Le Ministère des affaires étrangères a annoncé l’annulation de la participation de la France aux commémorations du 20ème anniversaire du génocide des Tutsi qui démarrent ce 7 avril 2014 à Kigali, la capitale du Rwanda. Laurent Fabius, évidemment en concertation avec l’Elysée et sans doute même à la demande expresse de François Hollande, a exigé de Christiane Taubira qu’elle reste à Paris, montrant par là le peu de considération accordée par la France à la mémoire du million de victimes de ce génocide. La raison de ce courroux apparent ? Une déclaration du président rwandais Paul Kagamé à l’hebdomadaire Jeune Afrique accusant la France et la Belgique d’avoir joué un rôle dans « la préparation politique » de ce génocide et les soldats français d’en avoir été pour certains « les acteurs ».

Pourtant, nous le savons assurément : une certaine France porte une part de responsabilité dans le génocide de 1994. J’écris « une certaine France » parce que, de 90 à 94, les décisions ont été secrètes et le fait de quelques uns seulement, au plus haut niveau de notre appareil d’Etat. Jamais le parlement, et encore moins l’ensemble des Français n’ont pris part aux décisions. Comme l’évoque justement Patrick de Saint-Exupéry : «  la France » n’a jamais été tenue au courant. Dès lors, « la France », c’est-à-dire nous, aurions tort de nous laisser enfermer dans la rhétorique de ceux qui voudraient nous utiliser pour fuir leurs responsabilités. Je veux notamment parler d’Alain Juppé, qui hier est parvenu à convaincre l’Elysée que « l’honneur de la France devait être défendu », alors que c’est bien de sa responsabilité seulement dont il s’agissait, lui qui était ministre des Affaires étrangères de mars 1993 à mai 1995, et qui dans le plus grand secret, sans jamais en aviser le parlement, a conduit la politique étrangère française au Rwanda. C’est cette « certaine France », composée d’un cercle restreint de militaires et de politiques de premier plan, qui porte une responsabilité indirecte au moins, puisque c’est notamment sous ses ordres que la France a formé pendant 4 ans les militaires des forces armées rwandaises qui deviendront d’avril à juin 94, l’une des principales forces d’exécution du génocide.

Et que dire des propos de rescapés recueillis pendant le voyage au Rwanda qu’avec des camarades de l’UEJF nous avions entrepris en 2006, et auquel participait d’ailleurs Christiane Taubira, l’actuelle ministre de la justice empêchée in extremis de se rendre à Kigali ? Nous avons entendu trop de témoignages accablants, pour penser qu’ils ne sont qu’affabulations. Trop souvent des rescapés nous ont parlé de Français en uniforme se tenant aux côtés des génocidaires aux barrages routiers, barrages qui signifiaient la mort immédiate pour des milliers de malheureux. Et que dire de la tragédie de Bisesero, là où l’armée française témoin de la situation d’urgence dans laquelle se trouvait une poignée de rescapés a quitté les lieux, laissant les génocidaires terminer leur œuvre de destruction ? Que dire des récits de nivellement par des militaires français de fosses communes sur la colline de Murambi ? A Murambi, nous pensons qu’il y eut 45 000 victimes en trois jours à peine.

Demain la Belgique sera à Kigali. Elle sera même représentée par son armée. L’ancienne puissance coloniale a choisi de regarder son passé avec lucidité.

Pendant ce temps, en France, se tenait un colloque au Sénat  (le 1er avril) sur « le drame rwandais » réunissant nombre de tenants de la thèse négationniste de « l’auto-génocide ».

Pendant ce temps, en France, Pierre Péan, l’homme qui écrivait en 2005 que « la culture du mensonge et de la dissimulation domine toutes les autres chez les Tutsi », dans son livre Noires fureurs, blancs menteurs est élevé au rang de chevalier de la légion d’honneur sur le contingent du ministère de la culture (promotion du 31 décembre 2013).

Pendant ce temps, en France, Ibuka, avec le concours de l’UEJF, de SOS Racisme et du collectif VAN, prêchent en vain depuis plusieurs années pour demander la consécration d’un lieu à Paris à la mémoire des victimes du génocide des Tutsi du Rwanda, comme il en existe en Belgique ou en Grande-Bretagne.

Pendant ce temps, la France choisit d’annuler sa participation aux commémorations se déroulant au Rwanda.

Disons les choses : le quai d’Orsay s’est déclaré surpris par des accusations qui ne sont ni nouvelles, ni injustes. La réalité est que, sous le sceau de ce qu’il a appelé une « normalisation véritable », Laurent Fabius a espéré contraindre le Rwanda à choisir entre réconciliation franco-rwandaise et vérité. Le Président rwandais lui a répondu avec fermeté et il a eu raison : la réconciliation ne pourra se faire au prix de la falsification historique ou du déni. Lui qui dirige un pays où victimes et bourreaux se côtoient encore au quotidien sait qu’il ne peut y avoir d’entente véritable sans recherche intransigeante de la vérité.

Aujourd’hui nous le savons ; nous avons des preuves, des témoignages. Une certaine France de 1994 porte une part de responsabilité dans ce génocide. La France de 2014 sera complice tant qu’elle ne se résoudra pas à lui demander des comptes. En avril 2014, elle a plutôt choisi de la protéger et a préféré abandonner les quelques rescapés Tutsis à leur solitude dans ce moment douloureux.

Pour ceux qui comme moi sont choqués par cette faute morale, il est possible de montrer qu’un autre choix existe : lundi 7 avril 2014 à 15h, une autre France sera sur le parvis de l’hôtel de ville à Paris aux côtés d’Ibuka et des rares rescapés vivants en France pour célébrer la mémoire des victimes du génocide des tutsi du Rwanda. Rejoignez-nous.

2 Commentaires

  1. Il faudrait creer une commission d’enquete internationale pour informer sur ce qui s’est reellement passé, et sur les responsabilites de chacun a tous les niveaux, dans le genre de celle qu’Israel avait créee, suite au massacre de Sabra et Chatilah au Liban, le monde a besoin de savoir, et surtout les francais dont l’honneur est bafoué, ce qui est insupportable, quand il s’agit d’un veritable genocide comme celui-ci.

  2. La France n’est pas l’ennemie du Rwanda, c’est Kagamé lui même qui s’est déclaré l’ennemi de la France. Que la France ait participé à la formation des militaires qui ont ensuite organisé le génocide, n’en fait pas la responsable du massacre. En 1973, le coup d’état du général Pinochet aidé de ses officiers dont certains avaient été formés à l’Ecole Militaire de Paris, n’a pas pour autant été imputé à la France; les atrocités commises par Idi Amin Dada, militaire formé par les britanniques, ne sont pas imputables à la Grande Bretagne.
    La France n’a pas pour ambition de s’ingérer dans les affaires intérieures du Rwanda, mais que Kagamé cesse alors d’en faire le bouc émissaire responsable de tous les malheurs de son pays, et se préoccupe plutôt d’y rétablir une vraie démocratie en permettant à ses opposants de s’exprimer sans risquer leur vie.