La solution Salazar

Paris, le 6 avril 2013

Aujourd’hui, dans les locaux de l’Assemblée nationale,  colloque de l’Ecole de la Cause freudienne sur : « Disposer de son corps ». Ce sera très bien, Irène Théry, que je voulais connaître depuis longtemps, y conversera avec Eric Laurent.  Mais je n’irai pas : trop de choses en train, qu’il faut que j’achève.

Rêves et révoltes de la bourgeoisie

J’ai eu la mauvaise idée au réveil de saisir sur  la table de nuit le Maurras de l’Herne, acheté il y a un mois, que je n’avais pas encore ouvert. Résultat : j’ai pris du retard. Une heure a passé comme par enchantement. Maurras dénonciateur est sinistre, mais je ne manque pas de sympathie pour Maurras batailleur et éveilleur.

Le dernier des Hussards encore en vie, le Hussard hédoniste, Michel Déon, a donné en décembre 2010 un entretien à l’éditeur de ce gros volume, Stéphane Giocanti. J’ignorais que le jeune homme vert avait été si proche de Maurras, son « chauffeur » comme l’appelait Pierre Boutang, « un rien jaloux ».

Le texte me décoche à l’improviste une phrase qui me va droit au cœur : « Stendhal était contre tout, et pour tout en même temps. Ce n’est pas un penseur politique, ce n’est pas un système, mais simplement une humeur. » Eh bien, pour et contre tout en même temps, c’est Diva ! C’est ce méli-mélo précisément que je cultive ici. Je ne suis pas une fatalité, je suis une humeur.

Ce que je ne m’explique pas tout à fait, c’est comment j’en suis arrivé là. Est-ce l’effet anesthésiant de la pratique analytique ? Ma sensibilité intellectuelle à vingt ans était accordée à celle d’un Martial Guéroult qui, de toute philosophie, faisait système avec sa kantienne « boîte à outils » (écho de Fr. Hollande). Je voulais que Lacan aussi fasse système, on en a la trace dans les Ecrits.

Au détour de cet entretien, je tombe sur ça : « Maurras a attiré d’innombrables dévouements, certains déroutants, comme Lacan. » Déon aurait-il connu le jeune Lacan ? Son dévouement à la cause, c’est ce que Lacan alléguait auprès de Mme Léon Daudet pour être reçu par le maître. L’adjectif déroutant signale que la vue de Déon est rétrospective : c’est parce qu’il a la notion du Lacan subversif, ou cru tel, de la maturité, de la notoriété, qu’il s’étonne que celui-ci ait pu être comme lui maurassien à vingt ans. Leurs Maurras à chacun sont à dix-huit ans de distance : Lacan a eu vingt ans en 1921, Déon en 1939.

Non, Déon n’a certainement pas connu Lacan. Il a lu la lettre de Mme Daudet fils à Maurras, publiée en 1995 dans Cher maître. Le Déon de vingt ans s’était donné à un Maurras pétainiste, alors que c’était encore un révolté aux yeux du Lacan de vingt ans. Je le déduis de ceci : sans me dire ce qu’elle avait été, et pour m’inciter à faire de même avec la mienne, Lacan m’avait parlé un jour – trace en a été gardé – de sa « révolte bourgeoise », et de ce qu’il en avait fait. Sa révolte à lui, je l’ai saisi plus tard, ce fut Maurras. La mienne, c’était Mao. La solution ? Freud.

« Rêveuse bourgeoisie » disait Drieu, qui fut son ami, avec qui il eut en commun au moins une femme, et sans doute plusieurs. Au XXe siècle comme au XIXe, les jeunes bourgeois rêvaient, faisaient leur éducation sentimentale. La plupart jetaient leur gourme, certains se révoltaient, les plus fous, les plus malheureux, en mouraient, comme Drieu, tandis que les habiles en revenaient et faisaient carrière dans le monde, une carrière parfois époustouflante quand ils étaient Aragon. Mais depuis Freud les rêves s’analysent.

Déon raconte : « J’ai parlé de Maurras avec Salazar un après-midi à Lisbonne où nous parlions de tout et de quelques riens. » Tandis que l’ordre juste règne au Portugal, le dictateur et le désinvolte devisent sur les bords du Tage. Irrésistible ! « J’ai demandé à Salazar : “Avez-vous lu Maurras ?” Il m’a dit : “ Oui, je l’ai lu, mais Maurras parle du pouvoir d’une façon extrêmement théorique : quand on est au pouvoir, on s’aperçoit que le pouvoir, ce n’est rien du tout”… »

Là, un bon point pour Salazar : en voilà un qui n’était pas mégalo. Mao ne l’était pas non plus, s’il est vrai qu’il ait répondu, quand on le félicitait de son rôle historique : « Oh ! j’ai changé des petites choses dans quelques quartiers de Pékin et de la banlieue. » Quelque chose comme ça. Où donc l’ai-je lu ? Il ne se faisait pas d’illusions. Il avait bien raison. C’est en vain que Mao prospère, le chat de Deng Xiaoping était déjà né dans l’Empire. Je parle de celui qui attrape les souris, qu’il soit blanc ou noir.

Salazar poursuit : «  … rien du tout, il n’y a pas de pouvoir, tout est une manœuvre perpétuelle pour le conserver. » Trop fort ! Trop lacanien ! En somme, au cœur du pouvoir gîte l’impuissance. Mais  il n’est pas besoin de croire au pouvoir pour le désirer. Celui qui parle n’est pas un amateur. Il est resté à la tête de l’Estado Novo de 1932 à 1968. Seul un AVC l’a éloigné du pouvoir. Il parle en connaissance de cause, il a voix au chapitre. Ce n’était pas un militaire, mais un universitaire. Un catholique fervent, démo-chrétien au départ, humble et discret, aucun culte de la personnalité, mais une poigne de fer, au service des idées du pape Léon XIII. Tout pour plaire à Rome.

J’interroge Google. J’obtiens deux autres textes, aussi plaisants à lire l’un que l’autre : un article de Jean-Paul Enthoven dans Le Point sur le Cahier de l’Herne, et un chapitre de La cause des livres, de Mona Ozouf. Celle-ci renvoie à La droite buissonnière, de Pol Vandromme, 1960, qui narre entre autres les circonstances de la rencontre de Déon avec Salazar.

Enthoven comme Ozouf sont sensibles à cette littérature, mais in fine sont sévères. Ils emploient le même mot : « pays d’hier » dit Enthoven ; « pays de contrebande, désormais effacé de la carte » dit Mona Ozouf. Oui. Qui peut dire que c’est pour toujours ? Je les lis avec plaisir et les respecte vaincus. S’ils arrivaient au pouvoir ou faisaient mine de s’en approcher, ce serait la Guerre d’Espagne.

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Le mystère Cahuzac

 

Paris, le 7 avril 2013

« J’en prends le pari, Cahuzac rebondira. » De cette phrase de moi, Marianne a fait le titre de mon papier publié ce samedi. Cela me vaudra des questions. Autant m’en expliquer.

Je constate que DSK a déjà rebondi. Son expertise d’économiste est recherchée, elle est certainement payée son prix. Un tel rebond serait inconcevable dans une société traditionnelle, disons, pour rester dans les temps modernes, l’Estado Novo de Salazar, construisant le thomisme dans un seul pays. Mais, pour le meilleur et pour le pire, nous vivons dans des sociétés libérales.

Ethique publique, éthique privée

Alasdair MacIntyre, un philosophe écossais dont je vois dans Wikipédia qu’il a été marié trois fois, a écrit en 1981 un livre qui a fait date, After virtue, pour déplorer que les Modernes conçoivent comme séparées la sphère publique et la sphère privée. Le cardinal Scola le cite avec faveur. (Le mystère des noces, 2005 ; trad.fr. aux éditions Parole et Silence, 2012).

Le cardinal regrette que, dans les Etats modernes, la vertu morale soit « reléguée  dans la pure sphère privée de l’individu ». Il met également en question la dichotomie moderne entre liberté personnelle et liberté civile ou juridique, introduite dans l’éthique classique à partir du droit naturel (Grotius, Pufendorf), et généralisée, dit-il, par Hobbes, Locke et Kant. Il leur reproche de croire que « la société civile peut reposer sur un simple contrat dépendant de règles conventionnelles ».

Rêveuse Eglise ! Elle ne peut pas s’empêcher de penser qu’il serait beau que éthique publique et éthique privée se confondent. Plus exactement, la société civile, à ses yeux, n’a d’autre fondement véritable que la divinité. En fait, l’Eglise n’a renoncé à rien. Vatican II a, sur ce point, glissé comme de l’eau sur les plumes d’un canard. Pie IX règne. Jean XXIII n’aura pas changé le Syllabus d’un iota. C’est admirable ! C’est retour à Aristote ! C’est Aristote matin, midi et soir ! L’Eglise dans ses profondeurs n’est toujours pas réconciliée avec la philosophie des Lumières. Comme le dit Mona Ozouf de la droite littéraire, les circonstances ayant mis à mal ses idées, elle les conserve pour des temps meilleurs. Pour le reste, c’est la formule impériale : panem et circenses. Le cirque ? Berlusconi ou Frifri Barjot. Que demande le peuple ?

Ces deux pages de Scola que je signale, p. 176-177, je ne les oublie pas. Je les ai mises dans ma « boîte à outils », pour reprendre l’expression de M. Hollande. Elles éclairent beaucoup de choses. Elles incitent à l’émulation. Sachons nous aussi prendre sur l’actualité le point de vue de la très longue durée.

Donc, encore un effort pour être laïc ! Dans un régime d’ordre moral comme l’Estado Novo, mais aussi l’Etat du Contrat social de Rousseau, un Cahuzac serait cuit à jamais. Il serait destiné à pourrir dans une geôle ou à crever la faim jusqu’à la fin de ses jours, à moins de se réfugier dans le giron de l’Eglise. En régime libéral, il n’en va pas ainsi. L’individu subit les rigueurs de la loi. Il y a procès. On plaide les deux côtés de la cause. Les juges prononcent une peine. Une fois celle-ci accomplie, l’individu n’a de comptes à rendre à personne.

Que s’y ajoute le blâme des autorités morales et de l’opinion est dans l’ordre des choses. Mais ce blâme n’a pas force de loi.

La décence et la frénésie

Qui sont chez nous les autorités morales qui se prononcent sur l’affaire Cahuzac ? L’Eglise se tait. Les Eglises réformées aussi. Le Grand Rabbin est occupé ailleurs. Silence chez les musulmans. Restent les médias,  les éditorialistes.

Il leur revient, paraît-il, de nous enseigner les vertus républicaines. Admettons. Il y a la liberté d’expression, c’est pour qu’on en use. Il y a même, dernière engeance apportée par la vague, tout un peuple de blogueurs dont je suis, opinant dans tous les sens, jouant tous les rôles du répertoire : les pédagogues, les vierges effarouchées, les chambres d’écho, peu importe. Nous ne sommes rien dans l’Etat. Nous sommes des humeurs. Autant en emporte le vent.

Mais le Premier ministre enjoindre M. Cahuzac d’abandonner les émoluments de sa retraite ? Le président de l’Assemblée lui enjoindre de renoncer à son siège ? Et cela non pas en confidence, mais sur la place publique ? On dira : ils agissent au nom de la décence. Mais en quoi des hommes politiques, et surtout maintenant, sont-ils qualifiés pour le faire ? en quoi sont-ils autorisés à dépasser la lettre de la loi ? à se faire les porte-parole d’un commandement allant plus loin que le code ? L’indécence est là. Non seulement ils commettent, en se faisant professeurs de morale, un solécisme politique, mais ils s’exposent à ridiculiser leurs hautes charges en dévoilant leur impuissance, pour peu que Cahuzac – qui n’a pas froid aux yeux, on l’a assez vu, assez dit – leur oppose le droit pur et simple, et les envoie aux pelotes. Voici le prestige de MM. Ayrault et Bartolone dépendants de la complaisance de M. Cahuzac. Qui peut croire qu’il leur sauvera la face sans contrepartie ? Ça va négocier dur, derrière le rideau.

La décence n’a de sens que dans une société de la juste mesure, que ce soit celle de Salazar, celle dont rêvait Orwell sous le nom de Democratic Socialism, celle à laquelle aspire le cardinal Scola, celle après quoi soupire le citoyen de bonne volonté sans que cela porte à plus de conséquence. La décence n’est que « ab-sens » dans une société régie par le mode de production capitaliste. A son principe en effet, le capitalisme fait litière du ne quid nimis (rien de trop). Il est, de structure, indécent et frénétique. C’est lui, « le bruit et la fureur », ce n’est pas Mélenchon.

Les équivoques de la République

L’événement fait bien voir ce qu’a d’équivoque le beau nom de République qui fait office de shibboleth dans le discours politique de notre pays.

La République, on le sait depuis Tocqueville, est la continuation de l’Ancien Régime par d’autres moyens. Oui, elle admet la dichotomie du privé et du public. Mais en même temps, elle autorise ses agents à la transgresser. L’homme politique français, voire le haut fonctionnaire, est prêcheur. Tel qu’on l’utilise ces jours-ci tout spécialement, le signifiant La République a des relents d’ordre moral. Pour le dire dans les termes de Raymond Aron, La République est ce qui nous reste de religion séculière. C’est la marque laissée par Rousseau, par la Révolution, par Robespierre. Vais-je m’en plaindre ? C’est la France, ça, le goût de la France. Je le savoure. Mais comment ne pas ironiser ?

Ce n’est qu’un cri : « Moralisons la vie publique ! » Oui. Certes. Qui dira le contraire ? Moralisons la vie économique ! Moralisons la vie sociale ! oui, pourquoi ne pas ajouter un M à l’UIMM ? Elle deviendra l’Union des industries et métiers de la métallurgie et de la moralité. Moralisons la vie financière ! Transformons les paradis fiscaux en purgatoires, et les purgatoires en enfers ! Moralisons la vie littéraire ! Moralisons la vie quotidienne ! Moralisons la vie !

C’était l’ambition du cher Salazar pour son pays. Personne en ce siècle ne l’a mieux réalisée. En voilà un à qui la croissance ne tournait pas la tête. Au Portugal, la décence tenait en laisse et les forces productives et les filles. Car, laissé à lui-même, le principe féminin ne va-t-il pas à l’indécence ? Et ces corps ne sont-ils pas faits pour troubler la quiétude de la norme mâle ?

J’en prends le pari : c’est en vain que vous déverserez vos tombereaux de moraline. Le Génie ne rentrera pas dans la bouteille. On moralisera les typhons avant que de moraliser le capitalisme. Il continuera d’empuantir et la terre et les cieux, car la Parole a dit : «  Les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière » Luc 16, 1-8. Sans doute n’est-il pas besoin d’espérer pour entreprendre. Ou pour faire semblant. Faire semblant vaut mieux, n’est-ce pas ? que de passer à l’acte, car être conséquent, ce serait au terme la solution Salazar. Elle ne tente plus grand monde, même, je parie, parmi les adversaires du mariage pour tous. Et personne n’est plus partisan de la solution Brejnev.

Cependant, rien ne dit qu’on n’y reviendra pas à tire d’aile le jour que nous annoncent les écolos, où les ressources de la planète seront taries. Alors libéralisme et capitalisme seront effacés de la carte. Alors ce sera le village pour tous. Raymond Aron a dit son peu de goût pour la vie villageoise, on peut le lire dans le dernier numéro de Commentaire.

De la vertu au Greed

En attendant ce jour béni, ça repart pour DSK. Sans doute la vie politique lui restera-t-elle fermée, mais il y a tant d’autres choses à faire dans des sociétés non-salazariennes pour un praticien avisé de l’économie. Comme il y en a pour un bon chirurgien.

Si j’ai dit « rebondir à l’américaine », c’est en pensant à la crise des junk bonds de la fin des années 80. Elle emporta l’un des géants de Wall Street, la banque Drexel Burnham Lambert. Je pensais nommément à Michael Milken, 98 chefs d’inculpation de fraude en 1989.

Wikipédia : « Après un accord, Michael Milken fut condamné à dix ans de prison, mais en fit moins de deux. Il entreprit ensuite une campagne de relations publiques pour mettre en avant son rôle d’innovateur dans la finance, et fit des dons caritatifs. Avec une fortune nette estimée à environ 2,1 milliards de dollars en 2007, il est classé par Forbès comme la 458e plus riche personne du monde. » Quant à M. Albert Frère, l’homme le plus riche de Belgique, dont le nom était au fronton de la banque, il sut « se désengager à temps ». En 2009, Forbès le classait 285e.

Les autorités morales autoproclamées en remettent sur l’indignité de M. Cahuzac.

« On peut piétiner un homme à terre. Ce n’est pas ma façon de me comporter » écrivait jeudi matin Alain Juppé sur son compte Twitter. Ce dimanche, sur Canal+, autre son de cloche : « Même si légalement Jérôme Cahuzac a le droit de revenir à l’Assemblée nationale, « il faut qu’il s’écarte complètement de la vie politique », selon l’ancien ministre, qui évoque une « question de morale » » (d’après Le Monde en ligne). Alain Juppé n’est pas le seul, son nom est Légion : « Juppé, Filippetti, Wauquiez et Moscovici s’accordent sur « l’inconcevable retour » de Cahuzac » (idem).

Le statut équivoque de la République oblige les représentants de la Nation à moraliser. Sinon, quoi ? Ils ne seraient pas compris, ou pis, passeraient pour complices. On dira qu’ils sont dans leur rôle légitime, on alléguera Montesquieu et la vertu, principe des républiques. Je réponds : Montesquieu avait lu Mandeville, La Fable des abeilles, et savait parfaitement que les vices privés peuvent faire des vertus publiques. Cette formule « dissout la question du Bien moral dans celle du Bien économique (la prospérité générale) et (…) dans celle du Bien politique (la modération et la liberté) ». La phrase est extraite d’une remarquable mise au pont de Mme Carole Dornier (entrée « Vertu » du Dictionnaire électronique Montesquieu»). Elle est à lire d’un bout à l’autre, car le concept reste ambigu chez l’Aufklärer aristocrate.

Toujours est-il que personne n’a jamais pensé que le principe du capitalisme fût la vertu. C’est plutôt le Greed, l’avidité. « Greed is good ! », comme disait Gordon Gekko dans sa tirade du film Wall Street. Michael Douglas y gagna l’Oscar du meilleur acteur. Le personnage était inspiré de Michael Milken.

 

Laïcité ou religion nationale

Il y a le droit, dit M. Juppé, et il y a la morale. Oui, j’en conviens : ce qui est licite n’est pas nécessairement légitime. Mais considérez ceci.

Chasser M. Cahuzac de l’hémicycle pour une « question de morale » implique ipso facto que tous ceux qui y siègent ont satisfait à votre examen de moralité. Là, le bât blesse. Par exemple, la faute de M. Cahuzac aurait-elle la vertu de soudain laver de tout péché Monsieur D. et Monsieur T. (ce dernier n’est plus député depuis juin dernier) ? L’expression « bouc émissaire » a-t-elle un sens pour vous, ou n’en a-t-elle pas ?

Que des législateurs dénient à la loi de dire en dernière instance qui peut et qui ne peut pas siéger à l’Assemblée amoindrit la République comme institution laïque. Alors, qu’ils nous fassent une religion civique ! La Rome antique en avait une. L’Amérique en a une.

Lire là-dessus, toujours dans Commentaire, l’analyse par Alain Besançon de « la prière publique » par quoi commencent aux Etats-Unis les réunions qui comptent. Protestants, catholiques, juifs, musulmans, en sont tous partie prenante pour un instant. C’est, dit-il, « un point d’émergence de la religion nationale. L’allégeance à la nation, à ses institutions, à sa Constitution, à son unité se mêle intimement à la prière adressée à Dieu. »

Ajoutons le culte de the law et le making money. Nous sommes aux antipodes de la République à la française. République et capitalisme, c’est le grand écart.

Un aveu à deux faces

M. Cahuzac n’est pas condamné. Si nous le savons coupable, c’est parce qu’il a avoué. La presse catholique se montre sensible à sa démarche d’aveu et de contrition.

On peut lire La Croix de ce week-end, du début à l’avant-dernière page, sans tomber sur le nom « Cahuzac ». Quel repos ! Il ne figure que dans la chronique de Bruno Frappat, qui couvre la dernière page. « Un peu à contre-courant de l’effroi général » dit celui-ci, il remarque que l’homme « a avoué avoir menti et demandé pardon. » Le patron du journal voit dans ce fait « la seule note “morale” de cette accablante histoire d’argent. » L’éditorial de Jean-Pierre Denis, le directeur de La Vie (ex-Vie Catholique), est trempé dans la même encre : «  Pour un peu, on a envie de le consoler plus que de le blâmer. Alors le mystère Cahuzac, de politique, deviendrait presque spirituel, biblique. C’est celui du péché et et du repentir devant ce tribunal de la conscience, mais sans l’absolution. »

« Le mystère Cahuzac.  » Oui, oui, oui ! Je suis d’accord. En plus, l’homophonie évoque Le mystère Frontenac, qui est le mystère Mauriac (lui-même, François Mauriac, nous l’a appris). L’époché (la suspension du jugement, en grec), l’esprit d’ouverture dont témoignent Denis et Frappat, je m’en sens plus proche que des anathèmes jetés à l’emporte-pièce pour se mettre à couvert d’une opinion versatile. Même si le sujet de l’inconscient n’est pas une âme, un psychanalyste qui n’aurait pas le sens du mystère serait un piètre psychanalyste.

« Sans l’absolution », dit Denis. Là, je vous vois venir. Vous avez la science des âmes blessées. L’absolution, vous attendez que celle-ci la demande un jour à qui de droit. Un analyste n’a pas en magasin de quoi fournir. Encore que… Ecouter, ne pas juger, interpréter, c’est, en quelque manière, une absolution. Qu’il soit clair cependant que l’existence de l’inconscient n’excuse rien. Elle est de Lacan, cette rude maxime : « De notre position de sujet, nous sommes toujours responsables. »

Cela dit, je ne crois pas que M. Cahuzac ait déjà été touché par la Grâce. Pour situer le sens de son aveu, je me fierais plutôt à Stéphane Durand-Souffland. Son récit dans Le Figaro de jeudi me semble puisé aux meilleures sources.

M. Cahuzac change d’avocat. Il retient maître Jean Veil. Celui-ci lui expose la situation dans les termes suivants : « L’alternative est simple: engager un combat procédural, et gagner, qui sait, un an, avant de tout perdre ; ou passer à table au plus vite, et entamer illico une restauration d’image. » Choix forcé : ce sera l’aveu, sous les espèces du  « passer à table » plutôt que : « se confesser ».

Or, quelle coïncidence, l’avocat et le juge d’instruction sont compères – je ne dis pas comparses. « Me Veil connaît bien Renaud Van Ruymbeke (…) Le 27 mars, il lui remet un courrier de son client, et les deux hommes s’accordent sur les modalités pratiques de l’audition. Le 28, Me Veil passe de nouveau au cabinet du magistrat, pour d’ultimes préparatifs. »

Tout aura donc commencé par un deal. Et tout finira par un deal, j’en prends le pari. Quant au Jugement dernier, là où tout deal est off, il attendra.

On en revient toujours au dit de Deng : « Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, s’il attrape la souris, c’est un bon chat. »  C’est l’une des clefs de notre monde. Elle aurait été prononcée, selon Wikipédia, lors d’une réunion du Secrétariat du PCC en 1962. En chinois :

不管白猫、黑猫,逮住老鼠就是好猫