La vente André Breton, qui a eu une audience médiatique mondiale considérable, constitue l’un des grands événements de ma vie professionnelle. Tous les acteurs de cette aventure peuvent témoigner qu’elle a été une lutte permanente, du début à la fin, entre partisans et adversaires de l’entreprise. Beaucoup de gens auraient aimé que cette vente « capote » ; elle sera conclue en 2003.

Après la mort d’André Breton, survenue le 28 septembre 1966, sa dernière femme Elisa et sa fille Aube Elléouët n’ont cessé d’œuvrer pour la création d’une fondation du surréalisme à Paris. Mais sans la compréhension et le soutien des pouvoirs publics, leurs efforts furent voués à l’échec.

En 1989, Anne Tronche avait programmé une première visite de l’atelier d’André Breton avec Jack Lang, alors ministre de la Culture, afin de préparer celle qui devait avoir lieu par la suite avec le Président François Mitterrand, pour essayer de trouver un nouvel espace pour accueillir la collection. Après avoir tout regardé longuement, le Président, en descendant l’escalier, lâche un « Quel bric-à-brac !». En définitive, rien n’a été fait, ni pour transformer ce lieu magique en lieu de visite ni pour que la collection soit accueillie dans un Musée.

Il y a eu également une autre visite de l’atelier d’André Breton organisée par Daniel Filipacchi avec François Pinault au cours de laquelle ce dernier a fait connaître sa volonté de tout acheter.

La fille d’André Breton, Aube Elléouët, m’a demandé mon avis (nous étions amis déjà, depuis un bon moment, grâce à Jean Schuster et à Jean-Jacques Lebel qui m’avaient recommandé à elle). Je lui ai dit : « Faites ce que vous voulez, mais sachez que Monsieur Pinault est aussi le propriétaire de la maison de ventes Christie’s et que vous pourrez voir, tout ou partie, — (il gardera peut-être quelques œuvres importantes pour sa collection privée) — réapparaître dans une vente future ». Elle m’a écouté. Au fil des semaines et des mois qui ont suivi, comme on se voyait très souvent soit à Paris soit à Saché, on a discuté de l’avenir de la collection.

Aube Elléouët qui n’est pas une vraie collectionneuse, dans le sens traditionnel du terme, s’est tout de même décidée à faire une vente publique, d’autant plus que le propriétaire de l’appartement de la rue Fontaine, inoccupé depuis l’installation d’Elisa dans une maison de retraite, voulait récupérer son bien, selon la loi, au bénéfice d’un membre de sa famille.

Je préconisais une vente publique un peu spéciale où absolument tout ce qui était dans l’atelier serait vendu, (enfin tout ce qui s’y trouvait au moment de la décision : c’est-à-dire avec les modifications intervenues depuis la disparition d’André Breton en 1966).

On a décidé ensemble que ce serait l’étude Calmels Cohen qui se chargerait de la vente et que celle-ci devrait se passer à Paris, le tout supervisé par Jean-Michel Goutier, qui est la personne qui connaît le mieux le lieu et les œuvres, par Jean Claude Georges dit Coco, qui a été  d’une aide précieuse avant, pendant et après la vente, et, comme documentaliste, Rodica Sibleyras. J’étais en charge des tableaux, dessins, sculptures, gravures modernes, et mon fils David de la photographie.

Espantapájaros (Épouvantails). Huile sur toile de 1930 achetée par André Breton à l'artiste espagnole Maruja Mallo lors de son séjour à Paris.
Espantapájaros (Épouvantails). Huile sur toile de 1930 achetée par André Breton à l’artiste espagnole Maruja Mallo lors de son séjour à Paris.

L’inventaire a duré des mois.

Il y a eu des surprises. Je pense à Maruja Mallo, un très grand tableau que l’on a trouvé roulé dans l’appartement de Breton et dont personne ne savait de qui il était. Il avait été répertorié dans l’inventaire de Me Maurice Rheims, fait après la mort d’André Breton, comme tableau anonyme, à 100 francs. Cela a été l’un des succès, l’une des surprises de la vente. En revanche, pour l’oeuvre (n° 4227 de la vente) présentée sous le nom de Jacques Tristan Milan, il faut lire  Jacques Tristan Hylar (peu lisible sur le tableau), pseudonyme de Jacques Vaché que, pour ma part, j’ignorais.

Tableau de Jacques Vaché présenté sous le nom de Tristan Milan
Tableau de Jacques Vaché présenté sous le nom de Tristan Milan

Le jour de la première vente, il y a eu une manifestation devant l’hôtel Drouot, où, parmi les contestataires, on pouvait remarquer François Bon. Les manifestants, surtout des partisans d’Aragon et autres staliniens non repentis, essayaient, sous l’impulsion d’un certain Jean Daive, d’empêcher les collectionneurs de rentrer à l’hôtel Drouot. La police est plus ou moins intervenue et les gens ont pu accéder à la salle. De toute façon, la vente se faisait aussi bien dans la salle que par téléphone. En effet, nombre de collectionneurs et de musées avaient demandé à être appelés directement afin d’enchérir par téléphone.

Parmi les manifestants il y a eu beaucoup de « girouettes », qui ont multiplié les tracts, pétitions, déclarations et autres libelles, puis ont changé d’avis et de conviction au gré du vent, comme Jack Lang, Alain Jouffroy, Sarane Alexandrian, Fernando Arrabal, etc.

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Manifestation devant l’Hôtel Drouot lors de la Vente André Breton

De nombreuses fausses nouvelles ont circulé dans la presse comme, par exemple, l’annonce fallacieuse d’une abondance de tableaux fabuleux du Douanier Rousseau, de Dalí, de Max Ernst, de Picasso, etc. Mais aussi des critiques sur le prix des catalogues, jugés trop chers ; des « perles » du genre « poète trépané » pour Wifredo Lam, commentaire employé à mauvais escient, des coquilles, etc. ; des émissions de radio et télévision truquées, où n’étaient conviées que les personnes hostiles à la vente (Joseph Confavreux, Jean Daive, Thierry Ardisson à « Rive droite Rive Gauche »). Sans compter tous ceux qui ont essayé de se faire de la publicité sur le dos de cette vente, en gagnant leur quart d’heure de notoriété warholien sur le dos d’André Breton alors qu’ils n’avaient rien fait pour lui, de son vivant. Ainsi Mathieu Bénézet, relatant, à sa façon, sa rencontre, en 1966, avec l’auteur des Manifestes

Aube qui tenait à donner la préférence, pour leurs acquisitions, aux Musées français m’avait chargé de les encourager à préempter ce qui était, selon eux, indispensable, à leurs collections et ajouta, qu’ils auraient une surprise. Elle fut grande en effet, Aube a déchiré les bordereaux de préemption de plusieurs Musées.
Les conservateurs ont ainsi obtenu gratuitement les œuvres importantes qu’ils ambitionnaient d’acquérir.

Catalogues de la Vente André Breton
Catalogues de la Vente André Breton

Une vente exceptionnelle, avec un coffret contenant cinq catalogues qui renferment des illustrations, de précieuses références et des informations inédites susceptibles de venir en aide aux universitaires. Ces informations, ainsi que les images des 28.000 documents numérisés à l’initiative de Laurence Calmels ont alimenté en un premier temps la base de données « Atelier André Breton ». Depuis, elles sont revues et enrichies en permanence par l’association du même nom, sous la direction d’un Comité scientifique composé de Anne Egger, Jean-Michel Goutier, Jacqueline Chénieux-Gendron, Didier Schulmann, Marie Mauzé, Gilles Mioni, Henri Béhar, David Fleiss, et moi-même. La mise à jour des recherches et les rectifications sont centralisées et éditées par Constance Krebs, avec le soutien attentif d’Aube Elléouët, Oona Elléouët, et Stéphane Vauclin.

Subventionné par Aube Elléouët, le site Atelier André Breton met à la disposition de tout un chacun la mémoire du surréalisme dès 2004. Il présente tout ce que Breton a rassemblé au cours de sa vie, même les objets vendus de son vivant pour subvenir à ses besoins, compte tenu des sommes dérisoires que lui rapportaient ses droits d’auteur.

La vente, menée de main de maître par Cyrille Cohen et Laurence Calmels, a été un succès phénoménal par rapport aux prix d’estimation “normaux” établis, en leur âme et conscience, par les experts. Toutes les prévisions ont été dépassées et ce doit être probablement une des plus grosses ventes, en termes de chiffre d’affaires réalisées en France, à cette époque.

Cofret de deux DVDs réalisés par Fabrice Maze pour Arte et le Centre Pompidou "André breton malgré tout" et "L'œil à l'état sauvage".
Coffret de deux films, réalisés par Fabrice Maze pour Arte et le Centre Pompidou : « André breton malgré tout » et « L’œil à l’état sauvage », ainsi qu’une séquence inédite intitulée « Hôtel Drouot, le 31 mars 2003 »

Il faut remercier ceux qui ont contribué, évidemment sans le vouloir, au succès de la vente, comme Michelle Champenois (Le Monde), Margotin, Bénézet, Ottavi, et Le Parisien pour l’annonce des manifestations, et de tout ce qui a médiatisé la vente, pour en faire un succès considérable.

Je dois saluer la grande générosité d’Aube Elléouët qui, avec le produit de la vente, n’a jamais cessé depuis 10 ans d’aider des personnes et des Associations.breton005

La Collection Phares « Un œil ouvert sur le surréalisme », produite par Aube Elleouët, est à sa douzième parution. Sous forme de DVD accompagné d’une brochure, ces monographies des différents artistes surréalistes, célèbres ou méconnus, sont diffusées par la société 7DOC.Sans oublier que le 23 septembre 2003, Aube et sa fille Oona restituaient aux derniers Kwakwaka’wakws, situés actuellement à Alert Bay (Colombie Britannique), un masque utilisé par leurs ancêtres lors des cérémonies potlatch.Personne ne pourrait relater mieux que Harry Bellet, ce geste de Aube Elléouët.

Le masque d’André Breton rendu aux Kwakwa’wakws

Le Monde, 27 août 2003Aube Elléouët, la fille d’André Breton et de Jacqueline Lamba, porte un nouveau nom. Elle vient d’être baptisée « U’Ma », « Celle-qui-a-rendu », par les derniers des Kwakwa’wakws, une tribu indienne originaire des îles situées au nord-est de Vancouver.Le 23 septembre, Aube, sa fille Oona et des proches, dont Marie Mauzé, directeur de recherche au CNRS, sont allés à Albert Bay (Colombie-Britannique) restituer un masque aux descendants de ceux qui l’avaient créé, près d’un siècle plus tôt. Marie Mauzé, consultée avant la vente Breton, identifia le lieu d’origine du masque.Avant de trôner sur le bureau du poète, il était utilisé durant les danses traditionnelles, lors des cérémonies de potlatch. Breton leur avait consacré une note en juin 1950, dans la revue Neuf, où il décrivait « la puissance de l’art qui anime ces masques et le secret de la résonance profonde qu’ils trouvent en nous… »Cette puissance fut ressentie avant lui par les Indiens, bien sûr, aussi par les autorités de Colombie-Britannique qui tentaient au XIXe siècle de les « civiliser« . D’abord obligés de quitter leurs terres ancestrales de Nimpkish River, ils furent regroupés à Alert Bay pour servir de main-d’œuvre à un entrepreneur qui y avait installé une pêcherie. Rien ne fut négligé pour le salut de leur âme, ni la construction d’une école ni celle d’une église.Vers 1880, le révérand Alfred Hall dut constater l’inanité de ses efforts et demanda l’aide du gouvernement. Lequel vota, le 19 avril 1884, une loi interdisant la participation aux cérémonies du potlatch. En 1921, 45 personnes furent arrêtées pour avoir dansé, et leurs tenues, masques compris, confisquées, puis vendues par l’agent des affaires indiennes à un marchand de New York.Il fallut attendre les années 1950 pour que les potlatchs soient à nouveau tolérés. Depuis, les Indiens tentent, souvent en vain, de retrouver leurs objets de culte. Les quelques pièces récupérées sont installées dans les locaux de la U’Mista (littéralement « le retour de l’objet perdu ») Cultural Society.Lorsque Aube Elléouët entendit cette histoire, elle décida de retirer le masque de la vente Breton. Cet effort des indigènes pour retrouver leur identité perdue l’avait touchée. Contrairement aux musées qui refusent de rendre les masques en leur possession, elle a donc décidé de rapporter le sien où il avait vu le jour. Et c’est ainsi qu’Aube a trouvé un nouveau nom.Harry BelletLibération, 23 avril 2003breton001breton002Libération, 16 avril 2003breton003Le nouvel Observateur, 1-7 mai 2003breton004Ailleurs sur le web : www.andrebreton.fr