L’Union européenne vient de décider, lundi 27 mai, de lever son embargo sur les armes à destination de la rébellion syrienne. On aurait aimé s’écrier «Ouf, enfin, bravo !» Mais hélas non, car dans la foulée le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois a bien pris soin de souligner que les 27 «se sont engagés à s’abstenir d’exporter des armes à ce stade et, en tout état de cause, à appliquer un certain nombre de critères stricts à d’éventuelles exportations futures». L’insurrection ne recevra donc pas le matériel dont elle a le plus urgent besoin, surtout en ce moment où l’armée d’Assad, massivement épaulée par des milliers d’hommes du Hezbollah, lance des offensives ultra-violentes contre des zones tenuefs par les rebelles.

L’UE redoute – à juste titre – que les armes parviennent en de mauvaises mains, à savoir celles des katibas (bataillons) de fanatiques islamistes. Mais on aurait été en droit d’espérer que Britanniques et Français avaient depuis longtemps fait le tri parmi les combattants et qu’ils avaient sélectionné ceux qui, luttant pour un avenir démocratique, devaient recevoir les équipements nécessaires. Car les fondamentalistes, eux, reçoivent depuis belle lurette – en provenance d’Arabie saoudite – tout ce dont ils ont besoin : armes, munitions, médicaments, argent pour payer les combattants. De leur côté, les Frères musulmans sont soutenus et équipés par le Qatar. Bref, seuls les rebelles démocrates se retrouvent démunis. Comble de cynisme et d’imbécillité, le représentant britannique, William Hague, a eu cette formule carrément… désarmante : «Bien que nous n’ayons pas de plan immédiat pour envoyer des armes en Syrie, la levée de l’embargo nous donne la flexibilité de le faire à l’avenir si la situation continue à se détériorer.» Question : à partir de quel niveau de détérioration ces braves gens jugeront-ils nécessaire de les envoyer, ces armes ? 150 000 morts ou peut-être 200 000 ? 4 millions de déplacés et exilés, non, plutôt 6 ? Pour l’instant la situation serait donc acceptable, si l’on comprend bien.

Mais sans doute l’Union européenne prend-elle comme critère décisif d’aggravation l’utilisation par le régime d’armes chimiques, qui représentait pour la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis la fameuse «ligne rouge»… Mais justement, les indices de leur utilisation se multiplient. Certes il n’existe pour l’heure aucune preuve absolument et totalement irréfutable. Mais les témoignages des journalistes du Monde s’en rapprochent. Tout comme les vidéos qui montrent des blessés très probablement victimes de gaz. Comment ont réagi les dirigeants occidentaux ? Par des mines embarrassées. Alors qu’ils auraient dû hausser le ton, ils ne font entendre qu’un vague murmure inintelligible. Bachar al-Assad a compris : il sait qu’il peut continuer à cogner toujours plus dur sur la rébellion et les populations civiles, et il ne s’en prive pas, comme à Qusseyr, point stratégique dans la banlieue de Homs.

Mais puisque les grandes puissances occidentales tiennent à obtenir des preuves incontestables à 500% de l’usage de gaz par le régime, pourquoi n’envoient-elles pas des experts sur le terrain ? Mission impossible ? Certainement pas puisque tous les jours des journalistes, des médecins et des humanitaires entrent en Syrie. Et même des jihadistes étrangers d’ailleurs… Il n’y aurait donc pas d’équipes des forces spéciales capables d’escorter des spécialistes pour entrer discrètement en Syrie et faire les analyses et prélèvements nécessaires ?

En fait les Occidentaux se sont lâchement résignés à laisser la situation pourrir. Ils font désormais semblant de croire que la prochaine conférence internationale dite Genève-2, parrainée par Moscou et Washington et prévue en juin, peut apporter un début de solution politique. Poutine peut être satisfait : il a fait accepter à l’Américain John Kerry une discussion sur l’avenir de la Syrie sans le préalable du départ de Bachar al-Assad. Ce qui signifie que les bourreaux et les victimes sont mis sur un pied d’égalité. Accablant.

Tout aussi accablant est l’état de l’opposition syrienne. La Coalition nationale, reconnue comme représentante officielle par la plupart des puissances occidentales, n’en finit pas de se diviser. Elle demeure incapable de se transformer en véritable direction politique de la révolution. La plupart des combattants armés lui contestent toute légitimité. Et ce d’autant plus qu’elle n’a jamais été fichue d’envoyer des représentants sur le terrain. On n’attendait pas d’elle qu’elle trouve son Jean Moulin, ç’aurait sans doute été trop lui demander. Et pourtant, la Syrie constitue un enjeu déterminant pour l’avenir du Moyen-Orient, et pour ses relations à venir avec les démocraties. Car une éventuelle victoire du gang Assad serait aussi celle de la dictature obscurantiste et belliqueuse de Téhéran. Et si, autre hypothèse, la Syrie devait s’enfoncer dans une longue période de chaos, ce serait alors à coup sûr la terreur islamiste qui s’étendrait sur le pays, accompagnée de massacres de chrétiens et d’alaouites, pour ne citer que ces conséquences catastrophiques parmi d’autres. Rien n’est cependant joué. L’espoir subsiste malgré tout que la révolution syrienne peut aller dans le sens de la démocratie. A condition de ne pas l’abandonner, ni sur le plan diplomatique, ni sur le registre militaire.