Reculade d’Obama ? Isolement de François Hollande ?

Au point où nous en sommes, après 110 000 morts et deux millions de réfugiés, après le carnage du 21 août et qui l’ont précédé, après deux ans et demi passés à fermer les yeux sur une guerre contre les civils qui va d’atrocités en atrocités, la Syrie n’en était plus à huit jours près ; et peut-être le président américain n’a-t-il pas eu tort, après tout, de prendre un peu son temps, d’entreprendre de rallier le Congrès à sa décision de frapper Damas et de donner donc à l’action promise toute la légitimité démocratique possible.

Cela lui permettra de mettre sous les yeux de ceux de ses concitoyens que rongent les virus jumeaux du complotisme et du soupçonnisme, les preuves du massacre chimique.

Cela lui permettra de rappeler que cette attaque ne fut ni une bavure ni une erreur mais que, décidée par un régime qui détient l’un des stocks d’armes sales les plus colossaux de la planète, elle relevait d’une stratégie.

Cela lui permettra d’alerter l’Amérique et ses alliés sur le fait que l’importance de ces stocks, le nombre et la portée des vecteurs équipés pour les transformer en bombes, l’intrication, enfin, des unités spéciales chargées de les gérer et de celles qui commandent à l’action clandestine des services syriens à l’étranger, en font un danger, non seulement pour la Syrie, mais pour les pays voisins et pour le monde.

Cela lui donnera le temps de répondre à ceux qui prétendent redouter de voir une action de force « déstabiliser la région » : la déstabilisation n’est-elle pas déjà là ? Y a-t-il pire source d’instabilité que l’existence d’un régime détenteur de telles armes et déterminé à s’en servir ?

Cela lui laissera le loisir de répondre à l’étrange objection de ceux qui, drogués à la propagande souverainiste, voient en Bachar el-Assad un « rempart contre l’islamisme » : rempart contre l’islamisme, vraiment, l’allié, et le relais dans le monde arabe, de l’Iran des ayatollahs ? Rempart contre l’islamisme, sérieusement, le régime qui a, pendant presque quinze ans, hébergé le bureau politique du Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans et fer de lance, à ce titre, d’une des formes les plus radicales du fondamentalisme ? Rempart contre l’islamisme, encore, l’homme qui parraine le Hezbollah, contribue à le financer et à l’armer, et appelle, à Homs ou à Qoussayr, ses sections d’assaut à la rescousse ?

Cela lui permettra d’user de son éloquence pour rappeler que la paix du monde dépend, pour une grande part, de la capacité dissuasive, donc de la crédibilité, de la parole de l’Amérique – et qu’une Amérique se couchant, aujourd’hui, devant un Assad n’aurait plus le moindre crédit pour, demain, dissuader l’Iran de se doter d’armes nucléaires ou la Corée du Nord d’user de celles qu’elle a déjà.

RECUL OU HABILITÉ TACTIQUE ?

Et puis qui sait si ce temps donné à la pédagogie démocratique, à l’échange, à l’écoute des arguments d’autrui, à la réflexion, ne permettra pas au président américain de méditer sur l’étrangeté de sa propre doctrine dite de la « ligne rouge », formulée voici un an ? Qui sait si ce ne sera pas le temps, pour lui, de lire cette « ligne rouge » dans l’autre sens, qui n’est peut-être pas, hélas, le moins exact : « Tuez, Messieurs du régime ; tuez tant que vous voudrez et par les moyens conventionnels de votre choix ; un seul vous est interdit, que vous nous obligeriez en bannissant de vos arsenaux ; et ce moyen, c’est l’arme chimique » ? Et qui sait – on peut rêver ! – si ce ne sera pas l’occasion, pour l’Amérique et pour lui, de prendre alors la mesure de l’hypocrisie de toute solution ne débouchant pas sur le départ, pur et simple, du dictateur ?

Bref, ce que l’on nous présente partout comme un recul peut très bien apparaître, aussi, comme une habilité tactique.

Mais il y a une condition à cela.

Il y a une précaution à prendre pour que ce temps laissé à la parole et à la pensée porte ses fruits et ne se retourne pas contre les présidents américain et français.

Et cette précaution, c’est de tout faire pour éviter de laisser le régime syrien et ses alliés utiliser, eux aussi, ce délai pour, en même temps que l’on dispersera les canons et enterrera les centres de commandement, intensifier le bourrage de crâne et embrouiller encore davantage les esprits.

Or il y a un allié de Bachar el-Assad qui bénéficiera, dans les jours qui viennent, d’une tribune inespérée pour plaider la cause du régime.

Cet allié, c’est Vladimir Poutine.

Et cette tribune, c’est ce rituel G20 qui se tient, ces 5 et 6 septembre, à Saint-Pétersbourg, et dont il sera le grand ordonnateur et l’hôte.

A LA TABLE DE M. POUTINE, BELLIGÉRANT DE FAIT

M. Poutine n’étant pas un adepte de la recherche désintéressée de la vérité, il est peu probable que ce sommet joue son rôle habituel de forum de libre discussion.

Pire, M. Poutine étant, dans cette crise, un peu plus qu’un allié, puisque c’est lui qui a fourni au régime syrien ses armes et, sans doute, la formule de ses gaz, il y aura dans les fastes de l’événement, dans le spectacle de l’ex-kagébiste plastronnant sous les lambris, dans la démonstration de force qu’il infligera à ses invités, une part d’indécence qu’il serait bon d’épargner aux survivants syriens des massacres.

Accessoirement, et dans l’imminence de frappes dont on nous assure qu’elles auront lieu dès le lendemain du 9 septembre, c’est-à-dire à peine quelques jours après ces festivités, n’y aura-t-il pas, pour MM. Obama et Hollande quelque chose de grinçant dans le fait même de dîner, comme si de rien n’était, à la table de ce belligérant de fait qui finit, en ce moment même, de livrer au régime les missiles qui iront, le jour venu, tenter de frapper leurs hélicoptères de combat et leurs avions ?

Pour toutes ces raisons, il serait logique, pour Barack Obama, d’aller au bout de l’exercice de sagesse qu’il s’est imposé et qu’il a, par la force des choses, imposé à son homologue français : aller à Saint-Pétersbourg, oui ; mais en bouleversant l’agenda de la réunion ; en plaçant la question syrienne au coeur de ce qui aurait, sans cela, un insoutenable parfum de gaz ; en exigeant, par exemple, le tête-à-tête musclé dont le maître du Kremlin a fait savoir qu’il ne voulait pas mais sans lequel c’est toute la réunion qui ferait figure de comédie et de farce ; et, si Poutine persiste, s’il se confirme qu’il ne conçoit la rencontre que comme une occasion de parader, de triompher, peut-être même de profiter de sa position de puissance invitante pour circonvenir ceux de nos partenaires qui seraient restés indécis, d’humilier, en un mot, et une fois de plus, une communauté internationale qu’il méprise, peut-être serait-il logique, oui, de prendre le risque, alors, d’ajourner l’événement ou de s’y faire représenter.

Le peuple syrien a bien été prié de patienter huit jours encore avant que ne lui soit rendu justice. Le G20, lui aussi, dans cette hypothèse, pourra attendre.

Un commentaire

  1. Les révolutionnaires qui me montent à la tête n’abandonneront pas aux chiens mes frères républicains. C’est votre génération, mesdames et messieurs les responsables de nos intérêts vitaux, qui depuis les deux rives nord de l’Atlantique, fit le serment que plus jamais elle ne baisserait les yeux devant les signes annonciateurs de l’ouragan patriarcal. Face aux questions qui fâchent, la meilleure chance qu’a votre sang de ne pas bouillir demeure de les avoir chacune anticipées. Montant dans cet esprit au front parlementaire, il n’y a plus d’évitement qui tienne sinon des réponses apathiques aux questions aphatiennes. Le contournement du mur de feu fonctionne une fois sur deux en vitesse de croisière. À l’allure où s’accroit notre Einstein vital, nous devrions en être à la phase de confection d’un bouclier thermique nouvelle génération. Et s’il est si facile de maquiller un suicide au gaz forcé, ce sont les bombardements nettoyeurs qu’il faut dès à présent requalifier. Les violations aux Conventions de Genève ne sont-elles pas censées valoir une inculpation, chère Carla Del Ponte? Or l’une des parties en conflit s’en prend depuis le premier jour à des objectifs au minimum non militaires. Rappelez-vous cette femme d’Alep que son fils essayait désespérément de traîner hors du champ de tir des sbires du pire. Et puis, le crime de guerre à répétition ne finit-il pas par revêtir la texture d’un fondu au noir, d’une compulsion à la disparition par procuration? Assad sera bientôt le chef d’une Syrie déserte. Plus personne pour lui cuire un œuf. Plus âme qui vive pour en pondre un, si tant est que l’on trouve des pondeuses chez Bachar le Chimique. L’heure est venue pour la ligne rouge de se rétrograder.
    Le va-t-en-guerre ne connaît que la guerre comme solution aux conflits qu’on lui vante ou qu’il s’invente. Hollande est-il un va-t-en-guerre? La réponse est non. Il s’est même mis en tête de raisonner un tueur d’ours. Un homme, qui il y a quelques mois, le doigt sur la gâchette, légitimait devant la presse française son soutien à la peste en regard du choléra qui la menaçait.
    Un peu plus bas. La France sera considérée, en cas d’attaque de la Syrie, «ennemie de la Syrie». C’est-y pas Dieu possible? Alors, le Fade présente déjà sa note salée? Sauf que le sel selon la sad face, dès l’instant qu’on lui demande d’en saupoudrer la vie, cesse d’en relever le goût dans les écuelles de l’État roturier.
    Nous, citoyens de la nation des nations, que l’on réside à France ou Syrie comme à Lyon ou Paris, ne nous laissons pas abuser par une cigarette du condamné ne représentant à nos papilles que le sel de la mort de celui qui l’accepte. Nous n’accepterons jamais cette aumône ultime car nous n’acceptons pas le verdict de l’égaré. L’Alaouite panarabe a perdu la boussole depuis l’époque où l’essieu s’est désaxé. Pris de panique sous l’hélice de la France libre, son désir vengeur de refonder à son profit un empire oppresseur l’avait conduit à se recoudre le flanc au patchwork ethnico-culturel de son quartier de globe, réaction naturelle de la portion d’un troupeau galopant sur la faille responsable de sa division. Mais les temps ont changé. Les pays anciennement sous influence anti-américaine n’ont probablement pas trahi la cause de leurs traîtres de maîtres — le réflexe de Pavlov survit à Pavlov — mais l’événement en cours nous permet d’apprécier l’avant-garde d’un concert de nations qui ne s’en laisse plus compter sous la baguette des chefs du millénaire passé. Et si les âmes humaines peuplant les terres islamisées n’ont pas tout à fait réussi à se pluraliser une âme unifiée, le désir est là. OK, no baratine. Elles semblent toujours interloquées devant la pente que promettaient de suivre ces marchands d’espoir pour la gloriole desquels on les avait tirées du lit un beau matin, puis conduites vers une urne funeste; en revanche, elles ne rongeront plus leur frein jusqu’à ce que l’on arrache, au bout d’une vie qu’elles avaient crue précieuse durant les premiers mois où une mère aimante les avait bercées d’illusions trop tangibles pour ne pas dissimuler un rapide coup de massue, le nouveau masque antique chevillé au corps éternel de leur grand roi décapitable.
    En Syrie assassine, le message est passé. Les frappes aériennes seront limitées. Limitées à des frappes aériennes. Lesquelles se poursuivront jusqu’à ce que renversement du tyran par l’Armée syrienne libre s’ensuive. L’Assad de Hollande ne deviendra pas le Saddam de Mitterrand. On ne le laissera pas se béchiriser une place au soleil froid. Ses crimes de guerre ne reprendront pas de plus belle après que son crime contre l’humanité ne lui aura valu qu’une bonne fessée.
    Le spectre de la colonisation plane au-dessus de l’état de circonspection où stagnent les parlements occidentaux. Pourtant, la France ne fut jamais à proprement parler la colonisatrice des peuples syriens. Leurs terres furent bel et bien placées sous mandat français pour une période de transition entre l’ère ottomane et la création ex-nihilisme d’un Moyen-Orient qui va peiner et double peiner à trouver sa voie et sa place au cœur de lui-même.
    La Syrie a été kébarienne, éblaïte, babylonienne ou assyrienne. Elle a été hittite bien avant que de faire l’automate ottomane. Les Perses l’auront mise à leur botte vingt-cinq siècles avant le nôtre. Séleucide ou romaine, elle sera byzantine lorsque les Sassanides viendront y préparer le terreau hérétique d’une islamisation mahométane du monophysisme, ou l’inverse. Terre de croisade, elle retournera dans le giron de Byzance, et Byzance, devenue turque, viendra une troisième fois la dominer. La Grande révolution arabe s’accomplira dans le chaos bienfaiteur de la Grande Guerre, mais le démantèlement de l’empire ottoman décidera de ce qu’une France mandatée par la toute fraîche et fringante Société des Nations veille à ce que s’accomplisse, sans retour en arrière possible, la fondation d’une «République arabe syrienne» dont si l’on se reporte quelques lignes plus haut, il était, sinon détectable, à tout le moins présumable qu’elle couvait un désordre identitaire de taille. La Syrie qui nous aime se sent prête à présent à être une et toute à la fois. Comme hier à Tobrouk, donnons-lui un coup de main au nom de la France libre! C’est à cela, en général, qu’on reconnaît ses alliés.