Prêt(e)s pour une virée dans les années 2000 ? Partez ! Sans même avoir le temps de nous y préparer, Après quoi on court, le premier roman de Jérémy Sebbane, nous y embarque.
Vous me direz, le jeune auteur ne nous transporte pas si loin dans le temps : les années 2000, c’était   hier. Et c’est tout son talent de nous les faire revivre comme si c’était presque aujourd’hui. La sélection intelligente de références et la palette de profils présentés permettent de recomposer finement l’atmosphère, ou plutôt l’ambiance comme on dit plus légèrement aujourd’hui, de cette époque. D’ailleurs, peut-on vraiment parler d’époque ? Trop récentes pour que leurs caractéristiques objectives soient déjà classifiées par des historiens ou des sociologues, les années 2000 sont-elles si différentes des années 2010 ? A vrai dire, on ne s’était encore jamais vraiment posé la question. Pourtant, au fil des pages et du saupoudrage d’événements politico-historiques (la défaite de Jospin en 2002, la deuxième Intifada, le meurtre d’Ilan Halimi) ou à l’évocation de la sous-culture pop (la finale de la Star Ac’, les premiers tubes d’Alizée ou de Lorie, l’âge d’or du Queen), Jérémy Sebbane parvient subtilement à nous renvoyer aux spécificités générationnelles des jeunes du début du XXIème siècle, ceux pour qui le marqueur historique majeur n’est pas la chute du Berlin mais les attentats du 11 septembre 2001.
Grâce à une écriture fluide, efficace, parfois crue ou qui interpelle directement le lecteur, nous sommes ainsi plongés dans le quotidien tourmenté de quatre adolescents – qui avaient déjà un téléphone portable à quinze ans ! Oui, Lisa, Aaron, Michaël et Dana s’envoient des SMS d’amour…Dans le sens des aiguilles d’une montre : Lisa aime Aaron qui aime Michaël qui aime Dana. Aïe. Nous sommes donc face à un de ces quatuors amoureux dissonants dont on a déjà beaucoup lu, entendu ou vu la partition. Oui, peut-être. Sauf que les confidences des quatre héros nous offrent beaucoup plus que cela : tour à tour, Lisa, Dana, Aaron et Michaël donnent à voir les difficultés d’une jeunesse finalement très peu connue de la littérature, celle qui poste beaucoup plus de tweets qu’elle n’inspire aujourd’hui de romans.
Précisons par ailleurs que l’auteur nous transporte dans un univers aussi méconnu qu’étrange, mystérieux et exotique (pas pour la signataire de ces lignes, néanmoins…), celui de la jeunesse juive sépharade parisienne. En plus de nous inviter à ses grands rendez-vous traditionnels – la Brit milah (circoncision) du petit Simon, les soirs de Yom Kippour ou Roch Hachana (le nouvel an juif), et l’incontournable « meilleur » falafel de la rue des Rosiers – il nous fait aussi découvrir la palette de croyances et de sensibilités qui font la richesse et la diversité de ce monde – du conservatisme droitier des parents de Dana à l’esprit juif de gauche de Michaël et sa famille en passant par l’idéal sioniste de Samuel, le grand frère d’Aaron parti faire son alyah (montée vers Israël). Pourtant, hormis ces spécificités et certaines autres qui demeurent à ce jour inexpliquées – la capacité inimitable à s’émouvoir pour les chansons d’Enrico Macias et l’adoration inconditionnelle pour Patrick Bruel notamment – la vie de ces quatre adolescents ressemblent furieusement à celle de tous leurs autres camarades non-juifs.
A seize ans, Lisa, Dana, Aaron et Michaël sont pleins d’espoirs : Michaël poursuit un idéal politique à gauche et rêve de devenir journaliste, Dana met tout en œuvre pour vivre son conte de fée (réussite professionnelle, beau mari et donc beaux enfants), Lisa nourrit l’espoir secret de convaincre Aaron de l’aimer, tandis qu’Aaron s’épuise inlassablement à ramener son meilleur ami Michaël vers lui (on ne vous dira rien de ce fameux Shabbat). Chacun poursuit obstinément ses objectifs illusoires ou non, quitte d’ailleurs à foncer droit dans le mur et à recommencer, à tel point qu’on est même un peu agacé par les personnages. Reste que l’extrême bienveillance de l’auteur à leur égard réussit surtout à nous attendrir. Et leurs confidences permettent de s’identifier à eux: qui n’a jamais aimé irréductiblement, un peu sottement car l’amour, n’est-ce pas, a-des-raisons-que-la-raison-ne-connaît-pas ? Qui n’a pas été saisi non plus d’un grand vertige au moment du passage du lycée à l’université ? Et surtout, la course effrénée et parfois douloureuse vers l’affirmation de son identité – on lira les souffrances du jeune Aaron pour accepter paisiblement son homosexualité – n’est-elle pas universelle ?
Ce roman constitue donc une quasi première. Alors que le cynisme est souvent de mise lorsqu’on évoque les enfants de la télé(-réalité), Jérémy Sebbane dépeint la nouvelle génération avec précision, indulgence et affection. Ou plutôt avec amour, puisque c’est bien de cela dont il est question. Après quoi on court, sous-titré comme « le roman amoureux d’une génération », porte bien son nom.

Un commentaire

  1. Bel article sur un ouvrage que j’ai pris énormément de plaisir à lire. Un roman drôle, sensible, touchant, intelligent, débordant d’humanité qui m’a transporté et que je conseille vraiment.