Du 22 au 25 mars, à l’occasion du Salon du livre, la Roumanie et ses écrivains seront à l’honneur Porte de Versailles : ses écrivains d’hier et d’aujourd’hui parmi lesquels, bien sûr, les écrivains d’aujourd’hui et ceux qui choisirent à un moment donné de s’installer en France : Cioran, Ionesco, Eliade, Panaït Istrati, Gherasim Luca, Virgil Gheorghiu, Tristan Tzara, Paul Antschel alias Paul Celan et le moins connu d’entre eux mais non le moindre, Benjamin Fondane (Jaasu, 1898 – Auschwitz-Birkenau, 1944). Cioran, qui eut son heure antisémite, lui consacra un fort émouvant chapitre dans ses Exercices d’admiration : « Le visage le plus sillonné, le plus creusé que l’on puisse se figurer, un visage aux rides millénaires, nullement figées car animées par le tourment le plus contagieux et le plus explosif. » Aujourd’hui Cioran a été accueilli par ses pairs dans l’illustre Bibliothèque de la Pléiade, le deuxième Roumain à y entrer après Ionesco, alors que Celan, lui, a eu l’honneur d’entrer dans la collection « Poésie Gallimard ». Mais la Roumanie a aussi donné au monde Gabriela Adameşteanu (née en 1942) dont le roman Une matinée perdue vient d’être publié en Folio et Norman Manea (né en 1936), dont paraît un nouveau livre, La Cinquième impossibilité.

 

Depuis dix ans, seul Parole et Silence publie Benjamin Fondane grâce à sa directrice Sabine Larivé et à Monique Jutrin, qui lui a consacré tant d’années de sa vie en Israël. L’une et l’autre refusent que Fondane fût réduit au silence. Aujourd’hui paraît donc pour ce Salon du livre ses Poèmes retrouvés 1925-1944. Édition sans fin, présentés par Monique Jutrin qui nous arrivent comme un miracle par-delà l’oubli, par-delà le temps, par-delà sa mort ignominieuse. Œuvre unique, douloureuse, visionnaire de ce poète né deux ans avant le 20e siècle, qui avait vu, compris la tragédie à venir.

J’étais un grand poète né pour chanter la Joie

–  mais je sanglote dans ma cabine.

Dans son poème-préface à L’Exode (Le Mal des fantômes), Fondane a une vision claire du futur proche :

Un jour viendra c’est sûr, de la soif apaisée

Nous serons au-delà du souvenir, la mort

Aura parachevé les travaux de la haine,

Je serai un bouquet d’orties sous vos pieds,

alors, eh bien, sachez que j’avais un visage

comme vous. Une bouche qui priait, comme vous.

Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu

Se trouvera devant vos yeux. Il ne demande

rien ! oubliez-le, oubliez-le ! ce n’est

qu’un cri, qu’on ne peut mettre dans un poème

parfait, avais-je donc le temps de le finir ?

[…]

Souvenez-vous seulement que j’étais innocent

Et que, tout comme vous, motels de ce jour-là,

J’avais eu, moi aussi, un visage marqué

Par la colère, par la pitié et la joie,

[…]

Un visage d’homme, tout simplement !

Dans ces Poèmes retrouvés, tous écrits en français, Fondane nous conduit par sa voix qui sourd d’un chant proclamant sans fin la sanctification du Nom, vision du Nom humain conjoint au nom divin, mais aussi cri qui hanta Kafka.

Suis-je un résidu ou un terme ? […]

Que suis-je à présent, si ce n’est un vieux bric-à-brac de fortune

De forces gaspillées, d’hommes tués dans l’œuf

De destins singuliers, de vies inemployées

Tant de paroles qui n’ont jamais été prononcées

Tant de rires qui n’ont pas ri

Qui suis-je

Sinon la rancune des morts qui ont manqué leur vie

Si la France fut une seconde patrie pour Cioran, Ionesco, Celan et tant d’autres, pour Fondane, elle fut en revanche la patrie qui l’a trahi, le renvoyant vers l’Est, à destination de « La Métropole de la Mort », comme la nomma dans son livre fracassant, Otto Dov Kulka.

Benjamin Fondane ne fut pas moins génial poète que Paul Celan, il n’a pas moins écrit non sur ce que l’on pourrait nommer l’athéologie, une théologie agonique, agonistique, où Dieu meurt de ne pas mourir, où Dieu et l’homme sont dans un procès sans fin. Celan a davantage saisi les philosophes et les grands penseurs : Heidegger, Levinas, Derrida mais aussi Blanchot et George Steiner.

Le nom de Fondane n’a toujours pas réussi à rompre l’oubli autour de lui ou plus exactement n’est pas parvenu à rompre le seul cercle d’initiés, poètes, écrivains, qui ont su ce que furent sa puissance, son art, son humour noir mais aussi son désespoir de ce qu’est l’homme…

Les grands poètes, écrivains, penseurs roumains du 20e siècle et de ce début du 21e siècle ont apporté quelque chose d’incomparable à la littérature mondiale, que ce Salon du livre entend mettre à l’honneur.