Le départ d’Olivier [Corpet] est une mauvaise nouvelle pour l’IMEC qu’il a créé et à qui il a tant donné mais dont je comprends qu’il ait souhaité, après tant d’années, s’éloigner un peu. C’est, en revanche, une bonne nouvelle (pardon pour cet instant de patriotisme éditorial!) pour La Règle du jeu avec laquelle il intensifiera, plus que jamais, sa collaboration. Surtout, ce pourrait être une nouvelle meilleure encore pour la littérature : mon petit doigt me dit qu’Olivier n’aurait pas fait ce choix si ce n’était pour s’atteler enfin à la rédaction de ce livre (roman? mémoire?) que nous sommes nombreux à attendre. On trouvera déjà ici l’émouvant discours qu’il a prononcé le 20 septembre à l’Institut du Monde Arabe en présence de ses amis et collaborateurs. Suit la lettre qu’il a adressée aux déposants et aux proches de l’IMEC pour leur faire part de sa décision de prendre du champ tout en continuant de veiller, quoique d’un peu plus loin, aux destinées de son Institut. Nous mettrons aussi en ligne, prochainement, les images de la cérémonie amicale au cours de laquelle lui ont également été remises les insignes d’Officier des Arts et des Lettres. BHL

Discours lors de la remise des insignes d’Officier des Arts et des Lettres

Monsieur le ministre,
Monsieur le président,
Mon cher Jack,

Merci infiniment pour vos propos, je me doutais bien que vous ne diriez rien de méchant ce soir, mais à ce point d’éloges, je ne peux que m’incliner, surtout qu’ils ont été apparemment approuvés par vous tous… Je tiens à remercier chacun de vous d’être présents ce soir ainsi que tous ceux qui, n’ont pas pu venir mais se sont manifestés d’une manière ou d’une autre.

Je dois dire que j’ai compris depuis peu pourquoi certains artistes font plusieurs fois des tournées d’adieu, tant il est doux de s’entendre dire qu’on a été plutôt bon sur la durée (25 ans dans une vie ce n’est pas rien, en effet) et que l’on vous sait gré d’avoir fait ce que vous avez fait.

C’est un moment exquis que je souhaite à chacun, mais c’est également un moment qui exige qu’on garde la tête froide et d’abord qu’on sache partager ces louanges.

Voulant vanter le primat des actions collectives sur les performances individuelles, un de mes amis aimait à répéter cette strophe de Bertold Brecht : « César vainquit les Gaulois. N’avait-il pas au moins un cuisinier près de lui ? »

En nous associant Albert [Dichy] et moi dans cet hommage à l’IMEC, le ministre de la culture, Aurélie Filippetti – que je dois remercier pour cette heureuse initiative qui nous permet de nous retrouver si nombreux entre amis – a été bien inspirée (ou conseillée).
Elle n’a bien sûr aucune responsabilité dans l’annonce concomitante de mon « départ » de l’IMEC, cette décision m’appartient en propre et correspond – avant toute autre considération plus personnelle – à une volonté d’assurer la transition de la meilleure façon possible en passant le relais à Nathalie Léger.

C’est un choix assumé que j’ai fait en accord avec le nouveau Président de l’IMEC, Pierre Leroy. Il a accepté de prendre la suite lourde, de personnalités comme Claude Durand, Antoine Gallimard, Christian Bourgois (qui me manque ce soir) et vous même Jack Lang.

Quatre fortes personnalités qui toutes m’ont accompagné et soutenu dans ce qui n’allait jamais de soi, je tiens à le rappeler ici. L’IMEC a dû bagarrer ferme pour s’imposer et devenir cette institution dont vous avez dit les mérites.

Le chemin parcouru depuis la rue de Lille (où Edmund White fut le premier des chercheurs installé dans la bibliothèque) m’impressionne toujours autant qu’il stupéfie tous nos amis étrangers qui connaissent souvent mieux que nous, nos propres lourdeurs administratives, et nos mauvaises habitudes si françaises. Cette image de l’IMEC à l’étranger est sans aucun doute pour moi la plus belle récompense qui soit, l’assurance que nous sommes sur la bonne voie.

Ce qui fait que cette reconnaissance qui m’est accordée ce soir je peux, que dis-je ?, je dois la partager avec toutes celles et tous ceux qui ont permis ce résultat collectif, qu’elles s’appellent Claire (Paulhan,) Pascale, Sandrine, Agnès, Estelle, Hélène ou Emmanuelle, ou bien qu’ils se prénomment André, Alain, Yoann, François ou Yves (je ne peux citer ici les quelques 45 collaborateurs , sous la direction désormais de Nathalie Léger et qui tous méritent collectivement ma reconnaissance au point que c’est bien volontiers que je leur dédie cette distinction).

Je ne voudrais pas ce soir oublier de dire un mot sur celui sans qui nous n’aurions jamais fait tant d’envieux et sans qui nous ne nous serions jamais installés dans cette étonnante abbaye d’Ardenne, je veux parler de René Garrec, ici présent et à qui nous devons tant. Il a su en 1995, année tournante dans l’histoire de l’IMEC, faire le pari un peu fou, de nous inviter à passer de Saint-Germain-des-Prés à Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, faisant preuve d’une vision et d’une détermination dont nous lui sommes pour toujours reconnaissants et, cela je dois le rajouter, au-delà de nos divergences politiques.
Il est des présences qui comptent et je suis heureux que ce soir tu sois parmi nous, mon cher René.

« Qui paye ses dettes s’enrichit » dit un adage populaire dont je n’ai jamais bien compris le sens. N’empêche, ce soir, je voudrais vous dire combien ma dette est immense – que j’ai envers vous tous : déposants, chercheurs, collaborateurs, amis qui forment la « cohorte de ceux qui nous soutiennent » – et je vais tâcher de commencer à rembourser ma dette en m’employant au cours des prochains mois à raconter et à « théoriser » cette belle aventure de l’IMEC. Manière pour moi de vérifier si l’adage dit vrai, et donc de m’enrichir, au moins spirituellement et intellectuellement parlant.

Ce récit, ce sera notre histoire commune, une histoire dont vous êtes les héros et nous les chroniqueurs admiratifs, ne cherchant qu’à retrouver et à faire partager la passion, la vision et la détermination qui ont été les miennes, les nôtres, pendant 25 ans. Grâces vous soient donc rendues pour votre confiance et votre vigilance qui constituent la meilleure défense contre la bêtise et la cupidité qui nous environnent et pour, tous ensemble, bâtir la maison commune de nos mémoires

Je vous remercie de votre patience et vous invite à boire à la santé de l’IMEC.

La lettre d’Olivier Corpet

Chère amie, cher ami,

Le dernier Conseil d’administration de l’IMEC et l’Assemblée générale du 20 juin 2013, placés sous l’autorité de Pierre Leroy, nouveau président de l’IMEC, ont accepté ma démission du poste de directeur de l’IMEC que j’occupais depuis sa fondation voici presque 25 ans. Elle est effective depuis le 1er septembre.

A vous, interlocuteurs et partenaires privilégiés, ou plus simplement amis de l’IMEC, je veux vous donner quelques explications.

Deux raisons essentielles ont motivé ma décision.

La première, d’ordre personnel, tient à mon état de santé, qui ne me permet plus aujourd’hui d’assurer pleinement une direction sereine et maitrisée de cette institution devenur une véritable entreprise.

La seconde est d’ordre intellectuel et politique. J’ai toujours pensé que le développement de l’IMEC portait intrinsèquement la question cruciale de la transmission à une nouvelle équipe dirigeante, chargée de la poursuite du projet initial, dans sa dynamique et ses évolutions.

En conséquence, le Conseil d’Administration a désigné à l’unanimité Nathalie Léger, directrice adjointe depuis 2009, au poste de directrice générale de l’Institut. Elle pourra compter sur une équipe de direction renforcée et consciente de ses responsabilités dans et pour la réussite de ce projet et sur un personnel dont vous avez pu apprécier vous-mêmes les grandes qualités humaines et professionnelles. Elle bénéficiera également du soutien précieux d’Albert Dichy, directeur littéraire, et qui fut de toutes les aventures de l’IMEC depuis sa création.

Je crois indispensable et utile de rappeler ici que l’existence de l’IMEC est principalement fondée sur le rapport de confiance qui le lie aux déposants et ayants-droit, qui est au coeur de notre dispositif. Nous partageons avec eux l’idée que la reconnaissance de l’importance culturelle et scientifique des archives est primordiale. C’est pourquoi nous avons créé cette institution ouverte, innovante et expérimentale, à nulle autre pareille.

Pour ma part, je ne m’éloignerai pas trop de l’IMEC, ayant accepté, sur proposition de Pierre Leroy, de devenir son conseiller spécial pour les questions de stratégie et de développement. Je conservai également un rôle dans la gestion et la valorisation de certains fonds pour lesquels j’ai été sollicité nommément par les auteurs eux-mêmes (en tant qu’exécuteur testamentaire pour leur oeuvre) ou par leurs ayants droit autour de questions de valorisation de leurs archives, à travers des expositions ou des éditions.

Je vous devais, à vous sans qui l’IMEC n’existerait pas, ces informations concernant la continuité du développement de notre institution. Elle est plus importante encore que nos destins personnels.

De tout mon coeur, je vous remercie de la confiance que vous m’avez témoignée pendant toutes ces années, et vous adresse mes plus amicales attentions.

Olivier Corpet

Photos : Yann Revol