L’ex-otage Pierre Torres n’a pas remarqué que la tuerie de Bruxelles ciblait les Juifs. Mais Edwy Plenel fait pourtant son éloge.
Pierre Torres est l’un des quatre Français que les jihadistes sanguinaires de l’Etat islamique détenaient en Syrie. Il a été libéré en avril dernier, en même temps que les grands reporters Didier François et Nicolas Hénin, et que le photographe Edouard Elias. Ils ont subi des mois de captivité dans des conditions délibérément cruelles. Comme quelques centaines d’autres j’avais participé aux mobilisations de solidarité en leur faveur. J’ignorais absolument qui était Pierre Torres. Je l’ai découvert en lisant la tribune qu’il a publiée dans Le Monde le 17 septembre. Et je me rends compte que c’est un petit gars vaguement gauchiste maniant cette rhétorique très particulière qui consiste à occulter le caractère spécifiquement antisémite d’un acte criminel, comme on va le voir plus loin.
Je tiens à préciser que même si j’avais su cela, j’aurais manifesté pour sa libération – question de principe – et je ne regrette donc évidemment pas de l’avoir fait. Mais maintenant que, sain et sauf, il s’exprime publiquement, force est de constater, à la lecture de son texte dans Le Monde, que, tout ex-otage des barbares islamistes fanatiques qu’il soit, il se place dans le camp qui atténue la culpabilité des assassins venus d’ici renforcer les rangs jihadistes en les définissant comme victimes de la société que ces assassins haïssent et veulent détruire, en commençant par les Juifs. Il faut donc, après l’avoir sauvé, le combattre. Il faut donc, après s’être mobilisé en sa faveur, se mobiliser contre les propos qu’il tient.
Pierre Torres, qui se présente comme journaliste, a cru de son devoir de dénoncer la publication dans la presse des informations révélant que Mehdi Nemmouche, soupçonné, à partir de multiples indices, d’être l’auteur des quatre assassinats au Musée juif de Bruxelles, n’était autre que l’un des geôliers affectés à sa surveillance ainsi qu’à celle des trois journalistes français. On peut penser, ou non, que cette fuite dans la presse n’était pas une bonne chose, notamment parce qu’elle risque d’aggraver le sort des autres Occidentaux toujours entre les mains de l’Etat islamique. Mais l’ex-otage en conclut, au terme de raisonnements au fort fumet conspirationniste, «avoir commis une erreur en collaborant avec le service de police politique qu’est l’antiterrorisme». Libre à lui de considérer que la DGSI est une «police politique». Libre à lui d’estimer qu’il est nuisible pour ceux qui sont toujours détenus par les jihadistes de collaborer, une fois qu’on a été libéré, avec les services français. (On pourrait faire remarquer ici que ce ne sont pas les fuites concernant Nemmouche qui ont conduit les tueurs de l’Etat islamique à décapiter les otages James Fowley, Steven Sotloff et David Haines. Passons…) Mais Torres déballe le fond de sa pensée en évoquant son ancien geôlier : «Ce qu’il incarne, c’est une forme particulièrement triviale de nihilisme. Il est, à cet égard, un pur produit occidental, labellisé et manufacturé par tout ce que la France peut faire subir à ses pauvres comme petites humiliations, stigmatisations et injustices.»
On y est. Nemmouche est «un pur produit occidental». Ben voyons. On a là exactement la même misérable prose qui pullule sur tous les sites islamistes et sur ceux d’une partie de l’ultra-droite, celle qui pêche dans les eaux troubles de cet «anti-impérialisme» qui n’est que la haine des sociétés démocratiques occidentales. Logique, dès lors, de regretter d’avoir donné des informations à la DGSI : n’est-elle pas au service de cet infâme Etat français qui fabrique les Nemmouche ?
Plongeant plus loin encore dans l’ignominie, l’ex-otage revient sur la personnalité du suspect de la tuerie de Bruxelles. Il le décrit comme «un pauvre type qui assassine des gens pour passer à la télé». Nemmouche assassine donc «des gens», juste «des gens». Torres écrit encore : «Nemmouche n’est pas un monstre. C’est un sale type, narcissique et paumé, prêt à tout pour avoir son heure de gloire. Ses raisons d’aller en Syrie se rapprochaient probablement plus de celles qui, à un certain degré, mènent des adolescents américains à abattre toute leur classe ou certains de nos contemporains à participer à une émission de télé-réalité, qu’à une quelconque lecture du Coran.» Voilà donc le portrait que Torres fait de Nemmouche : un «sale type», certes, mais qui cherche simplement à se faire connaître en commettant des crimes.
Jamais Torres n’évoque sur qui précisément Nemmouche est légitimement soupçonné d’avoir tiré dans la capitale belge. A-t-il choisi ses victimes au hasard ? Pas le moins du monde. Cette ordure n’est pas allée décharger sa mitraillette à l’Atomium. Il n’est pas allé faire un carton rue des Bouchers, la fameuse et toute petite artère où, sur 200 mètres, se pressent des milliers de Bruxellois et de touristes. Il aurait pu faire là un carton extraordinaire, en trois rafales il aurait pu tuer une cinquantaine de personnes. Mais le «narcissique et paumé» a choisi une cible très particulière : le Musée juif. Tout comme Mohammed Merah est allé faire son carnage toulousain dans une école juive. Pierre Torres, aveugle et sourd (volontaire ?) que vous êtes, vous faites partie, que vous vous en rendiez compte ou non, de cette masse redoutable des complices de l’antisémitisme, ces complices par occultation, ceux qui ne l’entendent ni ne le voient jamais lorsqu’il hurle, lorsqu’il s’affiche en lettres de sang.
Mais il y a sans doute plus grave encore. Car Monsieur Pierre Torres a trouvé un allié de poids après la publication de son article. C’était vendredi 19 septembre à l’émission Ce soir ou jamais (voir à partir d’1h17’). Cet allié n’était pas l’un de ces bruns-rouges régulièrement invités sur le plateau. Non, c’était un homme honorable, un grand journaliste, c’était Edwy Plenel. Lequel a osé affirmer que les lignes de l’article dépeignant Nemmouche comme n’étant qu’une victime des injustices et humiliations que la France fait subir à ses pauvres constituaient «le passage le plus digne et le plus fort de cet article» (voir l’émission à 1h18’12’’)». D’aucuns jugeront que le soutien élogieux de Plenel aux assertions de Torres n’a rien de surprenant, au regard de ses analyses politiques. Pour ma part l’entendre dire ça m’a laissé pantois. Stupéfait et anéanti. Ainsi donc un homme cultivé, un journaliste exigeant, un citoyen se réclamant de la démocratie la plus rigoureuse peut en arriver à faire l’éloge d’une vision négationniste qui, encore et encore, occulte qu’un assassin a ciblé des Juifs uniquement parce qu’ils étaient juifs – une vision négationniste qui, cohérente avec elle-même, conclut que cet assassin est, en fait, lui, une victime.
Dans sa tribune au Monde, celui qui est heureusement revenu vivant des prisons de l’Etat islamique prétend analyser les intentions qu’auraient eues les auteurs de la fuite dans la presse concernant le fait que Nemmouche était l’un des gardiens – particulièrement brutal d’ailleurs – des quatre Français : « « Jeune-délinquant-Arabe-Syrie-attentat-France-terrorisme-antiterrorisme”, toute l’artillerie sémantique est déballée afin de finir de nous convaincre que nous avons toutes les raisons d’avoir peur.» Non, toi,Torres, personne ne va te convaincre d’avoir peur. D’abord parce que, pendant tes mois de captivité, tu as eu ton compte de peur ; tu es vacciné en quelque sorte ; il t’a fallu, j’imagine, une résistance morale à toute épreuve pour tenir et t’en sortir. Mais, par ailleurs, pourquoi aurais-tu peur d’un prochain Nemmouche ou d’un nouveau Merah ? A moins que tu sois juif, tu n’es pas spécialement dans le collimateur de ces malheureuses victimes de l’horreur occidentale. Tu ne le sais peut-être pas, et Plenel non plus, mais certains otages de l’Etat islamique ont été obligés de réciter la prière chrétienne du Notre Père. Pourquoi ? Parce que leurs ravisseurs voulaient être certains qu’ils n’étaient pas juifs. Tu vois, Torres, là ce n’était pas exactement comme dans un jeu de télé-réalité. C’était tout simplement traquer du Juif. Comme à Bruxelles. Un détail de l’histoire, sans doute.
Post-scriptum. On apprend ce lundi 22 septembre que l’Etat islamique, en réponse aux frappes aériennes américaines et françaises contre ses positions, a lancé un appel à ses partisans à travers le monde pour tuer, notamment, des Français : «La meilleure chose que vous puissiez faire est de vous efforcer de tuer tout infidèle, qu’il soit français, américain ou d’un de leurs pays alliés». Le porte-parole des jihadistes donne quelques conseils pratiques : «Si vous ne pouvez pas trouver d’engin explosif ou de munition, alors isolez l’Américain infidèle, le Français infidèle, ou n’importe lequel de ses alliés. Ecrasez-lui la tête à coup de pierre, tuez-le avec un couteau, renversez-le avec votre voiture, jetez-le dans le vide, étouffez-le ou empoisonnez-le.» Certes les fanatiques de l’Etat islamique haïssent tout particulièrement les Juifs, mais ils considèrent donc désormais que n’importe quel ressortissant français est une cible légitime. Un peu inquiétant, non ? N’est-ce pas là, mais pour de bon cette fois, «toute l’artillerie sémantique» destinée à «nous convaincre que nous avons toutes les raisons d’avoir peur» ? Mais il y aura certainement d’autres braves petits gars vaguement gauchistes pour venir nous expliquer qu’il n’y avait qu’à ne pas aller bombarder les jihadistes, qui ne sont d’ailleurs qu’un «pur produit occidental». Qu’ils aillent dire ça aux Kurdes, par exemple. Ou aux Yézidis.

3 Commentaires

  1. Je comprends et je partage l’indignation de M. Bernard Schalscha. Toutefois j’aimerais approfondir la discussion sur le « pur produit occidental ». La regrettée Mme Thérèse Mangot, que nul ne peut soupçonner d’antisémitisme, aurait peut-être aussi analysé le cas Nemmouche sous cet angle. Cette expression utilisée par Mr Pierre Torrès mérite qu’on s’y arrête.

    Selon ma compréhension, ce qu’il faut entendre par là, c’est l’immigration de troisième génération: la première génération, arrivée des pays du Maghreb en Europe occidentale (notamment en Belgique et en France) dans les années 1960 à la faveur de la reconstruction, touchée de plein fouet par la crise pétrolière de 1973 et 1975, remisée prématurément au chômage; la seconde génération, des enfants qui ont grandi pendant la crise économique qui a suivi et n’ont jamais pu accéder à un marché de travail retréci et saturé; la troisième génération enfin, qui a grandi sans voir ses parents se lever tôt pour aller au travail.

    Cela dans un contexte (comme l’expliquait Thérèse Mangot) où l’Etat ne prenait nullement ses responsabilités relatives à l’intégration, à l’émancipation, à la prévention du racisme anti-immigré, « celui qui est venu pour manger le pain des français (des belges) et pour profiter de la sécurité sociale ».

    Qu’on ne se méprenne pas: je ne minimise nullement l’antisémitisme ni ne l’excuse; je ne voudrais pas mourir à mon tour de la main d’un jihadiste en me promenant à Bruxelles, mais je recherche le sens de l’expression « pur produit occidental » et je suis à l’écoute d’autres explications.

  2. Pertinent
    Effrayant
    Stupéfiant
    Merci de révéler tout cela

    Bernard Shalscha au top de sa rigueur

  3. L’attentat de Bruxelles est commis dans la capitale Européenne quelques jour avant les très importantes élections européennes du 25.
    tous les états européens s’étaient recentré sur cette élection, les danois avaient d’ailleurs fait une campagne très choquant te pour pousser les européens à voter.
    L’attentat au musée juif a donc frappé les esprits de tous les européens.
    Assassiner des juifs, c’est créer de l’insécurité et réactiver les symboles, l’attentat a donc eu pour effet de recentrer le vote vers le nationalisme et l’aspect anti-européen.
    j’en conclu que cet assassinat est une commande de ceux qui ne souhaitent pas que la construction européenne se fasse.
    combien de candidats inconnu se sont affichés en Europe pour refuser tout simplement le vote!!! pour encourager à l’abstention? un nombre anormalement elevé.
    Et cet assassin qui est recupéré par les douanier comme une chien qui revient dans sa niche…
    Dans un contexte ou Junckers refuse ce lire la pétition européenne contre le TAFTA ( l’accord de libre échange USA-Canada/ Europe,….. Il m semble évident que cet assassinat ait un lien avec la volonté de certain a imposer les règles de l’OMC à l’Europe sans concertation aucune.
    L’instrumentalisation des islamistes est un bon moyen pour créer un écran de fumée, si la violence s’impose aux juifs, ultra minoritaires, et hyper symbolique l’effet de diversion sera impeccable!!!! De la même façon la guerre des rockets du Hamas, fiancée par le Qatar et préparée depuis l’Égypte sous le court gouvernement des frères musulmans est une belle diversion pour ne pas voir le nettoyage ethnique des zones pétrolifères kurdes par l’ISIS. l’Égypte a accusé les USA : Obama et Hillary d’avoir porté les frères musulmans au pouvoir, Maliki, le president Irakien a accusé Obama de ne l’avoir pas laissé contrôle l’ISIS depuis 2 ans!! Le Ice bucket challenge, ou les evenement de Jefferson , n’auront pa stotallement reussit à eclipsé les débordements de la chimère ISIS creée par Obama et Hillary.
    Voilà beaucoup , et suffisamment pour accuser l’administration Obama de défendre les intérêts des multinationales , idem Hollande d’être placé par l’OMC pour imposer le TAFTA ( accorde le libre échange dans un grand écran de fumée terroriste! . c’est du fascisme -capitaliste , rien d’autre. ‘ Fuck Europe » , comme dit la diplomate américaine.