Il a le teint défraîchi, les tempes bien blanches et le regard bleu azur. Sa peau est flétrie, ses rides sont désormais profondes. Laszlo Csatary est hongrois, il a 97 ans, presque un siècle… Le vieillard habite un petit deux-pièces des riches faubourgs de Budapest, on le surnomme « Smith », c’est le nom qui est écrit sur sa boîte aux lettres… Le grand âge n’empêche pas Smith d’aller faire ses courses ni de porter ses provisions, on l’aperçoit ainsi parfois faire une promenade ou acheter des fruits au marché. Pour ceux qui l’entourent, Smith est un voisin sans histoire, il ne se rend jamais aux réunions de copropriétaires mais paie consciencieusement ses charges et autres factures, c’est là tout ce qui importe…

Ces derniers jours, il règne une agitation assez inhabituelle au pied de l’immeuble de Monsieur Smith. Des camions de télé sont garés derrière la contre-allée, on a braqué des objectifs en direction des étages et quelques téméraires essaient, au petit bonheur la chance, de vaincre l’inconnue du digicode pour monter dans les étages et sonner à toutes les portes. De la fenêtre, Smith observe ce petit manège. Tout cela lui déplaît vraiment. La veille on a sonné chez Smith. Un journaliste du Sun lui a demandé si il était Laszlo Csatary. Smith a alors demandé qu’on le laisse tranquille, il a vite refermé la porte mais un photographe du quotidien anglais a eu le temps de lui voler un furtif portrait. Les soupçons du Sun se sont immédiatement confirmés. Smith, le vieillard à l’allure paisible détient un terrible secret : son ignoble passé de criminel de guerre nazi. D’ailleurs il ne s’est jamais appelé Smith. Son vrai nom est Laszlo Csatary. L’homme dirigeait la police dans le ghetto de Kosice (Kassa en hongrois, Kaschau en allemand), situé aujourd’hui en Slovaquie, un endroit maudit où 15 700 juifs avaient été assassinés et furent, pour l’immense majorité d’entre eux, déportés vers le camp d’extermination d’Auschwitz, en Pologne, pendant l’occupation par l’Allemagne nazie de ce qui était alors la République de Tchécoslovaquie.

On dit que Csatary était particulièrement cruel avec les prisonniers, qu’il fouettait les femmes du ghetto et les forçaient à effectuer un inutile travail les conduisant invariablement à la mort. On rapporte aussi qu’il forçait les juifs à creuser leurs propres tombes, à mains nues… J’ai fait le calcul. Lorsque Laszlo Csatary commettait ses forfaits, il avait le même âge que moi, 25 ans… Il commençait donc sa vie d’homme en la mettant au service du pire des idéaux alors même qu’à 25 ans on est libre, on rêve d’humanité, on se laisse la possibilité de dire non et de fuir…

Par « respect », il y en a aujourd’hui qui voudraient qu’on laisse à Csatary le droit de vivre les derniers jours de sa si longue existence… En paix ! Ils disent que les jeux sont faits, que tout ce remue-ménage ne sert plus à rien… Et ils poursuivent leur argumentation : Csatary ne serait qu’une goute d’eau dans les rouages de la machine nazie. Il ne pèse, en somme, que 15 700 juifs sur 6 millions d’exterminés, une broutille…

C’est sans compter la détermination sans bornes de quelques chasseurs de nazis. Ces derniers ont monté une liste de salauds, le nom de Csatary y figure en bonne place, tout en haut, bien en évidence. Le salaud devra inévitablement répondre de ses actes. Pourquoi donc ? Car peu après la libération des camps d’extermination, en 1945, quelques hommes ont fait le serment de ne jamais laisser en paix ceux qui ont permis le génocide juif. Ils les ont traqué sur toute la surface de notre planète. En Allemagne, évidemment. En Autriche, en France, en Europe de l’Est, au Canada, en Argentine, au Brésil, en Égypte, partout ! Cela a donné lieu à de mémorables chasses à l’homme, poursuites et filatures. Quelques noms glorieux sont par la même occasion rentrés dans l’Histoire : ceux de Simon Wiesenthal, Serge et Beate Klarsfled entre autres.

Soixante-sept ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, quelques bonnes âmes poursuivent le combat entamé par ces courageux aînés pour que justice soit faite. Puisse cet article, comme tant d’autres, accentuerer la pression sur la justice hongroise pour qu’on punisse enfin Csatary de ses lointains forfaits.

Outre le cas personnel du policier en chef du ghetto de Kosice, il serait grand temps que la Hongrie dans son ensemble chasse ses vieux démons. Prix Nobel de la Paix et survivant de l’Holocauste, Elie Wiesel avait récemment rendu une décoration hongroise pour protester contre l’antisémitisme d’État qui règne aujourd’hui au pays de Viktor Orban. Un pays où le criminel nazi le plus recherché au monde peut couler des jours paisibles depuis dix-sept ans sans ne jamais être inquiété…

Laurent David SAMAMA, arrière-petit-fils de déporté…

5 Commentaires

  1. Lui comme tous les autres ne paieront jamais assez pour tous les crimes qu’ils ont commis.
    Il serait regrettable que celui-ci puisse finir sa vie tranquillement après toutes les méchancetés et les cruautés qu’il a commises sur des personnes innocentes et sans défense.
    Il n’est pas utile de tenir compte de son grand âge, d’ailleurs, l’article précise qu’il vit normalement, fait ses courses, etc.
    Quand il martyrisait ses victimes, il ne tenait pas compte de leur âge, ni des conditions inhumaines dans lesquelles tous ces crimes avaient lieu.

  2. Très bel article. Cela fait chaud à l’âme de voir que la mémoire ne flanche pas. Merci à vous.

  3. « Un pays où le criminel nazi le plus recherché au monde peut couler des jours paisibles depuis dix-sept ans sans ne jamais être inquiété… »

    Vous vouliez parler du Canada ? Alors c’est quarante-sept ans, et non dix-sept.

    La justice canadienne n’a semble-t-il jamais avisé la justice slovaque de l’issue de la procédure de 96-97, alors même que le procureur de Košice M. Šanta avait recueilli plusieurs dizaines de témoignages (cf. le quotidien slovaque SME en avril). Il est donc vraisemblable que la justice hongroise n’en a jamais été avisée non plus.

    Alors oui, le contexte politique actuel à Budapest peut faire écho au manque d’empressement du parquet depuis septembre dernier. Mais rien, entre 1997 et 2011, ne pouvait la conduire à poursuivre M. Csatáry.

  4. Qu’on use de la faculté qu’offre l’imprescriptibilité de ces crimes contre un nazi vieillard, rien de plus normal : on ne va pas, en plus de l’avoir laissé vivre son existence paisiblement, le laisser rejoindre impuni l’outre tombe. Mais on devrait davantage s’alarmer des dérives idéologiques actuelles favorisées et par la crise économique et par le communautarisme notamment religieux. Pour ne pas se leurrer : http://pamphletaire.blogspot.fr/search/label/Nazisme.