Ce n’est pas un article du Gorafi. Mi-novembre, le public a eu l’immense joie de connaître enfin les noms des trois nouveaux cadors de l’économie. Deux d’entre eux sont des personnalités relativement célèbres dans le microcosme économique, il s’agit de Robert Shiller et d’Eugene Fama.

L’un, pionnier de la finance comportementale, s’oppose à la théorie de la rationalité des agents économiques des néo-classiques et publie en 2000 un ouvrage intitulé L’Exubérance irrationnelle dans lequel il démontre que les marchés ne sont pas guidés par des forces extérieures qui s’autorégulent, mais bien par les comportements des agents financiers eux-mêmes. Dans la même optique, il publie en 2009, conjointement avec George Akerlof, Les Esprits animaux. Comment les forces psychologiques mènent la finance et l’économie (Pearson Education). La reprise de la célèbre formule keynésienne n’est pas anodine : les « esprits animaux » dominent les forces économiques, et l’action de l’Etat doit permettre à ces esprits d’être mis au service du bien commun.

L’autre, véritable chantre de l’efficience des marchés, s’est rendu célèbre avec la parution en 1970 dans la revue économique Journal of finance d’un article intitulé « Efficient Capital Markets » qui a le mérite d’annoncer la couleur d’une théorie que la crise semble avoir balayé d’un revers de manche, sans parler des travaux d’André Orléan, président de l’Association Française d’Economie Politique, dont les écrits sont édifiants sur le non-sens d’une telle théorie. Homme inébranlable dans ses convictions libérales, Fama a même soutenu au moment de l’explosion de la bulle immobilière aux Etats-Unis qu’elle n’était pas responsable de la crise, incriminant un coupable pour le moins facile : les cycles économiques.

Mais alors, attendez … On aurait donc attribué le prix Nobel d’Economie à deux personnes que tout oppose ? Pas tant que ça, semblerait-il, puisque les trois économistes ont été récompensés pour leurs éminents travaux sur les marchés financiers. Qu’écrivent-ils ? Qu’il est impossible de prévoir le cours des actifs financiers sur le court terme, mais qu’ « il est tout à fait possible de prévoir le cours général de ces prix sur de longues périodes, comme dans les trois à cinq prochaines années. »
Alors, si on poursuit le raisonnement : on ne sait pas ce qu’il se passera demain, mais on peut vous dire par contre ce qu’il adviendra de vos actifs d’ici cinq ans. Fort bien. Imaginez Sébastien Folin : « Chers téléspectateurs, bonsoir. Vous voulez savoir si vous pouvez aller skier demain ? On ne peut pas vous dire. Par contre, à l’hiver 2018, de très belles chutes de neige sont attendues, donc réservez dès maintenant vos séjours dans les Alpes. »

J’entends déjà sonner le glas du keynésianisme, où on ne manquera pas de nous rappeler que Keynes avait un jour déclaré qu’à long terme, nous sommes tous morts. Paul Walker lui donnera certainement raison, mais rappelons que le sens de cette formule n’est pas de ne pas porter le moindre intérêt au long terme, mais de considérer que celui-ci n’est en fait qu’une succession d’évènements de courts termes. Pour résumer, penser long terme sans se soucier de ce qui va se passer demain est inutile, sauf pour faire le lit des théories ultra-libérales qui prônent un désengagement maximum de l’Etat des affaires économiques.
Les néo-classiques ont fait le choix de la facilité : il est inutile de chercher à influer le court terme car à long terme revient l’équilibre ; il est inutile à l’Etat de chercher à intervenir, il ne pourra pas modifier l’équilibre général de long terme de l’économie ; il est inutile de réguler les marchés financiers puisqu’ils sont le meilleur moyen de donner aux choses une valeur à un moment t.

Non messieurs, l’économiste ne peut pas se contenter de ne voir que de loin. Il doit porter des verres pour analyser ce qu’il se passe sous son nez et commencer par s’offusquer de voir de tels travaux récompensés par la Banque de Suède.