Réponse à l’entretien de Jean Genet avec Juan Goytisolo paru hier sur le site de La Règle du jeu.
Oui, Jean Genet est un grand écrivain, un grand dramaturge, un grand poète. Oui, il a eu l’immense mérite de combattre cette chape de plomb homophobe façonnée par des siècles d’idéologie chrétienne dominante et alourdie par les valeurs bourgeoises de la famille patriarcale. C’est ce même combat qui a été repris et décuplé en Mai 68 et qui a partiellement triomphé au cours des décennies suivantes. Nous nous sommes battus contre cette société hypocrite qui obligeait les homosexuels à se cacher. Nous nous sommes battus, nous les soixante-huitards, ou du moins certains d’entre nous, contre les mœurs conservatrices de la France traditionnelle – ce qui nous valut, à l’époque, d’être considérés comme « l’anti-France » par les défenseurs de valeurs rances au nom desquelles, par exemple, le viol n’était perçu que comme un vague délit, dont la responsabilité, à leurs yeux, incombait surtout aux femmes et à leur foutues mini-jupes qui aguichaient les hommes. Ces patriotes d’une France éternelle enracinée dans le terroir prophétisaient à l’Occident un avenir de décadence qu’auraient rendue inévitable l’égalité des sexes, le rock and roll, la pilule et le droit à l’avortement, la dépénalisation du cannabis, la pédagogie moderne… On les retrouve, aujourd’hui, dans les mobilisations dites «la manif pour tous», qu’il faut traduire par «non aux mêmes droits pour tous».
On doit d’ailleurs regretter, au passage, qu’un certain néo-tiers-mondisme, un «anti-impérialisme» dévoyé s’oppose aujourd’hui aux luttes féministes et anti-homophobes sous prétexte d’un respect des traditions – notamment religieuses. C’est ainsi, hélas, qu’une partie de la gauche et de l’extrême gauche récuse l’universalité des droits de l’homme qui ne serait qu’une facette de «l’impérialisme culturel occidental». L’homosexualité serait la preuve de la dégénérescence de la société des Blancs.
Jean Genet a été un précurseur en ce qui concerne la liberté d’être homosexuel. Mais il a aussi, malheureusement, été un précurseur dans l’antisémitisme d’extrême gauche. Son soutien aux Palestiniens, qu’il assimile, notamment dans cette interview, aux Noirs américains, était inextricablement mêlé à sa haine des Juifs, en lesquels il voyait les représentants du «Bien», un «Bien» qu’il confondait avec certaines des normes morales – effectivement oppressives et asphyxiantes – de la société occidentale de l’époque. L’ami Eric Marty a parfaitement analysé et dénoncé cet antisémitisme de l’auteur de Notre-Dame-des-Fleurs.
On remarquera aussi, dans les réponses que donne tout au long de l’interview celui que Sartre avait baptisé, en 1952, Saint Genet, comédien et martyr, une pénible idéalisation du Black Panthers Party. Il occulte complètement ses mœurs violentes (notamment lorsqu’il s’agissait de régler à coups de carabine les différends internes), le machisme dans lequel baignaient la plupart des membres du parti, les rivalités pitoyables entre les chefs… De la même façon Genet devait par la suite exalter le terrorisme de la bande à Baader. La fascination pour la violence viriliste peut s’accepter dans les relations érotiques privées. Transposée en politique elle aboutit tout droit dans les immondices fascistes.
Le document publié par La Règle du jeu est passionnant à plus d’un titre. Il est en effet révélateur d’une démarche annonciatrice des dérives d’une radicalité gauchiste qui déformera l’engagement légitime en faveur des opprimés du monde en le confondant avec la haine des principes d’une société démocratique – à laquelle aspirent légitimement les damnés de la terre.

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