Première rencontre avec Benoît Duquesne. Février dernier. A mon domicile. Il est venu, avec Yvan Martinet, qui fait partie de son équipe, me convaincre d’accepter le numéro de Complément d’enquête qu’ils ont décidé de me consacrer. Je suis, avant la rencontre, résolu à tout faire pour l’en empêcher. Après, je ne sais plus. M’ont frappé, au fil de la conversation, la passion avec laquelle il parle de son émission, l’impression d’honnêteté et de rigueur qui se dégage de lui, son professionnalisme, son côté Service Public jusqu’au bout des ongles, sa gentillesse aussi, son élégance, quelque chose de dandy dans le détachement et dans la mise qui ne me déplaît pas chez le baroudeur qu’il est aussi et que j’ai croisé, juste croisé, il y a quelques années, en Afghanistan. Quelques jours passent. Je réfléchis. Consulte le seul ami, Maître Olivier Cousi, que nous ayons en commun. L’appelle enfin. « D’accord ; je vous fais confiance ; c’est bizarre, je ne vous connais pas, mais je vous fais, soudain, confiance ; vous serez peut-être critique, hostile, désagréable, pire encore ; mais je sais que vous serez honnête, jamais bas, ou insultant, ou absurdement polémique — juste honnête et, au fond, cela me suffit ».
Dernière rencontre, la veille de sa mort, place de Fürstenberg, à Paris, où il a installé ses deux célèbres fauteuils. C’est la conversation qui doit commenter et conclure le sujet tourné depuis des mois. Elle est musclée. Pugnace. Sans concession ni de ma part ni, naturellement, de la sienne. Mais je retrouve la même élégance, la même volonté d’être pédagogique, simplement pédagogique — il sait qu’il n’est pas là pour se mettre en avant, se faire valoir, la ramener, mais pour expliquer, expliquer encore, obliger son interlocuteur à aller, lui aussi, en trente minutes, au bout de la part de vérité que ses caméras ont pu capter. Je sens qu’il a travaillé. Je vois tout de suite qu’il est le genre de journaliste qui prépare un entretien de trente minutes comme s’il allait durer des heures et qu’il y allait de l’essentiel. Je le trouve, par ailleurs, en forme. Très très en forme. Blagueur avant. Blagueur après. Toujours cet humour dandy, pince sans rire, qui le fait se moquer gentiment du narcissisme de l’un, des anxiétés de l’autre, des exigences de la réalisation ou des passants qui demandent des Selfie. Nous évoquons, avant de nous quitter, l’atelier de Monet derrière nous. Celui de Delacroix. Et puis ces trois arbres légendaires, plantés au milieu de la place. Des Jacarandas ? Des flamboyants ? On ne sait pas trop. Mais il connaît le passage de son Journal où Jünger les évoque : les seuls arbres de ce genre que la pollution parisienne empêche de fleurir ; sauf là, sous l’Occupation, leurs fleurs bleues et mauves – couleur de servitude et de malheur.
Car Benoît Duquesne était, clairement, un homme cultivé. Engagé et cultivé. Le type à la moto, peut-être. Le grand reporter, bien sûr. Mais aussi, il me semble, l’un de ces journalistes de télé qui, pour être historiens de l’immédiat, n’en ont pas, pour autant, lâché la corde du temps long et de ses hautes exigences. J’ai pensé en le quittant que ce n’était évidemment pas le moment ; qu’il fallait laisser passer quelques jours ou quelques semaines ; mais que nous nous reverrions et qu’il était très exactement le type d’homme qui pourrait devenir mon ami.

11 Commentaires

  1. Merci pour ce très bel hommage. J’avais vu cette émission totalement par hasard. J’avais manqué le début et comme j’avais bien aimé je l’ai regardée une seconde fois en replay. Finalement j’ai appris à mieux connaitre M.Lévy à davantage le comprendre et l’apprécier et en même temps à mieux aimer M.Duquesne.

  2. Texte émouvant trouvé par hasard. En plus j’ai vu une partie de cette émission, alors que je regarde très rarement la télé. Le sujet, la petite place, l’interview à la fin, tout cela baignait dans une ambiance assez douce et prenante… Peut-être générée par ce qu’on sait ce qui est arrivé ensuite à Benoist Duquesne. A ce propos, et sans vouloir faire le malin, les arbres de la place Fürstenberg sont des Paulownias, qui ont cette floraison bleue si particulière. Je ne pas pas si elle est synonyme de servitude et de malheur, mais en tout cas une teinte romantique bleu lavande délavé…
    C’est vrai, les Jacarandas fleurissent bleu eux aussi, mais ils ont des feuilles composées de petits folioles et pas ces grandes feuilles « parasol » du Paulownia.
    En tout ca, tout cela donne envie d’aller voir ce bel endroit en pensant à M. Duquesne et à la fragilité de notre condition.

  3. Je regardais Complément d’enquête avec plaisir. Benoît Duquesne avait le talent du journaliste qui sait rendre vivant les sujets divers et y intéresser le téléspectateur parfois fatigué à ces heures tardives. Merci pour ce bel hommage.

  4. Très bel hommage monsieur BHL. Je viens de voir la dernière interview de M. Duquesne dans laquelle vous êtes assis face à face, fidèle à vous-même dans ce fauteuil rouge, petite chemise blanche, cheveux aux vents.
    En face de vous un Benoît Duquesne « très en forme », qui fait aussi ses adieux au petit écran sans rien laisser paraître.
    Vous le décrivez comme un homme honnête et je ne pense pas que vous ayez tort, un homme engagé, cultivé qui s’investit à fond dans ce qu’il fait, certainement.
    Pour ma part l’adjectif que je retiendrais est : attachant. Même sans le connaître on veut lui faire confiance, on l’apprécie avant même de comprendre ses intentions, ses opinions, ses motifs. Mais cet homme n’est là que pour apprendre, il est curieux on le sent bien, il n’a décidément pas loupé sa vocation.
    Les questions qu’il pose sont pertinentes comme toujours…Et parfois l’on sent peut-être qu’il est intrigué par votre capacité à résister aux critiques, aux remarques, aux quolibets…Oui, j’irai même jusqu’à dire qu’il semble admirer cette force chez vous qu’il a envie de titiller peut-être. Voilà une des raisons de pourquoi vous étiez là à ce moment de sa vie, sur cette magnifique place Fürstenberg à répondre à ses questions.
    Je n’ai pas toujours pas partagé vos opinions Monsieur BHL, mais je m’aperçois maintenant que je vous connaissais peu. J’ai pris connaissance avec ce reportage de votre engagement, et tout comme Monsieur Duquesne j’admire votre ténacité et votre capacité à faire face aux vents contraires. Vous êtes le roseau, il était tel un chêne… Depuis que j’étais petit il était là dans la boîte à images, un visage familier qui s’en va.

  5. Les arbres de la place von Furstemberg, des paulownias. Benoît Duquesne, un baroudeur qui aurait pu être, en son temps, glorieux corsaire de la royauté. In memoriam

  6. Merci pour ce bel hommage Benoit Duquesne dégageait spontanément une sympathie une gentillesse un regard lumineux et tendre j aimais ses emissions sa sincérité son sourire d’aujourd’hui je suis triste mais surtout pour sa famille

  7. grands grands regrets, très triste nouvelle, il commentait une émission de qualité avec talent, c’était quelqu’un de bien, nous l’aimions.

    Condoléances à toute sa famille

  8. très triste de ce décès Benoit Duquesne nous l'aimions beaucoup et surtout nous ne manquions pas ses émissions, nous sommes très tristes vraiment c'était un grand nous le pensons, sincères condoléances à sa famille dit :

    Nous regrettons beaucoup Benoit Duquesne, en famille nous regardions avec fidélité son émission, son décès nous a énormément frappé, la nouvelle nous a profondément touchée. Benoit Duquesne était juste quelqu’un que l’on aimait, un homme de classe, respectueux, il animait son émission avec talent ;

    sincères condoléances à toute sa famille.

    Famille Daïan/Chabassier

  9. Parmi toutes les coïncidences de la vie, je suis pas hasard tombée sur cette émission que je ne regardais que trop rarement à cause de son heure de diffusion. L’envie de voir décrypté le personnage BHL sur lequel j’ai toujours vraiment eu du mal à me faire un avis personnel m’a fait traîner devant mon écran. Sachant qu’à priori, cette émission et son animateur ne sont pas complaisants, je me suis dit que, pour une fois, le portrait brossé serait certainement relativement objectif, et je suis allée me coucher (trop tard!) en me disant que BHL avait bien fait d’accepter…