Qui ne connaît l’univers d’Harry Potter, créé par J. K. Rowling à travers sept romans (publiés de 1997 à 2007), rendu célèbre par huit films (de 2001 à 2011), où se croisent moldus et Mangemorts, où le puissant mage noir Lord Voldemort affronte l’école de sorcellerie Poudlard! Le linguiste et philosophe Jean-Claude Milner, ancien élève de Lacan et d’Althusser, plonge dans ses aventures et nous en livre les clés philosophiques et morales. Quels liens le récit entretient-il avec la Grande-Bretagne, son histoire, sa langue, son mode de gouvernement et ses principes politiques ? Quel regard la fable porte-t-elle sur notre monde ? Quels enseignements en tirer ? Dans son enquête, précise, minutieuse, même si nombre de mystères ont déjà été dévoilés par l’auteure, Milner privilégie le matériau cinématographique.
Être complexe, tiraillé entre raison et sentiment, Potter est le disciple du sage Dumbledore, son mentor politique, fin stratège et diplomate. C’est en autodidacte que le jeune sorcier apprend à lutter contre le mal et découvre les valeurs morales (le courage, l’amitié…). Pour Milner, « Harry Potter tire de lui-même ce qu’il apprend ; il est son propre éducateur ». Dans ce roman d’éducation sentimentale et politique, seule compte la leçon empirique pour découvrir la norme éthique et le juste rapport au pouvoir. Une scène interpelle Milner : au début du Prisonnier d’Azkaban, les Dursley reçoivent à dîner la tante Marge, accompagnée de son bouledogue. Harry la déteste et finit par la faire s’envoler dans les airs. Vêtement, collier de perles, ton impérieux. Milner est catégorique, la tante Marge, c’est Margaret Thatcher. « Dureté à l’égard des plus faibles, servilité à l’égard des plus riches, tout cela était conforme », précise Milner, qui voit dans la transformation en ballon une allusion au Dictateur de Chaplin. D’une comédie, qui se moque des moldus ridicules, on passe à la tragédie, la vision tyrannique de sorciers inquiétants. Oui, Harry Potter est bien une fable politique, où se joue aussi la question du patriotisme culturel.
Comparant l’univers d’Harry Potter à celui de la lutte sociale dans le cinéma de Ken Loach ou à la vision de Londres chez Dickens ou Marx, Milner s’interroge : qui est l’employeur des sorciers ? Les elfes de maison sont-ils des salariés ou des esclaves exploités ? Le roman Harry Potter à l’école des sorciers, publié en 1997, date de la privatisation du service public ferroviaire anglais, est aussi une réflexion sur l’économie de marché, le capitalisme. Univers de la magie contre monde du travail ? Créant de la valeur, sans le travail, « la magie sape le machinisme industriel et le profit capitaliste ». C’est une leçon d’humaniste, conclut Milner, évoquant la Lettre sur la tolérance de John Locke (1689) pour finir sa brillante analyse : « Bien que le récit potterien ne soit pas un roman philosophique, il s’achève en méditation de philosophie politique. »