La Règle du jeu vous propose de découvrir les poèmes d’un jeune auteur, d’à peine 15 ans : Joseph Durand.



Quand la nuit tombe
ou Paris

Quand le soleil tousse,
Ses dernières lumières,
Les étoiles viennent en douce,
Peu après l’rayon vert.

Les bars s’animent,
Les voitures se garent,
Les ivrognes dépriment,
Une grande fête se prépare.

Je reste seul sur mon lit,
À regarder le temps,
Et jusqu’à minuit,
Je demeure en suspens.

Les rideaux sont fermés,
Les voitures s’entassent,
Des rues mal éclairées,
Et puis ce temps qui passe.

Collé à la fenêtre,
Je sens une douce lumière,
Et au loin règne en maître,
La fameuse Dame de Fer.

Le souffle du vent,
Qui résonne dans la nuit,
Le murmure des passants,
Partageant leurs envies.

Je commence à refaire ma vie,
M’imaginer un avenir meilleur,
Assis au bord de mon lit,
Puis lentement je me meurs.

Le ciel est noir,
Les marronniers s´endorment,
Les couples se séparent,
Les ombres se déforment.

Je me lève tranquillement,
Oubliant mon rêve,
Et le cœur vacillant,
Je sens la nuit qui s’achève.

Je déambule le long des rues,
Mes pieds marchent et moi je suis.
Je m’enfonce pas à pas,
Dans ce brouillard infini.

***

Nature morte

Nous sommes en Sibérie,
Dans un désert froid.
Là où chère est la vie,
Car tuer est une loi.

Le danger semble,
Être partout et nulle part.
Les vieux chênes tremblent,
La mort n’est pas en retard.

Les longs appels à la nature,
Fusent alors dans la nuit noire.
Mais ne répond aux bruits obscurs
Que le beau silence du désespoir.

Et moi là-dedans,
Je ne suis presque rien.
Tel un canot dérivant,
Dans l’Océan Indien.

Le froid s’empare de mon corps,
L’espoir me réchauffe la tête.
Pas d’obstacles jusqu’alors,
Mais je sais que les loups guettent.

Mes pieds sont lourds comme des paquebots,
Ma conscience coule telle un bateau.
Mes larmes se transforment en couteaux,
Qui m’entaillent peu à peu la peau.

La neige, la neige et puis la neige,
Il n’y a que ça à l’horizon,
Et ce vent venu de Norvège,
Qui vous glace la raison.

Mon corps s’en va par petits bouts,
La volonté est mon seul atout.
Et puis cette étendue de blanc,
Est-ce la lumière ou le néant ?

***

Il s’appelait Jo…

Quand vient le soir,
Le ciel est noir,
Les cabanes vertes,
Sur la plage déserte.

On entend vers minuit,
La musique des vaguelettes,
Qui anime la nuit,
Et nous vide la tête.

Ainsi que le clapotis,
D’une vieille goélette,
Qui se repose sur l’eau,
Après une longue fête.

Je déambule chavirant,
Sur les trottoirs usés,
Puis la rumeur des gens,
Parlant vagues et marées.

Le soleil clair,
Inonde la ville,
Et ses plages d’argile,
D’un flot de lumière.

Demeure au loin,
Une cabane solitaire,
Dont un très vieux marin,
En est l’propriétaire.

Ce pêcheur est résistant,
Il brave climats et marées,
Et va au bon gré du vent,
Faire son devoir de poissonnier.

Il a passé ses journées,
Depuis plus de quarante ans,
À partir au loin pêcher,
Pour nourrir ses enfants.

Cette ville n’est pas chanceuse,
Elle ne gagne pas trop d’argent,
Les affaires sont paresseuses,
Et les vendeurs deviennent mendiants.

À quoi bon survivre,
Lorsque la vie vous hait.
À quoi bon lire un livre,
Lorsqu’on ignore l’alphabet.

Car une vie sans lutte,
Est une vie sans passion.
Et une vie sans but,
Est une vie sans raison.

***

Chant à la guerre

1) Nacht, Nebel und Schnee

Des plus profondes ténèbres
De l’histoire surgit
Mon souvenir de la célèbre
Ville endormie.

Je défendais une voie
À l’Est de la cité,
Assiégée et en proie
À l’hiver russe déchaîné.

Quelques braves camions,
Passant le lac gelé,
Déchargeaient leurs rations
Sur un peuple affamé.

Je noyais mon regard
Dans l’infini blizzard,
Lorsque apparut mon lieutenant
Ballotté par le vent.

Avec son invincible sourire
Pour le meilleur et le pire,
Il m’accorda ma pitance
Et s’en alla sans récompense.

Cet homme évoquait souvent
Le courage des habitants
Qui, grâce au ravitaillement,
Tenaient tête aux Allemands.

Il n’apporta, une soirée,
Qu’un unique repas,
Me promettant d’avoir mangé.
Mais j’enfouis son mensonge en moi.

Pendant tout le lendemain
J’attendis qu’il ne survint,
Et, avec monotonie,
La semaine se finit.

Dans la brume hivernale
Un jour, une ombre se dessina.
Un être difforme s’en réchappa :
Revêtu d’une peau pâle,

Squelettique, le visage creux,
Couvert d’un drap en lambeaux,
Un désespoir dans les yeux,
Semblable au tumulte des eaux.

Puis une main sortit du froid
S’arrima à son épaule
Et avec la dureté des lois
La plia comme de la tôle.

L’être brisé m’aperçut
Et dans un regard perdu
Où brûlait une vive lueur
Me transmit sa terreur.

Dégringolant de ma maison,
Comme deux soldats l’emmenaient,
J’appris son vol d’une portion
Avec laquelle il s’enfuyait.

Isolé dans la vision
Du corps traîné sur la glace,
De ce fantôme qui trépasse,
Je sentais faiblir ma raison.

2) Leningrad

Aux frontières de la mort,
Je me rendis avec effort
À l’imposante cité
Aux courbes secrètes et enneigées.

Les cris du vent se brisaient
Sur les murs tenaces.
Un sombre silence résonnait
Glaçant l’esprit, plein de menaces.

De vagues gardes désabusés
M’ouvrirent une porte démesurée
Sur les coulisses de la guerre,
Sur la famine et ses enfers.

Un paysage passé,
Sans mouvement ni vie,
La neige était jonchée
De passants endormis.

Rattrapé par le désespoir
Dans un état second
Je m’immergeais dans les Tartares
Et dans l’horreur cherchais un fond.

La glorieuse place d’antan
Servait de fosse commune.
Les corps entassés sous la Lune
Difformes, n’avaient rien de vivant.

Une ombre proche de moi,
Esquissa un mouvement.
Je me tournais avec effroi…
Pour reconnaître mon lieutenant.

Mes bras l’enveloppèrent
Tel un fils et son père :
-« Pourquoi m’avoir menti ? »
-« Garde espoir en la vie. »

Après un regard long,
Ses yeux s’élargirent en miroirs.
Il sourit, dans notre passion,
Et bascula dans le noir.

***

Dimensions

Sur un petit pont vêtu de fleurs
S’élançant par-dessus un large fleuve,
Les éternels rivages de nos cœurs
S’unissent en une force neuve.

Mes deux mains grossières
Plongent dans ses cheveux flottant ;
Petites âmes dans la grande misère,
Poussées l’une contre l’autre par le vent.

Assis, nous nous laissons emporter
Par l’immuable courant de l’éternité.
Et de nos longs regards amers,
Nous oublions l’immense univers.

Dans ce vaste monde malheureux,
Il ne reste que nous deux.

***

La ballade solitaire

Le jour, je me promène
Dans un brouillard d’inconnus.
Leurs rires ravivent ma peine
Et leurs amours m’excluent.

Je me promène, la nuit,
Sur la plage désertique,
Pour contempler l’Atlantique
Et Biarritz endormie.

Sous les ténèbres du ciel
Brillent les étoiles urbaines.
Sur le rivage, en mille pensées vaines,
S’échouent mes élans passionnels.

Tout est calme, mon âme vibre.
Pensif, car chaque jour a une fin.
Ma vie se prolonge-t-elle demain ?
Qu’importe, maintenant je suis libre.

***

L’extravagance

Paris l’hiver
Est pleine de mystères.

Un jeudi soir,
Sur les Champs Elysées,
J’accompagne mes pensées
Le long des trottoirs.

Soudain j’aperçus
Une grande inconnue,
Un large manteau
Posé sur le dos.

Ses cheveux envoûtants
Courraient dans le vent
Et formaient un nuage
Autour de son visage.

Puis une longue voiture
Rejoignit son allure.
La fenêtre s’abaissa
Et un homme l’appela.

Mais rien ne froissa
Le rythme de ce pas.
Alors l’homme, en larmes,
Sortit une arme.

Serais-ce un drame ?
Serais-ce faux ?
Tout d’un coup : BAM !!
Je me suis pris un poteau.


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