Regis Deparis nous a quitté, et, en ces premiers jours de juin, nous sommes tous affligés et sidérés par sa disparition précoce, à l’âge, à peine, de soixante-cinq ans.
Je suis né la même année que lui, et sa peinture qui chantait la vie et disait inlassablement les beautés intemporelles de la terre et des hommes était un peu comme un gage d’immortalité sereine.
Régis était un être charmant et doux, un homme de peinture et de culture intimement mêlées, aimable passant passablement égaré dans ce siècle de l’abstraction, de l’argent et des artistes stars. Il avait cette allure gentiment anachronique qui faisait tout son personnage, sa drôlerie méticuleuse et sérieuse, il portait en vous accueillant le menton levé comme s’il regardait au loin, pointait l’index au fil de la conversation sur on ne savait trop quoi, une moustache lui donnait l’air de l’inspecteur Clouzot en pleine enquête criminelle, il parlait de lui-même d’abord et de sa peinture avec une voix toujours posée et calme, un peu lente, et roulait dans une DS 19 qui avait son âge ou presque. Natif du Nord mais portant bien son nom, il avait quelque chose de provincial à Paris et de tout à fait parisien dans sa province nordiste. Bref, au premier coup d’oeil, il était clair que l’homme devant vous était, comme on disait jadis, un artiste-peintre, sorte de moderne rapin, comme on n’en voit plus guère dans nos académies et les galeries.
J’ai sur mes murs cinq dessins de Regis Deparis et sa main d’exception, dont une Flagellation du Christ d’après Piero della Francesca qui, avec ses hachures comme de petites flammes, me fait penser au Greco autant qu’au peintre géomètre et silencieux d’Arezzo.
Regis Deparis était le frère en peinture et en esprit de ses grands ainés, Pierre Klossovski, son cher Raymond Mason et Enrico Baj, qui fut son facétieux complice le temps d’un duo de tableaux drolatiques.
Il était, à son meilleur, de leur niveau, il avait comme eux l’amour des choses réelles et des êtres en situation, de l’Histoire aussi, transfigurés par l’art en un réalisme onirique étrangement enchanteur.
Il fut amoureux en peinture des grandes plantes décoratives, des arbres majestueux, des architectures puissantes et antiques, des temples pharaoniques, de Manon Lescaut, son héroïne de toujours. Il fut romain à la Villa Medicis, egyptien à Louqsor, un peu aztèque aussi au Mexique, le tout en peinture et dessins.

Régis Deparis, Fresque, 2002
Régis Deparis, Fresque, 2002

Mais il m’a toujours fait penser surtout à un fils, le seul peut-être, de Raoul Dufy, avec ses naïades dénudées au milieu des colonnes d’un temple maritime, j’imagine sur la mer tyrrhénienne, ses mers heureuses, ses jardins édéniques et ses palmiers métaphysiques, et ses couleurs éclatantes disaient sa joie de peindre, qui était, comme chez Dufy, la forme même de sa joie de vivre. Peindre à mille rouges, mille verts, mille jaunes, mais d’une palette simple, et produire, très dessiné, un monde heureux, arcadien, ludique et ensoleillé, en bon enchanteur lui-même enchanté qu’était Régis, peintre des rivages adriatiques en ce paradis d’été de Tricase Porto où il louait à la famille amie des Guarini une petite maison de pêcheur transformée sur le champ en ruche-atelier pour la rituelle exposition fin d’août dans un palais baroque hospitalier à l’art d’été. Peintre non moins affairé, en cette perle sublimement baroque, elle aussi, qu’est Lecce, la capitale des Pouilles du sud, sa dernière demeure artistique et familiale aux côtés de sa femme si gravement handicapée et de sa fille Flora. Il y décora maints plafonds nobiliaires, à commencer par le palais Palmieri, où Murat séjourna et auquel Deparis rendit d’autant plus l’hommage en fanfare de ses pinceaux lyriques que le fougueux chef de la cavalerie napoléonienne avait fait ses classes avant la Révolution française aux Ecuries d’Hesdin.
Hesdin, sa ville presque natale, petite ville d’Artois, où passa Charles-Quint le temps d’une victoire et de désoler les plus magnifiques jardins médiévaux d’Europe. Regis et deux de ses nombreux frères restaurèrent eux-mêmes les belles écuries militaires du XVIIIème siècle à l’abandon, en firent bientôt un lieu d’art où, le long des auges des chevaux de guerre préservées, se donnèrent rendez-vous plusieurs années de suite tous les amis artistes, français et étrangers, de Regis Deparis. Ils étaient beaucoup et non des moindres.
Regis Deparis n’a pas été reconnu à sa juste place, tout comme Le Fauconnier son compatriote auquel, à la veille de mourir, il rendit magnifiquement mémoire dans un livre-témoignage qu’il n’eut pas le temps de diffuser, empruntant des accents où perçait sa propre amertume devant les modes picturales si oublieuses à chaque fin d’époque et le système marchand de l’art sans pitié pour tant d’artistes, dont lui-même.
Pour la joie que Deparis nous a donnée par sa peinture, le meilleur hommage à lui rendre serait que soit organisée une grande Rétrospective de son oeuvre en ses mille genres et mille déclinaisons, dans le Nord d’abord puis, peut-être, à Lecce, sa dernière patrie, où il subit les attaques d’une maladie trop mal soignée qui devait avoir raison de lui.
Adieu Régis, bon camarade, à bientôt donc dans tes vraies demeures d’art et de coeur que forme ta peinture, et merci pour tes toiles et tes dessins qui nous ont tant charmé, qui nous ont élevé aussi parfois, et à travers lesquels la Méditerrannée continuera longtemps d’être bleue et les femmes belles et évanescentes comme les rêves que tu emportes d’elles et le reste de ta vie, avec toi.

Un commentaire

  1. Bonjour, merci pour ce texte sur Régis. C est avec beaucoup de tristesse que j apprends par hasard qu’il est parti. J ai de nombreuses toiles et dessins de régis. J ai suivi son travail pendant des années jusqu’à son départ à Milan .