Quel bilan pour ce premier anniversaire à l’Elysée ?

Il existe un feuilleton télévisé formidable, en un sens, qui s’appelle « Hercule Poirot ». Les amateurs de cette série pour plus de soixante-dix ans se comptent sur les doigts d’une main chez les néo-bacheliers, mais nous en sommes, avec quelques amis. Le héros fait face à une situation terrible. Un crime a eu lieu. La crise est insoluble. Tout le monde s’agite, des gens meurent, c’est même souvent la guerre, et lui se contente de promener son embonpoint avec une énervante satisfaction de soi. Il y a encore un inspecteur de police qui s’affole de long en large, mais Poirot, lui, reprend des scones, avale du thé, et depuis son fauteuil, laisse travailler ses petites cellules grises, sachant que sa méthode, intellectuellement, est la plus opératoire. Chaque épisode est soporifique au plus haut point, et le détective belge persévérant dans son apathie moelleuse, ricanant au nez des agités, finit par avoir raison, offrant ainsi au spectateur par hasard toujours éveillé un final en forme de démonstration lumineuse de sa compétence, jusqu’alors méprisée pour ses vertus hypnotiques.

Peut-être François Hollande conduit-il la France comme Hercule Poirot conduit ses enquêtes.

Peut-être bien, en effet, que c’est cet homme décrié et honni, qui, le premier, va faire effectuer à la France un grand virage vers la modernité, l’efficacité économique et, au final, la justice et la redistribution, toutes choses attendues depuis trente ans, puisqu’il a accumulé en douze mois des réformes aussi majeures et a priori impossibles comme la refonte du crédit, l’assouplissement du marché du travail, le mariage gay, le crédit d’impôt pour la compétitivité, la baisse d’un point du déficit structurel, la priorité pour l’école, et préparant pour l’année suivante des réformes qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait soit tentées soit menées avec courage, mais que lui, qu’on dit mou, avance sans avoir peur de l’impopularité : retraites, prestations familiales, loi sur la consommation, refonte de la formation, baisse du budget de la défense.

Peut-être que, à l’inverse, sa politique incompréhensible, faite de reculades et de demi-synthèses, professant un œcuménisme absurde et des clarifications mystérieuses, enchaînant les théorèmes incompossibles et les sincérités contradictoires, sera, au final, si joliment sophistiquée, si modérément tiédasse, si raisonnablement « un partout, balle au centre » que les éditos du Monde — qui n’ajoutent jamais sans scrupules  ni gouttes de sueur un superlatif à toute phrase sur la nécessité de réformer avec lucidité le jour de carence des fonctionnaires — en seront émoustillés, mais le pays perdu et l’économie anesthésiée.

Peut-être, malgré tout, que c’est ainsi, à la Hollandaise, avec bonhommie et anesthésie générale, en sifflotant et à coups de petites blagues, que la France peut changer, avancer, se moderniser, rompre avec cette préférence nationale pour l’impôt et la dépense publique qui alimente les rentes et les ressentiments, qui ne fait pas reculer les souffrances et les inégalités.

Peut-être que la victoire dans les têtes n’ayant pas précédé la victoire dans les urnes, élu non par effraction légale, mais par cambriolage intellectuel, ce candidat n’a jamais su former un consensus idéologique sur la situation du pays, se contentant de s’appuyer sur ce qui traînait dans les pages Rebonds de Libération : « l’ennemi c’est la finance », alors qu’il faudrait sans doute, pour gouverner et former des majorités, savoir ce que c’est, être de gauche, à l’heure de la mondialisation, où, moins que jamais, le socialisme ne se construit dans un seul pays.

Peut-être que, ayant rassemblé le peuple de gauche en lui mentant par omission, n’ayant jamais parlé de déficit commercial ou de compétitivité, et s’en souciant soudain une fois élu, il ne pourra plus jamais convaincre de sa sincérité ; et qu’alors, trahissant son camp après son  « Je vous ai compris » en forme d’attaques contre la finance au Bourget, ayant ainsi commencé comme De Gaulle en 58, il finira comme Guy Mollet en 57.

Peut-être aussi que notre pays est plongé à ce point dans la suspicion, la défiance et la haine de soi, que, bravant la mémoire antiquaire des légendes passées, par une étrange ruse de la raison, seule la gauche peut faire progresser la rigueur et le sérieux budgétaire, comme c’est la droite qui a parachevé la décolonisation et la libération sexuelle.

Peut-être que Hollande n’a pas assez rappelé en début de mandat qu’il est tragiquement victime de ce que le Prix Nobel Paul Krugman appelle d’un mot magnifique la « chutzpah des conservateurs » ;  autrement dit, comme le petit garçon de l’histoire juive tuait ses parents puis venait ensuite se plaindre d’être orphelin, les conservateurs viennent faire campagne sur l’incapacité des progressistes à résoudre les problèmes créés précédemment par ces mêmes conservateurs ; François Fillon, orphelin parricide, possède, à ce titre, une chutzpah de premier ordre.

Peut-être que nous avons eu besoin d’élire un faux Achille Talon pour être enfin courageux et vif sur la scène internationale, comme le prouve cette étonnante guerre au Mali.

Peut-être que la force des critiques vient-elle du fait, entres autres, au-delà des impatiences légitimes et de l’écume des outrances, que la France, comme Madame Bovary, n’acceptera pas sans dépression cette vie provinciale et la fin du lyrisme, cette banalité nationale à laquelle il nous faut nous habituer et que se contente d’acter, pour notre pays, ce bon gars de province qui a troqué le marché aux bœufs de Yonville pour la foire aux fromages de Tulle.

Peut-être que les Français, habitués aux bastilles et aux cachots, aux Mazarin et aux Foccart, sont désemparés par le fait d’être gouvernés par des ministres chauves et compétents, sans officines ni fonds secrets, avec des places de parking et des maisons à Dijon.

Peut-être que, au-delà du mépris de classe sur ses cravates de travers, Hollande, normal et banal, est-il le premier président du désenchantement du monde républicain.

Peut-être cet homme est-il aussi impuissant par cette propension au degré zéro de l’écriture politique, cette fascinante absence de magie du verbe qui, sans verser dans les évocations mouillées de larmes de la Résistance ou de Victor Hugo, permet de tisser ensemble une communauté de destins.

Peut-être que cette forme de transparence, appliquée à la vigueur de son gouvernement jusqu’à en devenir translucide, cette sorte d’écriture blanche de la politique, cet attentisme benêt et cette euthanasie sereine de l’enthousiasme sont-ils les choses les plus mal appropriées pour redonner confiance à tout le monde, aux entrepreneurs et aux consommateurs, à sa majorité et aux bonnes volontés, aux jeunes et aux exclus, et qu’ainsi, le pays finira, donc, par couler.

Peut-être qu’il faudrait plutôt commencer par se battre, vraiment, pour une issue à ce marasme européen, et plaider, vraiment, pour plus de solidarité et d’intégration, sortir enfin de ce désert des tartares où l’on attend, peut-être, le début d’un commencement d’une union bancaire ; il faudrait alors plaider avec force pour une Europe plus juste et plus efficace, plus démocratique et fraternelle, exactement comme vient de le faire avec brio le premier ministre italien Enrico Letta dans son discours d’investiture ; il faudrait donc que, désormais franc et fier de ses racines européistes, libéré de ses tiédeurs et de ses calculs de coups de billards à quatre-vingt dix-neuf bandes, François Hollande prenne enfin le flambeau du progressisme continental et s’affirme comme le leader de l’Europe fédérale qu’il aurait dû toujours être, lui, le deloriste  ; il faudrait donc que, reprenant le rôle de son jeune homologue italien, héraut de l’espérance, il se dise :  « mais enfin, Letta, c’est moi. »

Peut-être qu’au final, tout comme pour Hercule Poirot, le détective belge, les vertus du raisonnable équilibriste, de la tiédeur patiente et de l’acuité intellectuelle finiront par gagner, et qu’ainsi, la crise sera vaincue par cette judicieuse boîte à outils, comme les meurtriers des campagnes anglaises sont démasqués par les petites cellules grises.

Mais peut-être, à l’inverse, que la situation est urgente, les solutions trop molles et floues, et que, décidément, on ne confie pas à Hercule Poirot la gestion d’une prise d’otages.

Avec François Hollande, on ne peut qu’enchaîner à l’infini les « peut être » : au bout d’un an, tout le problème est bien là.

Un commentaire

  1. De la récente polémique, lautnérienne à souhait, engendrée par le tire-bouchon de Monsieur le Président de la République Petites Blagues, je ne retiens rien, sinon que François Mitterrand n’était pas le dernier à audiarder son entourage dès qu’il avait le dos tourné. Une pratique largement répandue à droite avec un spectaculaire «Sarkozy avait promis de me pendre à un croc de boucher», lequel dénoterait une sauvagerie ahurissante si l’on prenait soin, pour le bon plaisir de monsieur de Villepin, de ne le surtout point relier au chiraquien «Celui-là, il faut lui marcher dessus et du pied gauche». François Hollande est le digne successeur des exécuteurs de l’exécutif. Se dirigeant vers le crible du CRIF, il s’est senti capable, d’un simple trait d’esprit, de rétablir le courant devant une assemblée dont nous pouvons imaginer sans mal qu’elle attend aujourd’hui des gages de confiance de la part des signataires de l’accord poutinien sur le nucléaire aryen. Or il y a moult raisons de se réjouir du fait que Manuel Valls, ministre chargé de la sécurité intérieure dans le contexte des opérations multinationales Sangaris et Serval évoluant de plain-pied avec le berceau aqMinien, soit rentré «sain et sauf» d’une Algérie censée lutter contre le terrorisme sans-frontiériste de l’islam radical, — j’aperçois bien une basilique balisant la baie, mais où est donc passée la Grande Synagogue? — En outre, n’étions-nous pas un certain nombre, lors du cinquantenaire de l’indépendance algérienne, à nous étonner de ce que le virus arabo-printanier ait rebroussé chemin à Bir Romane? Je propose, donc, que nous revisionnions la dernière séquence, que dis-je, dernière affaire d’État, en faisant permuter les homologues Bouteflika et Ben Ali avant que de nous enliser davantage dans la confusion en excuses auprès d’une France d’origine maghrébine qui ne doit plus douter du fait qu’elle a tout à gagner à s’engager dans le combat pour la défense des valeurs qu’elle vaut bien. Une Algérie dissidente, laquelle humeur révoltée semble avoir beaucoup de mal à encaisser le fait que l’on puisse prêter des intentions criminelles à un régime dont elle ne tarit pas de messes basses injurieuses à son endroit, je désigne à sa place ce foutu FLN, version nord-africaine du FN bien trop nationaliste pour libérer quiconque de quoi que ce soit, dont elle gagnerait probablement à savoir qu’il fut jadis soviétiquement armé en même temps que rompu aux méthodes de combat des increvables troupes d’élite nazies du SED. Je réclame. Aux descendants des frères de mes ancêtres judéo-arabes la création d’un Institut des mondes non-arabes au cœur de la ville blanche où nos morts se reposent de nos querelles stériles pour un fétu d’éternité. J’invoque. À m’en époumoner le fantôme de Sadate atterré par tant d’attardement mais chaque chose en son temps. Mangeons pour l’heure notre béret, puis réapprenons vite à «faire des fellations aux dictateurs». Trépassons sur ceci et recoupons cela alors même que l’on délie la langue trop innocente pour ne pas être inoffensive de la Voïna, Guerre de l’esprit contre la religiosité impressionnable des peuples-serfs enchaînés au spectacle gratuit des Houdin onusiens usant, chacun pour soi, des rouages de l’internationalisme. Une guerre qui n’en est qu’à son commencement.