Ça y est. Les Roms ont un nom. Ils étaient un pluriel générique, ils sont désormais un singulier féminin : « Leonarda ». Ils étaient immémoriaux : voilà qu’ils ont 16 ans d’âge. Leur volatilité, leur faculté à échapper à nos instruments de mesure, leur génie de n’entrer dans aucune de nos définitions a fini par s’incarner dans une identité, a fini par se stabiliser dans un corps : celui d’une petite lycéenne kosovar qui séchait les cours. Pour dire le courage, résumer l’insoumission, les politiques inventèrent jadis, à partir de modèles humains prélevés dans la matière du nombre (lissant souvent leurs tares et rabotant parfois leur réalité) des héros sur mesure de la mythologie républicaine : Jeanne d’Arc, Danton, Louise Michel, Jean Moulin. Passés sous la moulinette des commémorations, des célébrations, des hommages, des gloses, ces personnes devenues personnages ne sont plus ni réelles, ni fictives, mais, comme disait Malraux, les visages de la France. Il arriva même que, processus inverse, des figures fictionnelles – Gavroche – prissent chair pour rejoindre dans l’autel de Marianne leurs collègues en héroïsme ou en martyre. Il arrive que le costume du symbole semble trop large pour le simple humain à qui l’on ordonne de l’enfiler. Péguy reprochait à Dreyfus de n’être pas à la hauteur de l’Affaire qui portait son nom. Le cas Leonarda n’est pas inédit en ceci qu’il établirait un mur entre la gauche et la droite, mais parce que la figure proposée à la canonisation ou, c’est selon, livrée aux chiens, prend au pied de la lettre les valeurs de la République, forçant à les penser au lieu que de s’y accoutumer. Leonarda, placée sur la ligne de crête de nos valeurs, fait vibrer la corde de la fraternité en même temps qu’elle semble narguer la loi. Les droits de l’homme, nous le redécouvrons, sont soumis au droit positif. Il est une échelle à partir de laquelle la loi s’incarne dans un face à face. Non plus la société en face d’un délit, mais le visage humain d’un juge face au visage humain d’un coupable que cette proximité innocente, d’un innocent que cette proximité accable. François Hollande a prêté son visage à la République pour parler à Leonarda, qui a prêté son visage aux Roms. Manière claire, pour notre peuple des règles, de parler à ce peuple qui n’a pas vocation à les accepter. Le Président n’a pas fait acte de faiblesse, mais d’humilité ; la cinquième puissance mondiale vient de prouver sa force en se mettant à la hauteur d’une enfant et en lui parlant comme à une adulte. Les Roms agacent et narguent nombre de Français parce qu’ils semblent heureux malgré leur misère, quand nous sommes dépressifs au milieu de ce qui, en regard de la détresse des populations nomades, doit être appelé le confort. Leonarda et les siens refusent la société de consommation et préfèrent la famille à l’entreprise. Cette fameuse entreprise qui, en temps de crise, maltraite la population dûment en règle et installée. Les désormais sans-travail ont déclaré la guerre aux sans-papier. Leonarda n’a fait que réveiller nos malaises ; elle a, comme une icône à l’envers, comme une anti-Jeanne d’Arc dont elle ne partage que l’âge, stigmatisé nos peurs, et surtout : nos peurs d’avoir peur. La France n’est malade que d’elle-même. Désigner les étrangers, les faibles, les enfants comme des coupables quand ils ne sont que des irréguliers, c’est traiter d’assassin un passager clandestin. Tel blasphème n’a lieu que sur les navires qui, pour s’être sabordés eux-mêmes et cherchant paniqués un bouc émissaire avant le dernier soupir, se regardent couler. On ne hait jamais que soi.

8 Commentaires

  1. Je ne suis pas d’accord avec cette vision de la France qui devrait se soumettre à l’intérêt des particuliers. Comme l’a dit Louis XIII dans une célèbre affaire :

    « Je ne serais pas roi si j’avais les sentiments des particuliers. On ne doit pas être fâché de voir mourir un homme qui l’a si bien mérité. On doit seulement le plaindre de ce qu’il est tombé par sa faute dans un si grand malheur ».

    Les lois doivent être appliquées pour tout le monde et notre président n’aurait jamais du intervenir dans cette malheureuse histoire. C’était peut-être de l’humilité de sa part, c’est de la honte, en tant que Français, que je ressens.

  2. Bonjour,

    très bel article, intelligent de surcroit, ça change de la presse.

    Mais il y a un détail qui me chagrine, on répète à l’envie que la France est la 5e puissance mondiale …. mais de quel monde parle-t-on ?
    Ce classement repose uniquement sur la forte valeur de l’euro, monnaie que nous manipulons. Si nous oublions le taux de change (qui nous ait favorable uniquement parce que les autres puissances dévaluent leur monnaies) et que nous regardons la réelle richesse des français et la réelle production nationale, la France retombe très, très loin derrière la Russie, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, le RU, etc, etc…. arrêtons de nous caressez le poireau, nous ne sommes plus du tout une puissance.

    Notre puissance reposait jadis essentiellement sur l’exploitation de nos colonies. Aujourd’hui, plus de colonie, plus d’esclave (pour rappel, Napoléon avait rétabli l’esclavage « pour raison économique »), nous n’avons plus rien à exploiter que nous même… et c’est là que ça devient compliqué.

    À bon entendeur, mesdames et messieurs les fiers coqs gaulois…^^

  3. Monsieur Moix, je suis formatrice de travailleurs sociaux…. Merci de vos lettres que je vais m’autoriser, bien sûr avec votre permission, à travailler avec mes étudiants… votre capacité de synthèse historique et sociale est un outil à leur service afin qu’ils se préparent, encore et encore, à l’aiguiser devant l’ampleur de leur tâche à venir, dans cette société qui ne voit pas qu’elle souffre, d’ignorance….

  4. « Le Président n’a pas fait acte de faiblesse, mais d’humilité ; la cinquième puissance mondiale vient de prouver sa force en se mettant à la hauteur d’une enfant et en lui parlant comme à une adulte. »

    Merci pour cette phrase, cher Mr Moix.

  5. excellent.
    on pourrait faire mille billets sur cette « histoire » tant il y a d’angles…

  6. Bonsoir,

    Un texte tres interessant meme si je ne pense pas que cette jeune fille symbolise vraiment la situation des Roms (elle etait scolarisee).
    Vous avez raison « On ne hait jamais que soi » c’est pour cela que ca va etre difficile de faire sortir la France de la depression, mais alors comment fait-on pour s’en sortir ?

    cordialement,

  7. Bonsoir,

    Un texte tres interessant, meme si je ne pense pas que le cas de cette jeune fille symbolise la situation de la majorite des Roms (elle etait scolarisee).
    Vous avez raison « On ne hait jamais que soi », c’est pour ca que sortir la France de la depression va etre difficile, comment fait-on alors pour aller mieux?