Bangor, le 16 mars 2013

J’aime lire les journaux. Un Montherlant déclarait la presse littérature vulgaire. Il gourmandait ses petits protégés qui s’en délectaient. Dans sa pièce Fils de personne, il se montre en père déplorant le manque de qualité de son fils. Il prenait la pose, me dira-t-on, à quoi je répondrai qu’il y avait un public pour ça. Gide va dans le même sens : « J’appelle “journalisme” tout ce qui sera moins intéressant demain qu’aujourd’hui. »  Ces messieurs font la fine bouche devant le temps qui passe.

J’ai été suffoqué très jeune par l’existence du 2+2 = 4, son éternité ou omni-temporalité, cela me paraissait seul valoir, et en même temps je me suis toujours adonné au vif et vivace et bel aujourd’hui. Seul un amant de la nécessité jouit à plein de la contingence. L’actualité, c’est la réalité devenant surréaliste, « convulsive » disait Breton, offrant incessamment des rencontres fortuites aussi belles que celle, canonique, du parapluie et de la machine à coudre sur la table de dissection. Au reste, cette rencontre n’est pas si hasardeuse : à éclairer Lautréamont par Charles Trenet, on voit que c’est paparapleut dans mamachine. C’est la Urszene de Freud.

Tous les livres et revues dont parle Le Point, de la page 114 (grande photo style pop-art de Tatiana de Rosnay déhanchée gloss aux lèvres) à la page 120, j’ai envie de les lire, ou au moins de les parcourir. Ce n’était pas le cas il y a peu. Giesbert a dynamisé la rubrique. Il doit penser que, vu les déboires de L’Obs, le sorpasso est possible. Jean Daniel avait une formule gagnante, inimitable comme celle du Coca-Cola. Il n’a pas passé à Joffrin la recette du breuvage. Enthoven signale le numéro de la NRF sur Proust où Kristeva et Zagdanski ont écrit, et aussi Le cercle de Proust, chez Champion, « promenade guidée » par Tadié.

Jadis, depuis la disparition de la Librairie internationale des PUF rue Soufflot, j’allais chaque année à Londres début juillet, m’immerger trois jours durant dans un océan de livres chez Foyles et dans la grande librairie entre Malet Street et Gower Street qui est aujourd’hui de la chaine Waterstone’s. Puis je partais faire de même chez Blackwell à Oxford. Je feuilletais je ne sais combien de livres, vautré sur les chaises et les canapés, sans que personne ne s’inquiète de moi. Au débouché, je me faisais envoyer deux caisses de livres, et je rentrais gonflé à bloc, comme Antée régénéré par Gaïa. Je me sentais au fait des choses, on the top of the world.

J’apprends dans Le Figaro littéraire qu’Arlette Jouanna a sorti un nouveau livre, Le Pouvoir absolu, dans la collection de Ran Halévy, qui compte peu de titres, tous précieux. Il me faut ça. Mais j’ai envie aussi du Journal de Johannes Burckard, maître de cérémonies du pape Borgia, Alexandre VI. De Borgia à Bergoglio : progrès ou déclin ? DSK eût-il voulu faire pape à la Renaissance, il passait comme lettre à la poste. « Relativisme ! » gémit Ratzinger. Je dis comme Sollers : « Vive le pape ! » Le pape, c’est le pape. Le mot « pape » est un désignateur rigide de Kripke. Ce qu’on met dessous n’importe pas. Il faut seulement qu’il en ait deux, et bien pendantes. Mais peu nous chaut qu’il n’ait qu’un poumon.

Le troisième livre sur la page me tente aussi ; c’est une histoire de la Turquie depuis Mustapha Kémal. L’auteur explique que le kémalisme est une idéologie à la fois laïciste, antilibérale et moderniste. Le despotisme éclairé, est-ce l’avenir de l’humanité ? des esprits aussi peu négligeables que Voltaire et Diderot le laissent entendre. La Chine d’aujourd’hui vit sous un tel régime, sauf que le despote est une caste. Comme à Venise. Ça fonctionne fort bien, tant que les mères transmettent les valeurs et les identifications nécessaires à la perpétuation du système. Quand elles se mettent à trop bichonner leurs petits, ça craque. La mafia tient par le désir de la mère. Le regretté Giuseppe Musotto, qui fut analysé par Lacan, exerçait la psychanalyse à Palerme. Dans les années 80, il venait de temps à autre faire des contrôles avec moi. Il analysait les filles et les femmes de mafiosi.

Ce propos est cohérent avec celui de Quignard dans son dernier livre. Et pour cause : je vois dans Le Monde des livres qu’il poursuit ses méditations néo-lacaniennes. L’enfant « tombe d’une femme », écrit-il joliment (cité par Marielle Macé — une parente de Gérard Macé ?). Comment n’aurais-je pas le désir de lire L’Origine de la danse ? Et aussi le nouveau François Jullien, recommandé par Roger-Pol Droit ? Et les deux « contre-histoires », celle de la IIIe République et celle du libéralisme, réunies par Serge Audier dans sa recension ?

Celui-ci prend ses distances avec Onfray, dont j’apprends qu’après avoir été le procureur de Freud et de Sartre, il se fait Diderot et Kant. Onfray est notre Vichinsky. Si l’Aigle de Caen était au pouvoir, je voisinerais à la Loubianka avec le Gotha des lettres universelles. Foutre ! dirait le Père Duchesne pour donner un signe peuple, ce type célèbre sa payse Charlotte Corday, et il se fait passer pour un homme de gauche ! C’est un proudhonien type, il a l’idéologie du petit propriétaire. A Proudhon il ne tient pas rigueur de sa misogynie ni de son antisémitisme.

11h 30 : on part pour Palais, la commune principale de l’île. Razzia à la Maison de la Presse. Je ne résiste pas à l’envie d’acheter le superbe Dictionnaire Français-Breton de Martial Ménard. Je parcours la préface pendant que nous prenons le café au café Le Poisson rouge sur la place du Marché. « L’Histoire n’a pas donné la même chance à toutes les langues. » C’est très beau et très juste. Ceci n’est pas un musée ou mausolée de la langue bretonne, mais un dictionnaire de combat : l’auteur milite pour l’avenir de la langue, il entend « la confronter sans cesse à la vitalité langagière du monde moderne. » Il invente des mots pour coller aux choses nouvelles, comme on fait au Vatican avec le latin.

Ma première pensée politique me portait à admirer la poigne des conquérants et unificateurs de nations : Périclès, Alexandre, la République romaine, César, Richelieu, Robespierre, Bonaparte, et Cavour, Bismarck, Lénine. A Staline, je disais stop. Je me suis adouci en mai 68. J’ai pratiqué la ligne de masse définie par Mao. Cependant, quand j’ai commencé à voyager à Barcelone au début des années 80, j’étais nonplussed que les analystes en formation désirent s’enfermer dans une langue-prison. Ils m’écoutaient gentiment, s’obstinaient. Le fait accompli de la catalanisation a eu raison de mes réticences. Aujourd’hui, je les vois hésiter à faire le pas de l’indépendance. Le Catalan calcule, suppute, accumule, l’acte lui est difficile.

« Le signifiant », « le symbolique », sont des termes qui conviennent en logique mathématique. La logique politique est autre : elle distingue la langue des maîtres et la langue jouïe. Chez moi, les deux coïncident : mes parents m’ont soigneusement tenu éloigné du polonais, du yiddish et de l’hébreu. Résultat : j’ai joui comme un fou du français, celui de Molière d’abord. Depuis lors tout vire à la comédie dès que je m’exprime en roue libre.

Je teste le dictionnaire. On est très vite déconcerté, les structures des deux langues ne se recouvrent pas. Catherine me rappelle que Lacan signalait qu’on ne peut dire « Mort aux vaches ! » en espéranto : « Et en breton ? » demande-t-elle.  Vache se dit buoc’h, et aussi, au pluriel saout. Les enfants disent moumou. Parler familier : fri togn. En argot : yokenn. Impossible à savoir, ça, par la raison pure. On croirait du Borges. Parmi les expressions lexicalisées, pas de « Mort aux vaches ! » Il y a : manger de la vache enragée ; pleurer comme une vache ; être soûl comme une vache ; et même : parler français comme une vache espagnole, qui se dit komz galleg saout. L’effet rappelle le Bel-men du Bourgeois gentilhomme. Chacun son métier et les vaches seront bien gardées se dit en breton Pep hini e vicher ha ned aio ket ar c’hazh d’al laez. Où est passée la vache ?

Elle n’est pas du côté de « mort ». En revanche, il y a en breton sept façons de dire « le mieux de la mort ». C’est prodigieux. Il va falloir me cultiver sérieusement en breton pour pénétrer ces mystères, dont je ne doute pas qu’ils soient explicables – c’est mon préjugé rationaliste. « A mort ! » se dit D’ar marv. « Le pape » se dit : ar pab.

13h : longue promenade sur la plage déserte des Grands Sables. Le ciel est bleu, la mer aussi, la lumière est douce, il passe un vent qui pour l’île est suave. Des minutes de bonheur simple. Elles sont tout juste compliquées par ma fille, qui m’envoie un mail aux fins de changer déconfucionisation en déconfucianisation dans la préface que j’ai écrite hier pour le livre d’Hélène Bonnaud. Je ne me plains pas. Sa vigilance me touche. Je me demande seulement s’il y a encore des hommes libres pour chérir la mer quand ils sont tenus en laisse par leur iPhone. L’homme libre est-il tenu d’avoir un iPhone ? Il y a du pour, il y a du contre.

D’ailleurs, pourquoi l’homme libre chérit-il la mer ? Baudelaire a sa théorie, j’ai la mienne. La sienne se résume au stade du miroir, avec la mort et le carnage qui vont avec. J’expose ma théorie à Catherine, Judith et Jean-Daniel : l’homme libre chérit la mer parce que ni routes ni chemins n’y sont tracés. Le chemin, avec son début, son milieu et sa fin, c’est une horreur, c’est le memento mori. La formule « le chemin de la vie » introduit toujours et la mort et la servitude. Spinoza dit au contraire : « la chose à laquelle l’homme libre pense le moins, c’est la mort, et sa sagesse n’est point la méditation de la mort, mais de la vie. » Catherine a remarqué dans l’Eglise de Locmaria où nous sommes passés peu avant, une plaque où était écrit : « Je ne suis pas loin. Je suis de l’autre coté du chemin. » CQFD.

Antithèse. Bien sûr que des routes sont tracées sur la mer. Elles sont tracées dans le symbolique, et au service du commerce, de la « marchandisation », disent les petits dégoûtés d’aujourd’hui. L’homme libre chérit la mer parce qu’il est un con. Il croit que de s’embarquer pour Valparaiso, il sortira de l’ordre symbolique. Celui-ci a vite fait de le rattraper sous les espèces du flic ou du douanier. Innombrables exemples. Il n’y a qu’une façon de se tirer aux pattes, c’est la Légion. Mais alors, on tombe de Charybde en Scylla : on est haché menu par un ordre symbolique qui a des dents. Il y a aussi les filières de l’Eglise, qui sauvèrent tant de nazis méritants en 1945.

J’aime beaucoup le livre de Junger, Jeux africains. C’est parce qu’il échoue à entrer dans la Légion qu’il sera le héros d’Orages d’acier, avant de parcourir les routes et chemins. Mon ami Jean-Marie et moi, nous aimons lire avec l’accent boche des morceaux du journal, où les scènes d’horreur sont invariablement suivies de dégagements sur la beauté des libellules. Kistsch.

Junger est-il bon, est-il méchant ? Il a été visité dans son village par Borges et par Moravia, par Mitterrand et par Felipe Gonzalez. Il paraît qu’il est beaucoup plus lisible en français qu’en allemand. Pour ses cent ans, était sorti une pièce où on le voyait se branler sur une statue d’Arno Brecker en lâchant : « Ach! Paris, Saint-Germain-des-Prés… » Lacan l’a croisé pendant la guerre.

Synthèse ? L’homme libre n’est pas hors symbolique. Ce n’est pas un non dupe errant sur les mers. Il a un iPhone et il est sa propre boussole. Il n’est pas dupe de son fantasme, il s’identifie au mathème de son désir. Il se sait réel, et que sa vie est la conséquence nécessaire de ce réel.

Des contreforts ont été élevés pour protéger la plage. Un mur-boutant est à demi écroulé. « C’est une hémorragie de muraille », dit Jean-Daniel, qui est médecin.

PS. Je lis ce blog à Catherine et Jean-Daniel. Catherine : « J’ai vu un épisode d’une série policière intitulée Dolmen. Elle a été tournée en partie à Belle-Île. Les dolmens saignaient du sang des victimes. »

Bangor, le 17 mars 2013

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5h 30. Décidément, ce Bergoglio ne me revient pas. Sollers me dira de faire confiance au Saint Esprit, mais tout de même. Ma jeune collègue Florencia Shanahan, Argentine qui vit en Irlande, m’écrit : « J’ai lu avec beaucoup d’intérêt vos blogposts sur DIVA. Avec le ‘turning point’ qui a amené au changement de titre pour PIPOL [le titre était “Après l’Œdipe” ; il est devenu “Après l’Œdipe, les femmes se conjuguent au futur” ; PIPOL est le nom du second Congrès de l’EuroFédération de Psychanalyse, Bruxelles début juillet], je me permets de vous envoyer des déclarations faites par Bergoglio à l’occasion de la candidature présidentielle de CFK [Cristina Fernández de Kirchner, l’actuelle Présidente de la République Argentine] et sur les femmes en 2007, et qui circulent sur le net these days. Yours, Florencia ». Suit une dépêche de l’agence de presse Télam, du 4 juin 2007.

El arzobispo de Buenos Aires, cardenal Jorge Bergoglio, afirmó que « las mujeres son naturalmente ineptas para ejercer cargos políticos », refiriéndose a la candidatura presidencial de la Senadora Cristina de Kirchner.  « El orden natural y los hechos nos enseñan que el hombre es el ser político por excelencia; las Escrituras nos demuestran que la mujer siempre es el apoyo del hombre pensador y hacedor, pero nada más que eso ».

En sus polémicas declaraciones, el arzobispo de Buenos Aires agregó que « hay que tener memoria; tuvimos una mujer como Presidente de la Nación y todos sabemos qué pasó », refiriéndose a la ex presidente Estela María Martínez de Perón.  Las organizaciones de derechos humanos y movimientos feministas no hicieron esperar su respuesta.

 

On s’extasie parce que ce personnage prend le métro. Eh bien, il en a plusieurs de retard. Déjà en 1913, ses propos seraient apparus déplacés. Si c’est tout ce que l’Eglise a à nous offrir comme progressiste, on est mal. Schopenhauer est drôle, Bergoglio sinistre. Je suis sûr que le cardinal Scola, le candidat de l’establishment, se tiendrait mieux. C’est Scola qu’il nous faut ! Scola, the people’s pope ! Je vais faire campagne pour lui auprès du Saint Esprit. Bergoglio foule aux pieds Mulieris dignitatem. Mais voyez-vous l’ostrogoth ! Ami personnel de Cristina, et grand-père de trois petites-filles qui prétendront à tout et dato signo déchaineront sur le monde leur charme et leur intelligence, je prends un intérêt personnel à chasser le Bergoglio. Bergoglio démission ! Ou Bergoglio dilez, en breton.

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Dans son homélie ex tempore, Bergoglio a cité Léon Bloy. Autant j’aime lire Bloy, autant c’est un cauchemar de penser qu’un pape du XXIe siècle va régler sa conduite sur ce dingo de génie.

Jean-Pierre Klotz, m’écrit de Phnom Penh où il est de passage, qu’il m’approuve de vouloir « asiatiser » Lacan. Quand je pense que le sj de Madras travaille à inculturer l’Evangile dans les sagesses asiatiques ! Il faudrait commencer par inculturer quelque chose du siècle chez nos cardinaux. Tout indique que le retour à Vatican I est accompli. Nouvel objectif : le retour au concile de Trente. SOS Jean XXIII !

J’avais acheté dès sa parution, par Kindle, le nouveau livre d’un essayiste américain de grand talent. Je vérifie qu’il est sorti le 12 février dernier, et que je l’ai bien dans mon Ipad. Après le Wozu Dichter ? de Heidegger, après le Pourquoi des philosophes ? de Revel, qui avait fâché Lacan, et plus encore l’indulgence de Lévi-Strauss à l’endroit de l’iconoclaste, voici le Why priests ? de Gary Wills. Le moment est venu de le lire.

La thèse est simple, elle est exprimée d’emblée : le christianisme est né sans prêtres, le moment est venu de s’en passer. L’auteur rappelle qu’il est catholique, qu’il voulait être jésuite, qu’il doit beaucoup à des prêtres, qu’il a dédié certains de ses livres à des prêtres. Le chapitre 1 explique que le christianisme primitif se passait des prêtres, qu’ils ne sont nulle part mentionnés, que les chrétiens étaient des « followers », comme dans Twitter, Akolouthontes, des disciples, Mathetai, qu’aucun d’eux n’était au-dessus de l’autre.  Les communautés que visitait Paul étaient radicalement égalitaires, et en prise directe avec le Saint Esprit qui les guidait, tout en distribuant à chacun de leurs membres un charisme différent. Tout à fait l’esprit de la fable que je citais aux sénateurs, et c’est le même qui préside à la fondation de Célesteville dans Le roi Babar : Hatchibombotar sera arroseur-balayeur, et Podular sculpteur. Jésus recommandait à ses disciples de ne pas tenter d’être au-dessus des autres : voir Marc 9. 33-37 ; Luc 4. 7-11 ; Marc 23. 5-12 ; et Mathieu 23.9, qui recommande de n’appeler père aucun homme sur terre, car vous n’avez qu’un seul Père, et il est aux cieux ». Comment une classe de Saints Hommes a-t-elle poussée sur ce corps égalitaire ? C’est qu’ils se disaient capables de changer le pain et le vin dans la chair et le sang du Christ. Eucharisty is key (ceci n’est pas une citation).

Tout cela est appuyé sur une érudition qui, pour être élémentaire et de seconde main, n’en est pas moins honnête et solide. Ce laïc prétend aller directement aux textes, et se passe du magistère. Donc, sans le savoir, il est déjà luthérien et luciférien. Je continuerai à lire durant le voyage.  Je suppose que l’ouvrage sera traduit en français, et j’espère qu’il ne le sera pas par une maison qui le coulera.

Marianne du 16 mars. Philippe Petit présente avec faveur la Pharmacologie du Front national, de Bernard Stigler. Consulté « en haut lieu », l’auteur « refait le monde de fond en comble » (456 pages, tout de même), et pense que « l’utopie mérite des résultats ». Petit mobilise autour de lui « cinq intellectuels pour donner leur sentiment sur les méthodes à employer face à la montée de l’extrême droite ».

–       Selon M. Laurent Bouvet, professeur d’université, les Français n’attendent pas de M . Hollande des miracles, mais « une parole solennelle », qui leur dise « où on va ». Or, il est flou, tandis que Mme Le Pen est claire. De plus, « une grande partie de la gauche est totalement schizophrène. »

–       Marc Crépon dirige le département de philo de l’ENS. Il loue M. Stiegler de tenter de comprendre les électeurs frontistes sans les juger. Il est membre de son association, qui interroge les limites du consumérisme. Il pense ceci : « il faut s’en prendre point par point à cette idéologie » et combattre les fantasmes dont elle se nourrit comme ceux qu’elle propage.

–       Christophe Guilly, géographe : « La question du FN n’est pas centrale. Le FN est un indicateur (partiel). Le « disque dur », c’est l’intégration économique donc sociale donc culturelle de ces nouvelles classes populaires. Sans cette intégration, le FN restera le porte-parole le plus efficace des classes populaires. » On ne saurait mieux dire. Ce garçon me plaît. Je vais lire son livre des Fractures françaises.

–       Déploration néo-heideggérienne d’Alain Finkielkraut : le discours des experts est coupé de l’expérience vécue ; « la droite, la gauche, partagent un même fétichisme de la technique ». Il s’inquiète de l’extension des droits (mariage, cannabis), voudrait que l’on remette à l’honneur « le principe de responsabilité ».

–       Pour M. Alain Badiou, en temps de crise « l’idée politique » se substitue aux miettes que distribue le pouvoir aux ouvriers et employés pour les corrompre. Les recommandations du sage : aller à la racine des choses ; créer dans le peuple la conviction qu’il faut mettre en cause le système ; développer une vision sociale internationaliste ; prôner une économie dégagée une fois pour toutes du primat de la propriété privée. Âgé de 76 ans, M. Badiou est sur les rangs pour devenir le nouveau Stéphane Hessel.

Le supplément Styles de L’Express parle, page 95, d’une Garance Broca, 35 ans, qui vient de créer sa marque. Mais c’est certainement la petite Garance, si mignonne à 3 et 4 ans ! Je la voyais avenue Rapp chez Roland Broca, mon collègue, qui fut si proche de moi pendant la dissolution de l’Ecole freudienne. Et sa marque est, comme il se doit, monsieurlacenaire.com.

8h 30 : départ pour Paris.

15h 30 : arrivée. La C5 est si stable, Jean-Daniel est un conducteur si régulier, nous avons été si sobres, que nous voici rendus. J’ai pu lire durant presque tout le trajet. Et qu’ai-je lu et découvert ? Qu’il y avait en France une revue de première bourre, et qui me convient et qui me charme, et je ne la connaissais pas. Et elle est mensuelle ! Que de plaisirs en perspective ! Personne ne la lit autour de moi, personne ne m’en a jamais parlé. C’est… la Revue des deux mondes ! Fondée en 1929, avant que Le Rouge et le Noir ne voit le jour. Sous Charles X. Et qui porte sur sa couverture le nom du businessman éclairé dont elle est la danseuse, Marc Ladreit de Lacharrière. Et elle danse merveilleusement. Rita Hayworth dans Salomé. J’ai acheté le numéro à Palais parce que je voyais dans le dossier sur le puritanisme le nom de mon ami Jacques Sédat, si peu puritain, et qui avait jusqu’ici ses habitudes à Esprit. Et voilà que je découvre des âmes-sœurs ! J’ai lu tout le dossier puritains/libertins le crayon à la main. Comment avoir le temps de dire tout ce qui s’agite en moi ?

J’avais lu et aimé Crépu sur Bossuet et sur Chateaubriand, je découvre un as des sommaires comme on n’en fait plus. Annonçant le dossier du mois prochain, il dit  : « excitant ». Voilà un mot qu’on ne lit pas ailleurs dans les revues, où on tend à se la jouer constipé. Je mets à part La Règle du jeu, où pourtant Maria devrait se laisser aller davantage à son sens du « merveilleux ! ».

J’ai aussi pu lire près de la moitié du livre de Dantzig sur les chefs d’œuvre. Dantzig est du comité des deux mondes. Il y aura, comme on dit, un avant et un après ce livre. On dira désormais : « un chef d’œuvre au sens de Dantzig ». Le concept me plaît beaucoup. Il est utile. Il est ouvert, généreux. A l’opposé des listes corsetées à la Gide, à la Harold Bloom. Il est du registre que lacan appelle le pas-tout. Au sens de Dantzig, pas de doute : son livre est un chef d’œuvre.