Taubira renvoyée récemment au monde de la forêt par une candidate d’extrême droite, du racisme brut et choquant ;  un sketch insultant la mémoire des victimes du génocide des Tutsi du Rwanda diffusé par Canal Plus, humour méprisant et profanateur ; et Dieudonné qui récidive avec ses sempiternels jeux de mots offensants sur la Shoah, des mots désormais prolongés par un  geste grotesque, obscène, signe manifeste de la haine.
Racisme et antisémitisme autrefois vécus comme une maladie honteuse dorénavant assumés, revendiqués au grand jour. Au nom d’un certain esprit qualifié d’humour! Droit à l’humour dans tous les sens ; droit à l’humour tous azimuts. Droit de rire de tout en groupe, en société! Tout serait, paraît-il, matière à rire. Tout serait risible, marrant, propre à faire rire  car – en somme – rire ne serait rien d’autre qu’un simple acte naturel plaisant, un enjouement amusé sans objet, sans arrière-pensées!
Le rire, une jovialité donc par essence innocente et sans aucune signification éthique? Absurdité! Le rire n’est pas qu’un spasme physique ; le rire c’est également une vision du monde, un langage. S’il est, en effet, des rires-faveurs de la vie, des rires célébration du plaisir d’être ; s’il est des rires – parades à l’inhumanité de l’homme et source de résilience face à l’intolérable de la condition humaine, des rires-antidotes au désespoir et à la bêtise humaine, des rires pour ne pas pleurer, des rires produits d’un humour agréable, vivace, facétieux, impertinent, ironique, mordant, burlesque ou subversif;  il est également de ces rires misérables, emplis de haine et porteurs d’une extrême brutalité ; il est de ces rires qui éloignent l’homme de toute humanité, des rires  fruits d’esprits faibles, infirmes à toute humanité.
Que nous dit en effet l’histoire? Que parallèlement à la fureur verbale et à la violence physique, le rire est l’une des voies classiques d’expression de la cruauté humaine ; que l’utilisation de la moquerie comme outils d’humiliation et d’infériorisation de l’homme par l’homme est une constante de l’histoire ; que le racisme et l’antisémitisme du rire existent bel et bien.
Trois exemples : Aux Etats-Unis, les membres du KKK – au nom de la pureté raciale  raillaient leurs victimes – « ces Nègros » –  avant de sortir – capuchon couvrant le visage – les cordes à lyncher. Même script en Afrique du Sud : les tenants de l’apartheid s’amusaient à broyer quotidiennement la dignité de ceux qu’ils nommaient les kaffirs tout autant par les sjamboks que par les moqueries. Quant à la violence  humoristique des nazis prêtant aux Juifs des caractéristiques somatiques et moraux particuliers, elle fut le seul amusement autorisé et quasi-coutumier sous le IIIème Reich.
Dieudonné – ami de Soral et de Le Pen – n’a donc rien inventé ni dans le geste ni dans la parole : son rire s’inscrit dans un discours antisémite  bien établi. Et le négationnisme ne pouvant plus – aujourd’hui –  s’exprimer ouvertement par la parole écrite sous peine de sanction, il emprunte les chemins de traverse  de la moquerie. Dieudonné c’est tout simplement Faurisson empruntant la voie de la dérision. Oui le rire-Dieudonné c’est le négationnisme version vulgarisé et popularisé avec éclats de ricanement en groupe ; un négationnisme  colportant – au bout du compte – un seul et infâme message : la Shoah ne serait qu’une comédie.
En offensant ainsi les victimes de la Shoah, ce triste comique se rit de notre humanité à tous.  Alors ? Laisser son rire se répercuter sans entraves à l’infini comme un flot de paroles haineuses,  reviendrait à laisser le dernier mot au crime des crimes.
David Gakunzi, Ecrivain et directeur de l’IREA-Maison de l’Afrique