S’il en est un qui doit voir les choses du bon côté, c’est M’sieur Zinzin. Chroniqueur nationalement connu, à cheval entre Itélé, France 2 et RTL, il est l’incontournable de ces derniers jours télévisés et radiophoniques. M’sieur Zinzin, c’est le Facteur-X de notre PAF. Sur ton antipathique et rouspéteur, il rêve du passé et nous promène dans une France semblable à celle sous l’occupation, celle du légendaire Pétain. Rien qu’à imaginer, ça donne envie. Un véritable séjour au paradis. Le Maréchal Zinzin donc, donne ses impressions sur les temps qui courent. Il ravive les fantasmes d’un monde surréaliste où au XXIème siècle en France, les arabes et les noirs n’auraient leur place qu’en Afrique, la France hors de l’Europe et les femmes à la maison. Un vrai cauchemar de retour en arrière. La vision d’une époque – lointaine – où M’sieur Zinzin se sent comme un poisson dans l’eau. Qui, en ce temps, serait jamais plus heureux que lui ?
Non seulement M’sieur Zinzin regrette une France d’antan et met à mal ce qu’il appelle la féminisation de la France, mais en plus, on lui tend l’oreille. Paradoxalement, son soutien le plus éminent est une femme à la tête d’un parti politique et qui n’a pas l’intention, elle, de camper dans sa cuisine puisqu’elle prétendrait aux plus hautes fonctions de l’Etat. Du grand délire. M’sieur Zinzin défie les lois de l’absurdité – si tant est qu’il y en a – si bien qu’il en est surmédiatisé, écouté et accoté. En conséquence, les ventes de son dernier livre gonflent à tel point qu’il sucerait désormais la roue de l’actuel best-seller en ce début d’année littéraire, signé par notre ex-première dame. Misère, misère. Mais alors comment cela se fait-il ? Comment expliquer ce don d’ubiquité médiatique qu’a M’sieur Zinzin ? Plusieurs méthodes d’analyse peuvent expliquer ce phénomène, des plus fantasques aux plus ordinaires. Pour l’heure, revenons brièvement sur les dessous structurels de l’avènement d’un genre médiatique sans goût.
L’affaire commence dans les années 1970 et l’ouverture des grands médias à la concurrence. Les taux d’équipement de radio et télé des ménages explosent, ce qui se traduit par une augmentation de la consommation médiatique – et culturelle. Dans la foulée des années 1980, des chaînes privées sont mises en service et on lance des programmes innovants. Ce n’est pas rien mais ce n’est pas tout. Les médias traditionnels, dorénavant tournés vers la conquête du marché publicitaire, sont soumis à une rude course à l’audience. Un nouveau modèle économique est de rigueur. On s’enthousiasme pour les études de marché, les tests d’impact, les indicateurs de performance, etc. Tout ceci grandit au fil du temps et des années 1990, durant lesquelles les méthodes de management et de gestion s’incorporent dans les entreprises médiatiques.
Mais on n’a encore rien vu. Années 2000. Les médias entrent dans l’ère du capitalisme. Les actionnaires doivent désormais créer de la valeur et répondre à l’augmentation de la Demande. En Parallèle, émergent Internet pour tous et de nouveaux supports naissent. Principale génératrice de revenus, la pub se fait de plus en plus ciblée sur la toile et le « hors média ». Avec une audience parsemée, les mass media, en premier lieu, se retrouvent largués sur le bord de la route par les annonceurs.
A mesure que les chaînes se multiplient, le déficit de différenciation des programmes s’accroît proportionnellement. Car faute d’annonceurs, il faut réduire leurs coûts et les idées qui vont avec. Pour répondre aux transformations liées aux avancées technologiques, les médias cèdent aux stratégies commerciales et de marketing, avec notamment l’orchestration du clash entre des chroniqueurs-journalistes lanceurs de jugements rapides et outranciers. Bienvenue à l’ère du grand n’importe quoi télévisuel. On veut faire de la télévision un espace de convivialité et du pouvoir-opiner sans conséquences. De fait, quand ce ne sont pas des chroniqueurs et animateurs rois autoproclamés de la balourdise qui gambadent sur nos écrans, certaines émissions accouchent de feuilletonistes impertinents et indécents, présentés comme des spécialistes de l’analyse des faits sociétaux et politiques, n’hésitant pas à refaire l’histoire de France en bricolant grossièrement les faits. Et, à ce petit jeu du politiquement incorrect, M’sieur Zinzin en connaît un rayon.
Alors, lassé d’énormités, on zappe sur un panel de chaînes toujours plus grand. Les télécommandes s’accumulent sur notre canapé mais on regarde de moins en moins son programme. Et puis un jour, on ne le regarde même plus. Ensuite, c’est le programme qui vient à nous par le moyen qui a fait qu’on ne le regarde plus : Internet. Sur Internet et les réseaux sociaux, le clash de la veille est relaté et débattu par les internautes. Car ce clash, malgré tout, des courageux l’ont regardé hier soir et peuvent en témoigner. On refait le match comme à la récré. Et comme dans une cour élémentaire, il se dit de tout et surtout n’importe quoi. Bingo ! Le mélodrame médiatique prend et M’sieur Zinzin décroche le pompon. Le champion, c’est lui.
Nous sommes en 2014. La France a peur. Alors la télévision balance plus que jamais du M’sieur Zinzin à tout berzingue aux heures de grande écoute : homophobie, xénophobie, racisme, sexisme et tout le tintouin. Avec en accompagnement, la mine faussement choquée et un sourire en coin grand comme ça de l’animateur – et producteur du concept – soucieux de ne pas ennuyer son public. Qu’importe, les audiences lui disent « Oui » et l’audimat est le seul gage de succès. De quoi sérieusement s’interroger sur la nature du rôle de certaines émissions d’infotainment, de leurs producteurs en vogue, des membres de conseil des programmes et autres tenants des leviers de commande, censés être au service de la promotion socio-culturelle. Mais bon.
Toutefois, n’ayons crainte. Car si le discours de M’sieur Zinzin remporte un franc succès, il reste proprement dit médiatique. Il est chiffré et représente avant toute chose – l’opinion des français par exemple – une courbe qui monte et qui descend pour les études d’audience. Tant sa parole est rance, osons-nous follement espérer qu’elle ne relève pas immédiatement de sa pensée mais plutôt d’un processus de scandalisation du téléspectateur ? Permettons-nous d’émettre l’hypothèse. Et si M’sieur Zinzin n’était pas cet opinionway que l’on veut nous montrer ? Quelque part, peut-être n’adhère-t-il pas lui-même à ses propos ? Imaginons qu’il s’en persuade pour faire plus vrai à la télé mais même lui, au fond, n’y croit pas. Le monde presque tout entier s’acharne contre M’sieur Zinzin sans essayer de le comprendre mais il ne fait que son boulot après tout ! Il sème la zizanie. Ni plus ni moins. C’est simplement une histoire d’audience, on vous dit. Convenons-en : son néo-réactionnisme-là, quand bien même qu’il fait des petits et vend des livres, ce n’est pas pour aujourd’hui en France. Ni pour demain. Dormons tranquille.