A 16 ans, l’ami Kamal Hachkar – «marocain, berbère, musulman, arabe français», comme il se définit – retournant dans son bourg natal de Tinghir, dans l’Atlas, loin de Casablanca et de Rabat, a questionné son grand-père sur les maisons vides de l’une des parties du village, Asfalou. La réponse fut : «C’étaient des juifs qui habitaient là.» «Là», c’était le mellah, le quartier des juifs. Depuis lors Kamal, venu à l’âge de 6 mois en France où il est devenu enseignant, n’a eu de cesse de «réveiller une mémoire refoulée». De cette préoccupation est né un merveilleux documentaire, «Tinghir-Jérusalem, les échos du mellah», émouvante enquête qui nous entraîne depuis le Maroc jusqu’en Israël à la rencontre d’hommes et de femmes qui se sont côtoyés et ont parfois travaillé ensemble, il y a plus de cinquante ans. Les uns sont juifs et désormais installés à Jérusalem, les autres sont musulmans et vivent toujours à Tinghir.

Le réalisateur n’enquête pas comme un historien ou un détective. Mû par une curiosité bienveillante et joyeuse, il se débrouille pour retrouver ceux qui peuvent lui narrer le temps où il y avait des offices dans les synagogues du village berbère, leur pose délicatement des questions précises, se montre parfois malicieux, sans jamais se départir d’une empathie pour ce monde disparu dont les témoins lui livrent le souvenir. Chez un barbier il interroge les hommes, des anciens, sur la présence passée des juifs, puis fait de même à la sortie d’un lycée. Aucun de ses interlocuteurs ne s’offusque ; les jeunes affirment tranquillement que si les juifs revenaient «il y aurait la coexistence», que s’ils étaient restés ils auraient évidemment «le droit d’étudier aussi» ; une adolescente voilée évoque «le pain Chtoto, le pain des juifs». Ils racontent comment certains de ces juifs reviennent «pour montrer à leurs enfants d’où ils viennent» ; un lycéen entonne «la chanson de Shlomo Bar», qu’il a fini par apprendre en entendant les juifs la chanter lors de leurs séjours dans le village de leurs ancêtres.

Affiche du film Les échos du Mellah
Affiche du film Les échos du Mellah

Muni du superbe livre «Juifs parmi les Berbères», d’Elias Harrus, à l’iconographie exceptionnelle, Kamal Hachkar questionne sa grand-mère, qui, devant la photo d’une jeune femme juive en tenue de mariée, décrit les vêtements : «Les femmes mariées portaient des perruques en queue de jument, des perles et un louis d’or.» Le passé n’est pas idéalisé, la grand-mère précisant : «On ne se fréquentait pas.» Montrant sa collection de vieilles photos soigneusement classées et annotées, le petit-fils de juifs de Tinghir explique que «dans toute la région il y avait des tribus berbères judaïsées». Une dame juive raconte comment, lors de l’arrivée de sa famille en Israël «on avait honte de dire qu’on était berbère», et d’ajouter : «Les Ashkénazes disaient du mal des juifs marocains, ils nous appelaient chleuhims, c’était méprisant.»

Tout au long du film on entend parler arabe, berbère, hébreu. L’un des interlocuteurs juifs de Kamal Hachkar à Jérusalem, retrouvant la langue de son enfance à Tinghir, la mélange avec l’hébreu, et s’en amuse. La plupart des juifs interviewés, qui ont quitté l’Atlas marocain entre la fin des années cinquante et le début de la décennie suivante, disent la difficulté du départ. Mais justement, pourquoi sont-ils partis ? La réponse, ou plutôt les réponses se trouvent, ou ne se trouvent pas, dans le film. La grande Histoire est passée par Tinghir, bouleversant la vie de ces familles juives, et laissant un vide que rien n’est venu combler dans le village de Kamal Hachkar. Seuls subsistent les tombes et les souvenirs des plus âgés. Grâce à Kamal Hachkar ces souvenirs sont devenus aussi les nôtres.

Le film est en salles à partir de ce mercredi 9 octobre aux cinémas L’Odyssée, à Strasbourg, et Le Lucernaire à Paris. Kamal Hachkar débattra avec le public après la projection de 20h30 au Lucernaire.

 

 

 

Un commentaire

  1. « L’Histoire », grande ou répandue ne trouve pas sa source à Tinghir ou le Todra même. Elle s’y est arrêtée et sous se s pieds ses racines ont poussé se mêlant aux racines existantes pour le plus grand bienfait de chacun. Puis le temps s’est nourri de lui même et a poursuivi son chemin, laissant ses enfants cloîtrent, en confiance car la vie ne s’arrête à hier. Vivant ici à Tinghir, je remercie l’empreinte des mémoires à l’instar de Kamal Hachkar et la patine du temps universelle résonner parmi le rire des enfants aussi.