Olivier Cousi, avocat associé au cabinet Gide-Loyrette-Nouel, est un des ténors du barreau parisien. A l’heure du projet de réforme des professions réglementées, dit loi Macron, qui agite le monde juridique (nouveau statut d’avocat exclusivement en entreprise ; ouverture du capital des cabinets à des tiers extérieurs ; extension de la postulation territoriale) et à laquelle s’oppose la Ministre de la Justice elle-même, Olivier Cousi, qui fait figure d’autorité morale dans le monde des avocats, a été sollicité par ses pairs pour l’élection au poste de Bâtonnier puis a choisi de ne pas se présenter. Attente de jours meilleurs ? Acte de « résistance » silencieuse ? Retenue d’un sage tout de réserve, en ces temps de mêlée ouverte, en politique et ailleurs, pour les fonctions suprême ? Voici sa profession de foi. A lire comme un témoignage d’époque. G.H.


Certes, une telle déclaration est d’un intérêt assez relatif, mais, puisqu’on m’a dit candidat et que certains ont même eu la gentillesse de me le demander, je confirme que j’ai l’ambition d’être élu bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Paris mais que je ne serai pas candidat aux prochaines élections désormais prévues en juin 2015.
Il y a 29 ans, lorsque je suis devenu avocat, la voie était rude mais tracée, notre métier exigeant mais incontesté. Pour nous, jeunes avocats, de grands anciens comme le bâtonnier Claude Lussan avaient fixé sereinement un cap pour la profession, le ciel était sans nuage.
Aujourd’hui notre profession elle-même est remise en cause ; l’accès au droit semé d’obstacles ; notre déontologie contestée dans son principe ; les institutions représentatives bousculées en interne comme en externe ; la collaboration libérale essoufflée et précarisée ; le secret professionnel assimilé à un instrument de fraude et de dissimulation. L’avenir semble incertain, sombre et trop souvent précaire et je souffre d’entendre chez nos jeunes confrères les peurs ou le ressentiment de ceux qui ne se sentent plus impliqués dans ce que devient leur métier.
Nos institutions ordinales commencent à procurer le même désenchantement que le monde politique. Pourtant nos élections ne sont que « professionnelles », ne les laissons pas envahir par la tentation des calendriers fluctuants, les querelles d’ego ou la contestation populiste, il ne suffira plus de filer l’anaphore : « Moi bâtonnier… Moi bâtonnier… ». Face à cette dictature du présent et de la vitesse, ce « présentisme » que dénonçait Paul Virilio, on ne peut qu’accélérer pour rester devant ou ralentir et se faire dépasser. J’ai donc choisi de me laisser dépasser.
Entre coller sans cesse des rustines ou analyser et comprendre les mutations profondes et contribuer à bâtir un projet collectif pour des avocats qui disposent de toutes les ressources pour s’adapter, j’ai fait mon choix, il n’a pas été difficile. Au cours des dernières semaines, soutenu et encouragé par mes proches et mes associés et par un nombre important de confrères de tous horizons, j’ai eu la satisfaction de constater que ma volonté de devenir bâtonnier en empruntant ce nécessaire long chemin était réaliste et légitime.
Et parce que je suis aussi marin, je vais donc entreprendre de cartographier le grand archipel de notre profession, si riche de sa diversité, sillonner les ports de commerces comme les baies désolées et prendre le temps de rencontrer ceux de mes confrères qui le souhaiteront, pour recueillir et porter leurs attentes mais aussi comprendre les blocages et faire connaître leurs réussites si variées et souvent trop discrètes.
Du temps est nécessaire pour bien appréhender les enjeux, recueillir les avis, solliciter les débats et soutenir les initiatives qui s’offrent à une profession mouvante, attachante et dynamique dont les acteurs individuels, institutionnels ou syndicaux montrent une énergie rafraîchissante et communicative ainsi que de grandes capacités d’innovation, de recherche et de développement.
Même si notre exercice professionnel doit sans cesse évoluer pour prendre des formes différentes et nouvelles, le coeur de notre métier ne change pas. Il s’agit, dans le respect d’une déontologie exigeante, de mériter la confiance de nos clients en leur permettant de bénéficier de la défense, de l’assistance et du conseil auxquels ils ont droit, les mieux adaptés à leurs besoins et à leurs ressources, mais avec ouverture et pragmatisme concernant les outils, les structures et les partenariats lorsqu’ils sont pertinents.
Le génie de notre profession a toujours été de savoir créer cette alchimie subtile de l’association de talents individuels, individualistes et même concurrents, pour provoquer le meilleur de nous-mêmes.
J’ai confiance en nos ressources et cette lente traversée du paysage des avocats pendant les mois qui viennent, m’apparaît nécessaire pour tenter de contribuer utilement à son avenir tel qu’il se dessine pour les générations nouvelles. Je ne serai pas seul, mon but est de rassembler les bonnes volontés, de faciliter les échanges, de créer des opportunités de rencontre, car je crois à la transmission et à l’intelligence collective qui ont fait le succès et la modernité sans cesse renouvelée de notre profession.
Dans les prochaines campagnes électorales qui commencent je ne prendrai pas parti, je sais pour les connaître que tous les candidat(e)s sont sincères et ont à cœur de mettre leur expérience au service de notre profession, mais je serai très vigilant et attentif à ce que les valeurs d’excellence, de transmission, de confiance, de bienveillance et de solidarité qui fondent ma fierté d’être avocat, demeurent.
Mes chers confrères, j’aurai donc provisoirement l’honneur d’écouter simplement votre voix.