Vous n’avez sans doute jamais entendu parler, de Tom Catena. C’est un chirurgien américain qui travaille dans un hôpital de 350 lits à Gidel, village enclavé au cœur du Sud-Kordofan, l’un des Etats fédérés qui constituent le Soudan.
Vous vous dites, c’est un coopérant utile dans un endroit déshérité du monde. Ce n’est pas tout à fait ça. Le Dr. Catena  est un homme absolument indispensable qui sauve des vies tous les jours. Il est, depuis plusieurs années, le seul chirurgien travaillant dans une zone de guerre où les rebelles du SPLM-Nord (Armée de libération populaire du Soudan) s’opposent aux troupes de Khartoum.
Si nous vous disons que Docteur Tom, comme tout le monde l’appelle là-bas, est chirurgien, c’est insuffisant. Il fait aussi de la médecine, beaucoup. Là encore, il est l’unique praticien pour un immense territoire. Il traite – et très bien – les plaies et les fractures causées par les bombardements de l’aviation soudanaise, ferme les hernies, pratique les césariennes. Il soigne aussi les enfants victimes du paludisme ou de pneumonie, les adultes atteints de lèpre ou de leishmaniose, maladie parasitaire qui sévit dans tout le sud du Soudan. Il lui arrive également de prendre en charge des soldats de l’armée régulière soudanaise, abandonnés sur le terrain par leur unité.
Autour de lui il y a une équipe d’infirmières, formées par ses soins. Avec le photographe Marc Roussel, nous avions visité son hôpital, lui apportant des médicaments et du matériel que le Collectif Urgence Darfour avait collectés. Nous avions tous les trois été impressionnés par cet homme grand et maigre, à l’intense regard noir et intelligent. Il est fervent catholique et l’Eglise maintient cette modeste structure hospitalière au milieu de la tourmente d’une guerre à la criante asymétrie.
Les islamistes au pouvoir à Khartoum n’aiment pas le Dr. Catena. En effet, il soigne efficacement les blessés, rassure les populations par sa seule présence, contribuant ainsi à leur maintien sur place. Il leur évite de la sorte d’avoir à rejoindre les centaines de milliers de leurs compatriotes dans des camps au-delà de la frontière, en République du Soudan du Sud. Docteur Tom symbolise admirablement la solidarité internationale dans cette partie du Soudan. Il est hélas bien seul.
L’aviation soudanaise a bombardé à deux reprises l’hôpital du Dr. Catena, les 1er et 2 mai. Onze bombes ont visé le petit bâtiment, blessant des soignants et des malades, créant la panique chez tous. Ils n’ont pas eu Tom. Car évidemment c’est lui qui était visé. Il faut dire que les Antonov soudanais ne sont pas précis : il leur faut des cibles plus faciles : villages habités, marchés pleins de monde, stocks de récolte… Comme au Darfour, l’armée du président Omar el-Béchir ne sait faire qu’une chose : la guerre contre les civils. La Cour pénale internationale en est convaincue, qui a lancé un mandat d’arrêt international à l’encontre du chef de l’Etat soudanais et de plusieurs autres dirigeants pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.
L’impact psychologique de ces deux bombardements est considérable. Certaines infirmières ont peur de retourner au travail, des malades, habitant parfois à plusieurs heures de marche, vont être dissuadés de venir consulter. Tous savent que le centre de soins était ciblé. Trois jours avant, un drone avait tourné longuement dans le ciel au-dessus du bâtiment, sans doute pour faire des repérages. Il est important de faire savoir aux hommes qui règnent sur le Soudan qu’à la longue liste de crimes qui leur sont imputés ils ne rajouteront pas impunément celui de notre confrère. Faut-il enfin rappeler que le fait de cibler intentionnellement un hôpital constitue un crime de guerre ? Un de plus au sinistre actif du dictateur de Khartoum.
Vous ne pourrez pas joindre le Dr. Catena ce matin, il est à nouveau au bloc opératoire. Tom Catena, ce héros discret auquel la communauté médicale internationale se devrait de fournir sans tarder un solide appui.
Take care Tom !
Dr. Jacques Bérès, chirurgien, président de France Syrie Démocratie, ancien président de Médecins sans Frontières.
Dr. Jacky Mamou, pédiatre, président du Collectif Urgence Darfour, ancien président de Médecins du Monde.

5 Commentaires

  1. Que ceux qui y vivent l’instinct guérisseur de la vie dont ce personnage exemplaire et ceux qui vont le rejoindre sachent maintenir la volonté de vivre avec une passion sauvage.

  2. La dictature soudanaise est une des plus féroces. Je suis de tout cœur avec les populations civiles, mais quand l’homme arretera ces horreurs.
    Dr CATENA vous etes un juste parmi les justes. Take car.

  3. Le docteur Catena est un bel être humain. Que le courage de cet homme continue à l’habiter encore.
    Les soudanais en ont besoin.

  4. Il est triste de voir que cela intéresse si peu de personnes…
    Je n’ai vu cette histoire nulle part ailleurs alors que je suis une française avec le Soudan au coeur, depuis que j’ai adopté une petite soudanaise. Il est triste de se dire que je ne peux lui présenter son pays natal…