C’est comme un pèlerinage, un retour aux sources qu’accomplit Bernard-Henri Lévy avec ce voyage au Bangladesh, 43 ans après son propre voyage quasi-initiatique de 1972, suivi par son livre Les Indes rouges.
Mais aussi 41 ans après le voyage légendaire accompli par Malraux en avril 1973, voyage de la reconnaissance, suite à son appel de 1971, auquel notre ami Bernard avait répondu immédiatement, ce qui conduisit Malraux à le recevoir dans les jours suivants à Verrière-le-Buisson.
Si l’on me permet, ici, un propos personnel. J’avais en 2012 projeté d’organiser un colloque au Bangladesh autour de Malraux et des lettres de jeunesse et de noblesse acquises au Bangladesh, âgé d’un an, par Bernard-Henri Lévy – avec lui, cela va sans dire. Pour des questions liées aux finances de l’ambassade et aussi au désintérêt total de l’ancien Conseiller de coopération et d’action culturelle à Dacca, le projet ne put se faire. Il est donc heureux que Bernard-Henri Lévy ait été l’invité de L’Alliance française de Dacca et, à cette occasion reçu par Sheikh Hasina, l’actuelle Première ministre du Bangladesh et fille du « Père de la Nation », Sheikh Mujibur Rahman.
Ce 26 avril donc, Bernard-Henri Lévy inaugurait le monument André Malraux dans les jardins de l’Université de Dacca. Le 21 avril 1973, Malraux, au comble de son inspiration, au cours de ce bref voyage qui reste à la fois exceptionnel et légendaire dans son existence, qui pourtant en vit beaucoup d’autres, s’écriait dans l’aula de l’Université à peine reconstruite :
«  Etudiants de Dacca !
Je parle aujourd’hui dans la seule université du monde qui ait plus de morts que de vivants ! »
Bernard a pu dire en inaugurant ce monument :
« J’entends, à la radio, ardente et cassée, la voix du vieil écrivain s’adresser à la jeunesse de France pour lui parler d’un pays qui n’est pas encore né mais qui est déjà en train de mourir.
Cet écrivain c’est André Malraux. »
Malraux, dans son discours aux étudiants, continua ainsi :
« Tous les étudiants de France savent que vos professeurs et vos camarades sont morts pour la liberté. Et ils savent aussi que jamais nulle part, les étudiants et les professeurs n’avaient payé la liberté d’un poids si lourd. Ils savent aussi que parmi tant d’étudiants qui ont combattu, il y a un endroit où les étudiants ont le droit de dire pour ceux qui viendront plus tard :
« Nous, nous avons combattu avec nos mains nues[1] ! »
43 ans plus tard, voici la voix de Bernard-Henri Lévy, qui ne faiblit pas à parcourir le monde au nom d’un idéal démocratique qu’il veut ou voudrait faire partager au  plus grand nombre de pays, et qui appelle cette fois la jeunesse bangladaise :
« Levez-vous, jeunesse du Bangladesh.
Soyez fiers de votre histoire et des combats qui vous ont forgés. »
Je partage, à ma mesure, avec Bernard-Henri Lévy, d’avoir, non pas répondu à l’appel de Malraux que je n’avais pas entendu malheureusement, étant à l’époque âgé de seize ans, mais d’avoir été ébranlé et marqué à vie par l’appel a posteriori, mais plus encore, pour ma part, par son voyage dans ce pays martyr, qui avait perdu trois millions de son peuple et surtout de ses intellectuels durant sa Guerre d’Indépendance.
Malraux eût aimé les élans de Bernard-Henri Lévy, toujours adressés à la jeunesse :
« Et puis osez, amis, rappeler au monde qui vous êtes vraiment : non pas cet atelier de misère et de sueur ; non pas ce réservoir de victimes sacrifiées sur l’autel de la mode et de ses vanités ; mais la patrie de celui que vous appeliez familièrement « Bangabandu » : Sheikh Mujibur Rahman, le Père de la Nation et une source d’inspiration pour tous ceux qui, ici, ou ailleurs et, en vérité, partout, sur toute la planète, plaident pour un Islam des Lumières, ami de la mesure et du droit, tolérant, modéré, respectueux d’autrui et, en particulier, des minorités. »
Avec Bernard-Henri Lévy gageons que Sheikh Hasina puisse continuer dans cette voie si capitale pour le monde, d’un Islam des Lumières. D’un Islam qui aura été sans doute marqué aussi par la figure tutélaire du Mahatma Gandhi, au moins pour Mujibur Rahman. C’est sous cette évocation gandhiste que Malraux en 1973 avait compris et surtout voulu comprendre l’épopée du Bangladesh dans sa guerre d’Indépendance.
C’est à l’Université martyre de Rajhahi, où il fut fait docteur honoris causa – lors d’une inoubliable cérémonie pour les témoins et les spectateurs du film dont j’ai parlé – qu’il s’était écrié avec sa voix térébrante, unique au monde  :
« Ni Staline, ni Hitler, ni Mao : Gandhi et Sheikh Mujibur Rahman ! »
C’est donc dans la prolongation de ce combat pour la paix et pour un Islam « gandhiste » si l’on peut dire, qu’a parlé aujourd’hui et que se bat chaque jour cet écrivain-combattant pour la liberté des peuples, Bernard-Henri Lévy, dont je veux croire qu’il est au plus profond de lui, davantage marqué par ce souffle malraucien incomparable – qui naquit dans la révolte au colonialisme, qui s’éleva dans la Guerre d’Espagne puis dans la guerre en 1940 et la Résistance – que par la voix du grand Sartre, qui fut l’idole d’une certaine intelligentsia française et européenne, mais à qui manqua cet engagement concret à la Malraux…


[1] Discours inédit improvisé par André Malraux, qui figure dans le film remarquable de Philippe Halphen :
« Spécial André Malraux – Bangladesh : An 1 du désespoir à l’espoir », INA, juillet 1973. Document de l’auteur.