Journaliste et critique musical, Nico Prat est une des figures montantes de la sphère radiophonique. Aux cotés de Charline Roux, il anime tous les jours, de 18 à 19h30 l’émission «Pop Corn» sur Le Mouv’, un rendez-vous décryptant la pop culture et ses tendances. A l’occasion du Mondial au Brésil, La Règle du Jeu lui a posé quelques questions sur la relation, parfois décevante, entre Musique et Football. Entre sévérité et lucidité, le journaliste ne mâche pas ses mots !

Laurent-David Samama : Football et Musique. Voilà bien deux composantes essentielles de la culture populaire. Et pourtant, il n’est pas certain que la chanson, lorsqu’elle s’empare du sport, produise des œuvres inoubliables. Dernier exemple de ces «accidents industriels», la chanson officielle de la Coupe du Monde, «We are One» signée par le trio Jennifer Lopez, Claudia Leitte et Pitbull… Qu’en avez-vous pensé ?

Nico Prat : C’est une horreur sans nom, mais l’artistique ne rentre pas en ligne de compte, sinon il n’y aurait pas Jennifer Lopez. Il est juste marrant de voir que Claude Leitte, seule brésilienne du trio, n’ait que deux trois phrases à chanter. Elle est là pour faire joli et parce qu’ils n’avaient pas le choix. Pitbull est l’un des pires tâcherons du monde. En ce sens, We are One, l’hymne officiel de la Coupe du Monde, est peut-être l’un de ses meilleurs titres.

L.-D. S. : Autre phénomène plutôt curieux, l’entêtement des maisons de disques à vouloir faire chanter les footballeurs… Comment expliquez-vous cela ?

N. P. : Une maison de disques est avant tout une entreprise : elle doit générer des revenus. Donc, lorsqu’il y a un engouement populaire, et dieu sait qu’il n’en existe aucun d’aussi rare, puissant et mondial qu’une Coupe du monde de football, elles en profitent. La vraie question est : que vont faire les footballeurs dans cette galère ? Pensent-ils vraiment faire de la musique ? C’est risible. Mais pas moins que l’album de rap du basketteur NBA Tony Parker produit par TF1 !

L.-D. S. : A côté de cette musique mainstream et hyper commerciale, il existe des ilots où football et musique cohabitent pour le meilleur. La ville de Manchester avec sa scène rock ne représente-t-elle pas une sorte de nec plus ultra ?

N. P. : L’Angleterre a une relation très forte à son football. Cette année, le groupe Kaiser Chiefs ou encore les Monty Pythons livrent leur hymne non officiel de la Coupe du Monde. Dans le cas de Manchester, il est drôle de voir la ville se déchirer pour United ou City (les deux clubs de la ville, ndlr). C’est dans leur ADN, mais pas forcément dans leurs chansons. Oasis n’a par exemple jamais chanté le football, et tant mieux. Nous, français, pouvons apprécier un groupe ou une ville sans se soucier de son club. On n’y pense même pas.

L.-D. S. : Qu’en est-il de la France ? Se peut-il que nos artistes locaux parlent bien de football dans un pays qui n’est pas réputé pour sa passion du ballon rond ?

N. P. : Mickey 3D. La réponse est donc non. Rien à ajouter. Ou plutôt si, beaucoup à ajouter: le football en France est bien plus populaire que la pop. En Angleterre, à titre de comparaison, les deux vont de paire depuis des années. Les anglais ont inventé la pop, ils ont inventé le football également. Nous, rien ! Et l’on peine à rattraper ce retard. En matière de pop, ça devient potable. Mais avant de s’affranchir de l’ombre de Gainsbourg et d’oser les sonorités de la pop anglaise en langue française (et sans complexe !), il a fallu du temps. Cette génération des Granville, Lescop, Aline…, a tout de même de plus belles choses à raconter qu’un corner raté !

L.-D. S. : Aujourd’hui, plus que le rock, n’est-ce pas le rap qui est devenu le meilleur vecteur de la passion de la jeunesse pour le football ?

N. P. : Encore une fois, tout dépend d’où l’on se situe. En Angleterre, le football est partout. Pas seulement dans la pop mais également dans le hip hop, les séries, le cinéma (Ken Loach et Cantona). En France, c’est Marseille contre Paris, l’opposition Iam contre NTM. Mais les rappeurs ne sont pas forcément plus supporters que les rockeurs. Ils ont juste avec les mots une aisance bien différente. La punchline n’existe pas dans le rock : tu ne peux pas t’en sortir avec un bon mot, tu dois y mettre les formes, sinon ça fait guignol. Les rappeurs ont en plus pour eux une grande qualité: ils ne se prennent pas au sérieux, du moins en apparence. A l’inverse, regarde Benjamin Biolay. Son hymne de l’OL est plein de bonnes intentions, mais sans fun et sans passion. Il se prend terriblement au sérieux.