en voyant les caricatures que Charlie a pu faire de Jésus ou de Marie, récemment encore. Et c’est oublier surtout que cette ligne de partage n’a aucune pertinence et ne vise qu’à permettre d’autres formes d’oppression en nous voilant que le pouvoir est foncièrement partout : chez nous par exemple en témoignent les femmes vouées au silence et à l’anonymat du niqab, les Juifs molestés, les élèves qui ne peuvent apprendre en paix Darwin ou l’Affaire Dreyfus ou encore étudier des images de nus en cours d’arts plastiques « car c’est contraire à l’islam » ; et ailleurs, ce sont, dans ces merveilleux pays du Golfe qui synthétisent le pire du capitalisme et le pire de l’arriération religieuse, les esclaves philippins ou pakistanais, ce sont ailleurs les crimes d’honneur ou les droits bafoués des homosexuels, pour ne rien dire de l’excision en Egypte, des Mille et Une Nuits censurées, de la peine capitale pour ceci ou cela, de la haine négrophobe au Maghreb, au Soudan ou au Moyen-Orient, des meurtres ou des tortures réservés aux « apostats », des génocides, de l’abjection sans nom de l’Etat Islamique… Toutes ces victimes, tous ces opprimés, y compris ceux qui ont fui cela et n’ont trouvé que la France de Voltaire pour asile, n’ont-ils donc pas droit à ce que la laïcité que Tarik Ramadan et Edwy Plenel appellent « islamophobie » leur vienne en aide ?
Le second point concernant Voltaire est que, pour bête ou franchement peu nuancée que soit sa critique, il fait généralement une distinction entre le jugement, défavorable, qu’il a du judaïsme, et celui qu’il a des individus. Les individus, c’est-à-dire les Juifs, les Juifs réels, les Juifs de son temps. La scène la plus célèbre de Candide n’est-elle pas celle d’un cruel autodafé où des marranes meurent suppliciés pour avoir respecté des rites crypto-juifs ? Et voici ce qu’il répondait, toujours un peu agaçant de « bel esprit », mais, je crois, de bonne foi, à l’abbé Guénée qui, sous le masque de « quelques Juifs portugais, allemands et polonais », s’était adressé à lui en un ouvrage fameux : « Loin de vous haïr, je vous ai toujours plaints. Si j’ai été quelquefois un
peu goguenard […] je n’en suis pas moins sensible. Je pleurais à l’âge de seize ans quand on me disait qu’on avait brûlé à Lisbonne une mère et une fille pour avoir mangé debout un peu d’agneau cuit avec des laitues le quatorzième jour de la
lune rousse ; et je puis vous assurer que l’extrême beauté qu’on vantait
dans cette fille n’entra point dans la source de mes larmes, quoiqu’elle
dût augmenter dans les spectateurs l’horreur pour les assassins, et la
pitié pour la victime. »

Là est la limite. La critique de la religion est en effet parfois glissante. On naît dans la foi et les rites de ses parents, de sa communauté. Rares sont ceux qui s’y arrachent. Bien souvent, la réflexion personnelle la plus sophistiquée ne vise qu’à fonder a posteriori cette foi dont on a hérité. Par conséquent, s’il est bon de rappeler que le racisme et la haine religieuse sont différents parce que les gènes, la peau ne relèvent aucunement du choix, de l’invention de soi, de l’autocritique, de la pensée personnelle, tandis que c’est en partie le cas de la foi, il est bon aussi d’insister sur ce « en partie » : même s’ils le peuvent virtuellement, la plupart des gens ne remettent pas en question leur appartenance. Haïr les musulmans ne serait pas exactement comme haïr les communistes ou les végétariens : une telle haine, religieuse, tient le milieu entre la classique et bête intolérance, et le racisme. En fin de compte, c’est d’ailleurs aussi parfois le défaut de Voltaire. Ne pas oublier que nous nous trompons sur tant de choses autant que les autres, quoique sur des points différents peut-être, que l’erreur fait de nous des frères, devrait être notre viatique contre ce risque-là.
Il n’en demeure pas moins que juif, j’écoute avec attention les critiques qui sont adressées à ma religion et même à l’histoire de mon peuple. Certaines m’intéressent et je dois dire que les Juifs n’ont pas attendu Voltaire ou ses épigones pour se les faire à eux-mêmes. Certaines me semblent fausses ou absurdes mais peu importe : dites que la circoncision est barbare, que la kashrout est un tissu d’aberrations ou que Moïse ne fut qu’un boucher (le mot est, si je ne m’abuse, dans l’Essai sur les mœurs), mon jugement est ce qu’il est, je vous répondrai, avec force s’il le faut, mais je veux que vous puissiez le dire. Invoquez la polygamie ou l’adultère du roi David pour décrédibiliser ma religion, votre argument choquerait ma raison parce qu’on ne prouve rien ainsi (de même que la psychanalyse ne pâtirait pas du penchant de Freud pour la cocaïne, de même qu’on ne saurait contredire les marxistes en invoquant la bonne que Marx engrossa), mais ce faisant, n’en déplaise au pape, vous n’insultez pas pour autant « ma mère », vous ne faites que solliciter mon amour de la discussion, du questionnement et de l’autocritique.
Eh bien ! Je veux de même, moi, pouvoir dire que Mohammed fut un âne et un pédophile, ou même un boucher lui aussi, tel Moïse – au moins selon Voltaire. C’est un droit que je réclame et appeler cela « islamophobie » relève de la pure et simple mauvaise foi. Je concède que traiter l’époux d’Aïcha de « pédophile » ne serait pas plus intelligent du point de vue théologique et historique que de dénigrer la Torah à cause des mœurs d’Abraham ou de Jacob, de David ou de Salomon ; la vérité est d’ailleurs qu’en lisant le Mahomet de Voltaire, j’éprouve un sentiment de gêne : le dramaturge y a bien « prostitué » le caractère d’un bâtisseur de civilisation « par les intrigues les plus basses » et ce n’est pas à son honneur. Ces mots seraient de Napoléon, admirateur de Mohammed et amoureux de la culture islamique. Ils sont au moins partiellement justes, et néanmoins, le droit est et doit rester en l’espèce du côté de Voltaire.
D’autre part, je peux sans avoir à invoquer les histoires de fesses du « Prophète » ou son idée de la majorité sexuelle féminine à l’évidence différente de la nôtre (il vécut après tout au VIIe siècle et en écrivant ces mots, il me revient que ma propre arrière-grand-mère, juive algérienne, s’est mariée à quinze ans à peine à un homme de quinze ans son aîné : « let us judge not, that we be not judged »), je peux sans aller jusqu’à ce type de bassesse, le tenir pour médiocre théologien, penser comme Houellebecq il y a quelques années que la religion qu’il fonda est « la plus con du monde » – ou me ranger au contraire à l’avis de tant de grands esprits : Gide, Massignon, tout l’orientalisme et l’islamologie des XIXe et XXe siècles qui comptèrent d’ailleurs, il n’est pas mauvais de le rappeler, un nombre écrasant de savants juifs, Guénon, Corbin et une foule d’autres, tous ceux qui en perçurent les beautés. Je peux rester insensible à l’esthétique littéraire du Coran, ou au contraire, tel Robert Rediger, le président d’université converti à l’islam dans Soumission, m’en délecter. Je fais ce que je veux, un point c’est tout, et l’antiracisme n’a pas à m’être opposé.

Les religions elles-mêmes passent au reste leur temps à s’insulter les unes les autres : le Coran n’est pas plus tendre avec les Juifs et leurs arguties talmudiques, que le Talmud et ses commentaires avec les païens ou « Yeshu », ou que les sources chrétiennes dans leur ensemble ne le sont avec ceux qui n’ont pas accepté l’amour christique. C’est ainsi et si l’on en restait à ces violences stylisées, il y aurait plus de bien que de mal.
Alors j’interroge : n’est-il pas permis de questionner l’islam, de se demander s’il n’y a pas un « problème » de l’islam ? Chaque religion a le sien, un problème qui est souvent l’autre face d’une qualité neutre ou même positive. Par exemple, l’amour du prochain, du frère, peut dériver dans le judaïsme en un étroit particularisme. Au contraire, l’amour universel du christianisme a pu prendre la forme d’un amour indifférencié, fusionnel et abstrait, volontiers assassin : de Torquemada aux Soviets et bien sûr au nazisme, on coupe tout ce qui dépasse, c’est l’un des vieux fantasmes de l’Occident. Eh bien ! je me demande si l’islam n’a pas tout d’abord le problème de sa naissance violente : il y eut les Croisades et l’Inquisition mais on ne peut retirer au christianisme qu’il fut en premier lieu une religion de persécutés et non de guerriers ; quant au judaïsme en tant que tel, il est né avec l’exil et le choix d’une vie où la guerre sainte de l’étude remplaça la guerre de Josué dont on ne peut dire sans anachronisme qu’elle fût juive. Il n’y a pas que la violence et la conquête à la naissance de l’islam : dans le Coran le pacifisme mecquois s’entremêle aux sourates médinoises agressives, mais l’existence de cette agressivité est un problème et il faut pouvoir le dire.
Un autre problème serait, je crois, le doute, ou plutôt son absence. Le messie des chrétiens demande à Dieu pourquoi Il l’a abandonné, citant en fait le Psaume 22 : s’il y a un homme judéo-chrétien, cet homme doute. Il se révolte même parfois contre Dieu, voyez le Livre de Job. Dans le judaïsme postbiblique, son interprétation de la Loi permettra au doute qui l’habite de trouver une efficience : « La Loi n’est pas au Ciel » rétorque un sage du Talmud, en un passage célèbre du traité juridique Baba Metzia, à une voix céleste venue départager les maîtres en pleine controverse rituelle. Et juste après, Dieu est mis en scène, riant, riant littéralement et disant : « Mes enfants m’ont vaincu ! » Je me demande dans quelle mesure cette place faite au doute dans le retrait de Dieu, à la révolte et donc à l’homme, est possible dans l’islam. Je souhaite qu’elle le soit.
L’idée que je me fais du dialogue est aussi celle-ci, une lutte où les mots, les questions qui dérangent, l’humour dont manquent si cruellement ceux qui veulent « venger le Prophète » auraient remplacé les poings et les armes. « Si je confère avec une âme forte et un roide jouteur, il me presse les flancs, me pique à gauche et à dextre », proclame Montaigne dans De l’art de conférer. Ecoutons-le et refusons l’asepsie du discours que voudraient les adeptes du politically correct, de cette fausse éthique dont le but est de transformer la controverse, divine, en une bien pauvre juxtaposition d’impressions et d’opinions qui ménagerait la susceptibilité de l’autre. Je veux être tourmenté dans mes croyances, elles sont douteuses : qu’on m’en fasse donc douter, qu’on m’agace, qu’on me blesse par les mots – tant qu’on ne me refuse pas d’être un homme, et c’est là d’ailleurs le prix à payer pour être homme. Loin de vouloir effacer la grande bigarrure humaine, je la prends au sérieux, c’est pourquoi je ne veux voir l’islam ni comme un intouchable trésor, trop exotique ou trop numineux pour qu’on puisse en parler, ni comme un tissu de naïvetés ou une religion de « bons sauvages ». Frères humains, nous ne partageons pas un « vivre-ensemble » qui ne veut rien dire mais bien l’erreur et la recherche de la vérité : sachons-le et parlons-nous dès lors sans pusillanimité.

Un commentaire

  1. À cinq reprises dans cet article, David Isaac Haziza assimile l’islam à un « système de pensée » (expression chère à l’ENS-Ulm) ; je récuse ce qualificatif pour des croyances archaïques, apparues en Asie mineure il y a quinze siècles, entées sur des croyances encore plus anciennes et plus obscurantistes, et figées depuis. Croire, ce n’est pas ce qu’on appelle penser.

    Le fondement de la civilisation française, c’est Homère et Hésiode, les Présocratiques, Socrate et Platon, Aristote et les Stoïciens, les sciences mathématiques, physiques de Pythagore, Euclide et Archimède. Enfin le théâtre grec, l’histoire d’Hérodote et de Thucydide, la poésie, la littérature et le droit romains, l’architecture de Vitruve ; pas les Testaments, ni Torah ou Talmud, ni le Coran.