La première fois que Moix est entré dans ma vie, ou plutôt lorsque ses mots se sont posés devant mes yeux, j’expérimentais une forme de re-Naissance mortelle.

C’est donc un sujet qui me touche.

A Kerpape, au centre breton de rééducation fonctionnelle pour grands tétraplégiques. Zombie Park. Une horreur. L’été 1996. Six mois après mon crash en bagnole. Je voulais voir la mer, le soleil, les mouettes et ressusciter. Raté.

Notre éducation chrétienne nous enseigne le credo d’une vie éternelle après la mort, mais jamais qu’un état mortel ne puisse asphyxier notre condition de vivant.

Mais comme souvent – quand chez moi, tout va de mal en pis – par l’intercession de mon ange gardien et de l’Esprit Sain, il s’est produit un petit miracle qui a mis de côté – pour un temps certain – mes cogitations d’autodestruction.

Un joli paquet de livres arrivé sur mon lit d’hôpital, que m’adressaient mes amis Gilles Hertzog et Jean Paul Enthoven. Bref, un large panel de la rentrée littéraire.

Merci donc à ces chers camarades qui, à défaut de mon corps, se préoccupaient de ma tête. Eux étaient à se bronzer sous les tropiques, moi j’étais seul dans le crachin celtique – au front – à guetter l’ennemi dans le miroir fendu : ma pauvre gueule de vaincu.

Dans ce colis postal, je découvrais un premier roman «Jubilations vers le ciel» du sieur Yann Moix. Son nom déjà : deux syllabes clin d’œil qui tranchaient net et que je m’amusais – par instinct poétique et Gainsbourien – à écourter : – Y’a Moi…

Ou à chanter sur ce prénom, créé par Julien Clerc dans Yann et les Dauphins :

Savez-vous ce que racontent, Les dauphins des grandes mers ?

Une histoire de ce monde, Mais d´un autre univers…

Tout près d´un port des Flandres, Il y a bien longtemps,

Yann avait un navire, Mais n´avait pas seize ans.

Sur ce petit atoll infernal où je végétais, un roman d’enfance et de pureté lumineuse me tirait vers le haut.

Moi qui dégueulais la fiction, l’imaginaire, la musique des mots, le tempo des lettres, voilà qu’un écrivain inconnu de 28 ans venait me remonter le moral et m’apaiser jusqu’à la fin de l’été. Cela créé des liens.

Et davantage, lorsque je pus juxtaposer – quelques années plus tard – un visage, une voix, une intelligence, sur Yann, le hérault des Jubilations, et connaître enfin la matière réelle de son auteur. Là, il vous parle deux fois.

J’aime bien aimer les écrivains dont j’aime les livres. Davantage ceux de ma génération.

Je ne fais pas partie des snobs qui idéalisent les écrivains morts. Trop facile.

Va critiquer Mozart !

Qui va te répondre ?

Jean-François Zygel et sa boîte à fromages?

Moix est bien vivant et dans son travail d’auteur, de critique, de polémiste, de conférencier, il me semble davantage se comporter en chrétien qu’en théoricien. Chrétien dans son étymologie grecque : Christos, le témoin.

Et sans doute plus que cela. Le voyageur pacifique mais attentif de son époque,

L’esthète moine soldat enclin aux fragilités humaines et aux frontières inaccessibles

qu’il faut franchir l’esprit et le cœur ouvert.

Le mot, l’image, le dessin, la musique… Rien ne l’arrête, c’est un vortex cérébral qui s’auto-consume pour rebondir à chaque mue, tel un beau diable.

Et son dernier roman Naissance, ne parle que de ça.

Celui d’une vie que l’on va extraire de son ADN, de sa généalogie truquée et d’une existence entière que l’on fait vaciller de son piédestal – qu’il soit de fumier ou de diamant – brutalement, follement, radicalement. Revenir vers son destin.  L’écrabouiller comme un château de sable et tout recommencer. Mais façon Moix. Il a le droit. C’est son livre. C’est sa vie. C’est son œuvre. Et malgré les 1143 pages, il reste humble. Et drôle.

Naissance est un pavé saignant et sauce poivre à 26 euros.

Un – trois en un – gargantuesque et vorace qui rectifie une certaine paresse formatée de la littérature française : Naissance contient trois livres de 381 pages ou… 36 fois le Indignez-vous! de Stéphane Hessel (32 pages).

Pour ce quinzième opus (en y comptant ses films), et ce septième roman, Moix et sa plume affolée mais têtue, distille – au cours de dix chapitres en montagne russe – un récit vertigineux, foisonnant d’informations, de personnages, de fiction vécue, d’inventaires loufoques et gracieux, de correspondances empilées, mais qui souffle à l’oreille du lecteur, tel l’évangile d’un fou.

C’est bien le minimum pour renaître à soi.

Survivant le Moix. Non dans son sens tragique, génocidaire, mais Sur-Vivant : habité, happé, hanté par un surplus de vies qu’on lui a volées.

Et c’est ce qu’il raconte. Se jouant des codes, des équilibres, de la raison.

Car si l’on décèle plusieurs Moi X en Yann, ce n’est pas de sa faute.

On lui a raté sa conception ! Il eut moins perdu de temps s’il avait choisi ses géniteurs.

Il faut des siècles pour rattraper un faux départ.

Et depuis sa naissance d’écrivain, Yann ne cesse de bouleverser sa matrice et de la décomposer.

Voilà pourquoi Naissance est un sujet fort, ballotant, enivrant, mystique.

Une route façon Compostelle, car la récompense n’est pas le but ni la fin mais le voyage qu’il nous propose. Entre chemin de croix et chemin de Moix, Yann a l’art de nous surprendre. Au détour d’un chapitre, sa plume embusquée, devient aussi pointilleuse qu’un reporter de guerre. On assiste en direct à la mort de Jan Palach, l’immolé du printemps de Prague, ou celle de Brian Jones, le créateur des Stones. Le pauvre blondinet coule sous nos yeux au fond de sa piscine, sous l’oeil torve de deux bimbos junkies mais sous la plume de Yann, c’est mieux qu’un documentaire.

Il y a aussi son jumeau, son mentor, son Sganarelle, qui se prénomme Marc-Astolphe ; ce dernier naît puis disparaît car le monde est vaste pour celui qui n’a pas été rassasié à la table de son père.

Voilà la proposition du roman Naissance. Les fragments d’un puzzle existentiel qui pousse le lecteur à élaborer lui-même la reconstitution de ces Moi X éparpillés.

Sommes-nous UN ? Comment y parvenir ? Quelle part en nous devons-nous sacrifier ?

Quel est le travail, le métier d’homme, l’aventure de la vie ?

Il y a dans ce livre l’ombre d’une réponse pour les cœurs inquiets que nous sommes.

Comme l’art, la peinture, la sculpture, le cinéma, le dessin, la musique, la poésie… Naissance ne s’aborde ni plus, ni moins que dans le désir d’une démarche artistique, qu’une re-création énumérée et sélective …

Mais comme l’amour et la foi, le mystère de son tutoiement persiste.

Cette rencontre, c’est à vous de la faire.

Lisez Moix et vous serez sans doute éclairé.

2 Commentaires

  1. En général, on nait toujours trop. Yann Moix ne nait pas sur un assez important nombre de pages la 1200 sont passées si vite…

  2. Avec ce magnifique article, vous me rendez encore plus longue l’attente de l’atterrissage de ce livre sur les rayons de la bibliothèque. Inclassable pour nombre de critiques, pour qui il doit être écrit dans une langue vernaculaire, celle d’un groupe abscons retourné aux sources d’une langue énoncée par la bouche mais dicté par les viscères. En tout cas, ce hors norme, cette démesure, fera peut-être fuir certains alors que par sa démarche, il mérite plus que cette banale mise à demeure dans ce banal du poids, du nombre de pages ou autres cases à remplir sur les questionnaires des journalistes pour qui certains vendeurs au kilomètre représentent le goût du lecteur.