Victoire à Tunis

par Jacques-Alain Miller

Raja Ben Slama
Raja Ben Slama

Le mandat d’amener qui frappait la psychanalyste tunisienne Raja Ben Slama vient d’être retiré par les autorités tunisiennes.

De : Lilia Mahjoub
Date : 28 février 2013 12:21:26
À : Jacques-Alain Miller

Cher Jacques-Alain,
Je reçois à l’instant le SMS suivant de mon fils :
« Retrait du mandat d’amener contre Raja Ben Slama
Mission accomplie
Bises
R. »
C’est super !
Je l’appelle pour en savoir plus.
Bises.
Lilia

Réponse d’Alain Badiou à Jacques-Alain Miller

par Alain Badiou

Cher Jacques-Alain,

Alain Badiou et Jacques-Alain Miller
Alain Badiou et Jacques-Alain Miller

Merci de m’avoir fait parvenir ta lettre à Peter Hallward et ta “confession d’un renégat”.

“Renégat” n’est pas une insulte, c’est une description. Il est évident pour n’importe qui que celui qui vivait et pensait comme toi entre 1969 et 1972, et qui aujourd’hui fricote avec la clique de Sarkozy, poussant les choses jusqu’à engager une école lacanienne dans un dégoûtant et paradoxal soutien à l’expédition en Libye et à son chantre BHL est un renégat du gauchisme, pour ne rien dire du maoïsme.

Pourquoi du reste t’offenser de cette description ? Tu me sembles plutôt devoir assumer et défendre ta renégation comme étant celle du Mal au profit du Bien. Tu peux en somme l’appeler une Conversion morale.

Disons cela : ce qui est pour toi une Conversion est pour moi une Renégation. Ton point-ce-vue est du reste celui d’une majorité de tes contemporains, du moins en ce qui concerne les intellectuels. L’archi-minoritaire, et celui qui fut et est insulté — pour avoir refusé d’être un renégat —, c’est moi, et non toi. Je fais avec depuis bien longtemps.
Tu te doutes que la lecture des confessions d’un renégat n’est pas pour moi une lecture prioritaire. Je lirai cependant ton factum un de ces jours, sans doute même avec intérêt.

Quant au duel, n’y songe pas ! Bien évidemment, je ne me bats pas en duel avec un renégat.

Bien à toi,

Alain

Sur un ton supérieur nouvellement pris en philosophie

par Emmanuel Kant

Emmanuel Kant
Emmanuel Kant

Que des personnages supérieurs aient des activités philosophiques, quand bien même cela conduirait jusqu’aux sommets de la métaphysique, cela doit être compté à leur plus grand honneur, et ils méritent de l’indulgence s’ils commettent une faute (difficilement évitable) contre l’École, parce qu’ils se sont en tout cas abaissés jusqu’à elle en se plaçant sur un pied d’égalité civile. Mais que des gens qui veulent être philosophes fassent les supérieurs, on ne peut en aucune manière le leur permettre, parce qu’ils s’élèvent au-dessus de leurs pairs, et violent leur droit inaliénable à la liberté et à l’égalité dans des questions qui relèvent de la simple raison.

Le principe de vouloir philosopher sous l’influence d’un sentiment supérieur, est de tous celui qui est le mieux fait pour le ton distingué ; car qui veut contester mon sentiment ? Si donc je peux de plus rendre crédible que ce sentiment n’est pas seulement subjectif en moi, mais que par tout homme il peut y être prétendu, donc aussi de façon objective et comme à un élément de connaissance, et ainsi qu’il n’est pas seulement, comme concept, le produit d’une ratiocination, mais qu’il a la valeur d’une intuition (d’une saisie de l’objet lui-même), alors je possède un grand avantage sur tous ceux qui doivent d’abord se justifier pour pouvoir se vanter de la vérité de leurs affirmations. Je peux par conséquent parler sur le ton d’un seigneur qui est dispensé de la peine de montrer son titre de propriété (beati possidentes). Vive donc la philosophie par sentiment, qui nous conduit droit aux choses elles-mêmes ! À bas la ratiocination par concepts, qui ne fait cette tentative que par le détour des caractéristiques générales, et qui, avant même qu’elle ait une matière qu’elle puisse saisir de façon immédiate, réclame des formes déterminées auxquelles elle puisse soumettre cette matière ! Et, en admettant même que la raison ne puisse s’expliquer plus avant sur la légitimité de ce qu’elle obtient par ces vues élevées qui lui appartiennent, il y a pourtant un fait qui demeure : « La philosophie a ses mystères qui sont accessibles au sentiment ! »

Traduction d’Alain Renault
Extrait du tome III
des Œuvres philosophiques de Kant,
publiées dans la Bibliothèque de la Pléiade
sous la direction de Ferdinand Alquié,
ami de Jacques Lacan
p. 401-403

Le chevalier de Rohan-Chabot refuse de se battre en duel avec Voltaire

par Jacques-Alain Miller

voltaire_rohan-chabot
Voltaire et Rohan-Chabot

Celui-ci, bastonné et embastillé, part pour l’Angleterre,
d’où il reviendra avec les Lettres anglaises
(d’après l’article de Wikipédia intitulé : « Altercation Voltaire-Rohan »)

Cet article traite de l’altercation qui opposa Guy-Auguste de Rohan, comte de Chabot, dit le chevalier de Rohan et l’écrivain et philosophe François Marie Arouet, dit Voltaire, au mois de janvier 1726.

L’altercation

D’après Gilles Perrault, cette lutte inégale entre Voltaire et Rohan naquit un soir à la Comédie-Française, dans la loge d’Adrienne Lecouvreur.
Le chevalier, jaloux du succès de Voltaire auprès de la comédienne, lui aurait dit devant celle-ci, pour faire valoir sa haute noblesse face au roturier : « Arouet ? Voltaire ? Enfin, avez-vous un nom ? » La réplique fuse : « Voltaire ! Je commence mon nom et vous finissez le vôtre. » (D’autres rapportent encore : « Mon nom, je le commence, et vous finissez le vôtre ! »).
Valérie van Crugten-André, historienne à l’université libre de Bruxelles, donne d’autres détails sur cette affaire.
L’altercation commence à l’Opéra (fin janvier 1726) : « Mons de Voltaire, Mons Arouet, comment vous appelez-vous ? – Et vous, vous appelez-vous Rohan ou Chabot ? » C’est deux jours après, à la Comédie-Française en présence d’Adrienne Lecouvreur, que Voltaire répond à une nouvelle charge du Chevalier qu’il commençait son nom et que Chabot finissait le sien. Rohan lève sa canne, mais se ravise…
Toutefois, on trouve une version différente. L’altercation aurait eu lieu à la suite d’une discussion mouvementée, lors d’un dîner chez le duc de Sully : « Quel est, dit le chevalier, ce jeune homme qui me parle si haut ? – C’est, répondit Voltaire, un homme qui ne traîne pas un grand nom, mais qui sait honorer celui qu’il porte. »

Dans les deux versions, Voltaire est bastonné lors d’un (autre) repas chez Sully, un domestique le fait descendre dans la rue où deux voitures l’y attendent. Chez Gilles Perrault, de l’une jaillit une volée de tape-dur armés de bâtons, et tapi dans l’autre, Rohan s’écrie : « Ne frappez pas sur la tête, il peut encore en sortir quelque chose de bon. »
Dans l’autre version, on le prie de venir s’asseoir un instant dans une voiture, il est saisit par le devant de ses habits, et un autre homme le frappe par derrière de cinq ou six coups de baguette. Le chevalier de Rohan, posté à quelques pas de là dans sa voiture, s’écrie : « C’est assez. »
Le 16 avril 1726, le rapport de police suivant est adressé au ministre :
« Il vient d’être informé par voie sûre que le sieur Voltaire médite d’insulter incessamment et avec éclat M. le chevalier de Rohan […] il [Voltaire] est actuellement chez un nommé Leymaud, maître en fait d’armes, rue Saint-Martin, où il vit en très mauvaise compagnie […] »

Voltaire veut se battre avec Guy-Auguste de Rohan-Chabot, ce qui lui vaudra son embastillement.

Emprisonnement et exil

Cependant, Voltaire sera tout de même ménagé par la lettre suivante écrite pour le gouverneur de la Bastille :
« Le sieur Voltaire est d’un génie à avoir besoin de ménagements. Son Altesse Royale a trouvé bon que j’écrivisse que l’intention du Roi est que vous lui procuriez toutes les douceurs et la liberté de la Bastille qui ne seront point contraires à la sécurité de sa détention. »
Les versions divergent également sur la durée de détention, Voltaire serait resté à la Bastille entre quinze jours et six mois.
Voltaire obtient son départ pour l’Angleterre pour quitter la Bastille :

« Je remonte très humblement que j’ai été assassiné par le brave chevalier de Rohan assisté de six coupe-jarrets derrière lesquels il était hardiment posté. J’ai toujours cherché depuis ce temps-là à réparer, non mon honneur, mais le sien, ce qui est trop difficile… Je demande avec encore plus d’insistance la permission d’aller incessamment en Angleterre ; si on doute de mon départ, on peut m’envoyer avec un exempt jusqu’à Calais. »

René Pomeau précise que Voltaire est embastillé le 17 avril 1726 et est en partance pour Calais le 5 mai de la même année.

La pratique américaine du posting

SMith Tharp Dueling notice, 1817 -- Crack of the Pistol: Dueling

A 16: 08

However, any man who refused to duel could be “posted,” in an attempt to goad him into accepting a challenge. The dueling tradition of posting was unique to the United States. A statement or accusation of cowardice would be hung in public places or be published as a handbill or appear in a newspaper.  Tame language by today’s standards, such slurs as rascal, scoundrel, liar, coward, and puppy were considered extremely disrespectful and were sure to prompt a duel.
Tharp posting :  In accordance with the Code Duello, the gentleman William Smith refused to duel with William Tharp, a working man. Tharp retaliated by « posting » Smith.

http://www.sos.mo.gov/archives/education/dueling/origins.asp

For every man who gloried in the duel, there were many others who feared it. A word or two passed in private company on a Friday night could well mean a challenge on Saturday morning and death on Sunday. Avoiding a challenge wasn’t easy. Particularly in the South, where men who refused to duel would be « posted. » A statement accusing them of cowardice would be hung in public areas or published in a newspaper or pamphlet.

http://www.pbs.org/wgbh/amex/duel/sfeature/dueling.html

In 1777, a group of Irishmen codified dueling practices in a document called the Code Duello. The Code contained 26 specific rules outlining all aspects of the duel, from the time of day during which challenges could be received to the number of shots or wounds required for satisfaction of honor. An Americanized version of the Code, written by South Carolina Governor John Lyde Wilson, appeared in 1838. Prior to that, Americans made do with European rules.

Traduction:

Tout homme qui refusait de se battre en duel pouvait être « posted », afin d’être poussé à accepter le défi. La tradition duelliste du « posting » était exclusive aux États-Unis. Une déclaration ou une accusation de lâcheté pouvait être affichée dans les lieux publics ou être publiée sous forme de tract ou encore paraître dans un journal. Des termes qui paraissent désuets aujourd’hui, tels que les insultes coquin, scélérat, fripon, menteur, lâche, et gamin étaient considérés comme extrêmement irrespectueux et étaient l’assurance d’être provoqué en duel.

Le posting de Tharp : Conformément au code Duello, monsieur William Smith a refusé de se battre en duel avec William Tharp, un travailleur. Tharp a riposté par le « posting » de Smith.

http://www.sos.mo.gov/archives/education/dueling/origins.asp

Pour chaque homme qui se réjouissait d’un duel, nombreux étaient ceux qui les craignaient. Un mot ou deux échangés en petit comité un vendredi soir pouvaient très bien signifier être défié en duel le samedi matin et être mort le dimanche. Eviter un duel n’était pas aisé. En particulier dans le sud, où les hommes qui refusaient le duel étaient « posted ». Une annonce les accusant de lâcheté était accrochée dans les lieux publics ou publiée dans un journal ou un tract.

http://www.pbs.org/wgbh/amex/duel/sfeature/dueling.html

En 1777, un groupe d’Irlandais codifia les pratiques du duel dans un document intitulé le Code Duello. Le Code contenait 26 règles spécifiques, rendant compte de tous les aspects du duel, allant de l’heure du jour à laquelle on pouvait défier en duel au nombre de tirs ou de blessures nécessaires à laver son honneur. Une version américanisée du Code, écrite par le Gouverneur de Caroline du Sud John Lyde Wilson, apparut en 1838. Avant cela, les Américains suivaient les règles européennes.

A 16h 57 – Droit de réponse : La calomnie sous la plume

par Claude Badiou

Je suis la fille d’Alain Badiou.

Si tant est que le droit de réponse en soit un ici, je me permets ce court mot, chose que je ne fais normalement jamais, ne me mêlant pas des choses publiques de mon père, bien assez « grand » pour cela.

Mais JAM, votre texte est tout simplement infamant – et le procédé de l’écriture auto-flagellatoire si facile -, les photos qui l’accompagnent encore plus.

L’on ne sait par quoi il est dicté, mais certainement pas par l’intelligence qui est la vôtre. Allons donc !

Quant au « message de réconfort » de votre ami Marco Mauas… Comment pouvez-vous attraper la queue de cet ignoble troupeau confondant antisémitisme barbare et condamnation d’un gouvernement utilisant sans vergogne la souffrance ignoble qu’a subi son peuple pour justifier celle qu’il fait aujourd’hui subir à un autre ?

Cette lâcheté vous entache. Vraiment.

Choix de mails reçus par JAM

On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif
On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif

10 : 46 Lilia MAHJOUB
Il persiste dans son manichéisme. Le Bien, le Mal. Le fidèle, le renégat. Lui, vous. Et bien sûr, il n’est pas un lâche en refusant le duel. En plus, c’est un donneur de leçons. Avec quel dédain ! Un personnage méprisable.
Avec vous,
Lilia

11:39 Patricia BOSQUIN-CAROZ
Cher JAM,
Cri du cœur !
Quand j’étais à l’université fin des années 70 et début 80, j’ai assisté  à la dite conversion d’un certain nombre d’intellectuels. Ceux-ci parlaient aux plus jeunes (dont j’étais) des « nouveaux philosophes », qu’une faculté de l’UCL, jugée « libertaire », commençait à étudier. BHL, bien entendu, faisait partie de ces auteurs maudits par les tenants d’une ligne gauchiste pure et dure. On en est toujours-là avec cette même chansonnette idéologique d’une gauche si peu inventive qui ne trouve son ressort qu’en maudissant ses « reconvertis ». Pourtant l’ère du bon vieux rideau séparant le rouge et le noir est bien révolu et celle du nécessaire pragmatisme advenu, soit celle de la conversion du symptôme en sinthome ! Grâce au saint homme !
Bien à vous,
Patricia

12 : 47 Philippe HELLEBOIS
Cher Jacques-Alain Miller,
Vous avez conclu l’une de vos précédentes campagnes en déclarant l’avoir menée main dans la main de la belle Hauteclaire, l’inoubliable héroïne du « Bonheur dans le crime » de Barbey d’Aureyvilly (voir la postface à Sollers Lacan même, Paris, Navarin éditeur, 2005).
Vous savez que cette fille du maître d’armes appelé La pointe au corps porte le nom d’une épée célèbre, celle du preux Olivier dont le combat contre Roland dura cinq jours dans La Légende des siècles.
L’amusant est, non seulement le titre du chapitre de Hugo « Le mariage de Roland » pour annoncer une histoire de duel, mais aussi et surtout sa chute. Après cinq jours d’un combat aussi féroce que chevaleresque, sans aucun coup bas, Olivier s’arrête et dit :
« Roland, nous n’en finirons point.
Tant qu’il nous restera quelque tronçon au poing, [ils en sont venus à se battre à coups de tronc d’arbre]
Nous lutterons ainsi que lions et panthères.
Ne vaudrait-il pas mieux que nous devinssions frères ?
Écoute, j’ai ma sœur, la belle Aude au bras blanc,
Épouse-là.
– Pardieu ! je veux bien
, dit Roland.
Et maintenant buvons, car l’affaire était chaude. »
C’est ainsi que Roland épousa la belle Aude.
»
Barbey a beau être présenté comme l’anti-Hugo par Sollers, il s’en inspire d’autant plus que sa nouvelle des Diaboliques en constitue une manière de prolongement au point même que son titre secret est « Le bonheur dans l’escrime », les amours d’Hauteclaire et de Serlon, lions et panthères, étant faites pour réconcilier l’humanité la plus solitaire avec l’idée du mariage.
Battez-vous, l’amour vous tend les bras !
Bien à vous,
Philippe Hellebois

12 : 55 Rose-Paule VINCIGUERRA
Cher Jacques-Alain,
Badiou, l’Un tout seul. Il s’y croit.
Mais c’est « utopie et violence » comme dit Popper.
Bien à vous,
RP

14 : 47 Laura SOKOLOWSKY
Cher Jacques-Alain Miller,
A propos du côté soi-disant descriptif de la renégation chez Badiou, ce passage dans son ouvrage avec B. Cassin (livre que je n’ai pas aimé):
Heidegger, le nazisme, les femmes et la philosophie, Fayard 2010, p. 49.50 :
[référence à la correspondance Arendt- Heidegger où ce dernier n’évoque jamais le sort fait aux juifs]
 » A supposer en outre qu’Heidegger, dans cette correspondance ou ailleurs, ait désiré rompre ce silence et entrer dans le face-à-face avec le crime qu’après avoir été jugé pour appartenance au parti nazi, il estimait pouvoir éviter, quels mots, quels attendus aurait-il pu ou dû produire pour apaiser la vindicte de ses actuels procureurs ? Le style général de sa pensée, qui inclut une bonne dose de rhétorique prophétique, pouvait-il intégrer, sans se désintégrer, la confession publique, ou disons le mot, la renégation dont, en France, tant de partisans violents du communisme crurent bon de faire exhibition publique vers la fin des années soixante-dix, relançant en se frappant la poitrine, ou en frappant sur la poitrine des autres, la mode de la morale et de la religion ? Ce qui entre parenthèses nous a appris qu’outre les « deux sources », repérées par Bergson, la morale et la religion en ont une troisième : le retournement de veste des « révolutionnaires » quand ils s’aperçoivent que, en absence de révolution, être un révolutionnaire ne vous rapporte que des ennuis« .
Bien à vous,
Laura Sokolowsky

15 : 03 Catherine LACAZE-PAULE
Cher Jacques-Alain Miller,
Je ne sais quoi dire de la réponse de Badiou !
Tout est-il dans la première phrase : « Renégat » n’est pas une insulte, c’est une description » ?
Je n’y comprends sans doute pas grand-chose dans tout ce qui se passe, mais ! le philosophe, celui-là, ne distingue pas l’insulte de la description. Bon sang de Badieu, tout est-il là-dedans !?
Effacement de tout ce qui fait le psychanalyste, votre nom, vos écrits, votre dire, est-ce cela qui continue ?
Catherine LP

17 : 57 Jacques-Alain MILLER
Chers collègues,
Laissons-le en paix. Le proverbe dit : On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. En catalan : Ja pots xiular si l’ase no vol beure.
Oublier Bad… Bad… Badin… Badieu… Badinguet… Baderne… Badigeon… comment s’appelait-il déjà ?

Et finir par des citations. J’ai obtenu les deux premières du Free Dictionary sur le Web.

Twist (slowly) in the wind
Fig. to suffer the agony of some humiliation or punishment. (Alludes to an execution by hanging.) I’ll seeyou twist in the wind for trying to frustrate this investigation. The prosecutor was determined that Richard would twist slowly in the wind for the crime.
See also: twist, wind
McGraw-Hill Dictionary of American Idioms and Phrasal Verbs. © 2002 by The McGraw-Hill Companies, Inc. »

(leave somebody to) twist in the wind
1. to keep someone waiting for a decision or answer leave somebody hanging Carolyn was left twisting in the wind for about a week, and so were several other people who interviewed for the job.
2. to be forced to exist without support or help Some workers were fired and left to twist in the wind after many years on the job. People know she’s ambitious and are afraid she might leave the company twisting in the wind if a better job came along.
See also: twist, wind
Cambridge Dictionary of American Idioms Copyright © Cambridge University Press 2003. Reproduced with permission.

La troisième citation est de Lacan, dans « Kant avec Sade ».
«… le désir peut dans la maxime : Et non propter vitam vivendi perdere causas, passer chez un être moral, et justement de ce qu’il soit moral, passer au rang d’impératif catégorique, pour peu qu’il soit au pied du mur. Ce qui est justement où on le pousse ici [dans l’exemple kantien du gibet]. Le désir, ce qui s’appelle le désir, suffit à faire que la vie n’ait pas de sens à faire un lâche. » — Ecrits, p. 782
Il y a un roman de Patricia Highhsmith qui s’intitule Slowly, Slowly in the Wind. Il existe comme Google Book. Il est ainsi présenté : « gathers stories that explore the hypocrisies of the Catholic Church, the writing life, Poe-like horror fantasies, and more. This collection is a perfect example of Highsmith’s view of human nature and a fitting capstone to the reintroduction of one of the twentieth century’s greatest writers. »

Il reste encore à mettre en ligne une pièce en un acte que ma secrétaire a tapée depuis ce matin.
A vous,
JAM

18 : 19 François REGNAULT
DECLARATION
Ancien membre des Cahiers pour l’Analyse, ayant, seul, fait le voyage à Londres (Middlesex University) pour témoigner de son passé (celui des Cahiers) assez considérable aux yeux des Anglais qui m’invitaient, j’ai commencé par indiquer que, comme le Petit Porgy du « Papillon qui tapait du pied », dans les Just so stories de Kipling, j’avais, non pas trente-mille frères au fond de la mer plus gros que moi, mais trois ou quatre amis à mes yeux plus considérables que moi-même.

Aussi ai-je pu témoigné, en mon âme et conscience (deux mots que j’utilise, on le devine, cum grano salis), que, par exemple, et contrairement à d’infâmes allégations, que je n’avais pas d’ami antisémite. Ce que je maintiens. En la même âme et en la même conscience, je témoigne aujourd’hui que je n’ai aucun ami renégat. Non plus que je le sois moi-même en rien. C’est ainsi.

Je préfère regretter du fond du cœur (et le cœur, sine grano salis), que l’un d’entre eux maintienne cette insulte, envers l’un quelconque des autres, comme envers moi-même.

Je nous souhaite à tous tout de même un peu de paix.
François Regnault

28 février, 18 heures, (encore pour une ou deux heures sous le Pontificat de Benoît XVI).

La peur des coups

par Georges Courteline

 

Georges Courteline, romancier et dramaturge français, né le 25 juin 1858 à Tours, mort le 25 juin 1929 à Paris. Il a écrit "La peur des coups" en 1895.
Georges Courteline, romancier et dramaturge français, né le 25 juin 1858 à Tours, mort le 25 juin 1929 à Paris. Il a écrit « La peur des coups » en 1895.

Une chambre à coucher sans grand luxe. Un lit de milieu, gui s’avance face au public. Prés du lit, un petit chiffonnier. A gauche, une cheminée surmontée d’une glace et supportant une lampe qui brûle à ras de bec. Au milieu, un guéridon, avec buvard et écritoire. Chaises et fauteuils. — Il est sept heures du matin, l’aube naissante blêmit mélancoliquement dans les ajours des persiennes closes.

Entrent, par la droite, l’un suivant l’autre :

Elle, enveloppée jusqu’aux chevilles d’une sicilienne lilas doublée en chèvre du Tibet. Nouée avec soin sous son menton, une capuche de Malines emprisonne son jeune visage, confisquant son front et ses cheveux ;

Lui, enfermé dans sa pelisse comme un burgrave dans son serment. Un chapeau à bords plats le coiffe. Il tient une allumette bougie dont le courant d’air de la porte écrase la flamme, puis l’éteint.

Lui. — Flûte !

ELLE. — Ne te gêne pas pour moi. Ça me contrarierait.

Lui, qui depuis une demi-heure attendait le moment d’éclater. — Toi, tu vas nous fiche la paix.

Un temps.

ELLE. — Qu’est-ce qu’il y a encore ?

Lui. — Tu m’embêtes.

ELLE. — On t’a vendu des pois qui ne voulaient pas cuire ?

Lui. — C’est bien. En voilà assez. Je te prie de me fiche la paix.

ELLE, à part. — Retour de bal. La petite scène obligée de chaque fois. Ah ! Dieu !…

Lui, enflamme une allumette, va à la lampe dont il soulève le verre. Puis :

Lui, à mi-voix. — Ce n’est pas la peine. Il fait jour.

ELLE, qui enlève sa mantille et sa pelisse et qui s’étonne de le voir rouler une cigarette. — Eh bien, tu ne te couches pas ?

Lui. — Non.

ELLE. — Pourquoi ?

Lui. — Si on te le demande, tu diras que tu n’en sais rien.

ELLE. — Comme tu voudras. (A part.) Prends garde que je commence. Prends bien garde. Lui va et vient par la pièce, les mains aux reins, ruminant de sombres pensées. Des grondements rôdent dans le silence. Rencontre avec une chaise. Il l’empoigne, vient la planter à l’avant-scène, et l’enfourche, toujours sans un mot. Enfin : Lui, qui se décide à mettre le feu aux poudres. — Eh bien, tu es satisfaite.

ELLE. — A propos de quoi ?

Lui. — Dame, tu serais difficile… Tu t’es assez…

ELLE. — N’use pas ta salive, je sais ce que tu vas me dire. (Très simple.) Je me suis fait peloter.

Lui. — Oui, tu t’es fait peloter !

ELLE, assise près du lit et commençant à se dévêtir. — Là ! — Oh ! Je connais l’ordre et la marche. Dans un instant je me serai conduite comme une fille, dans deux minutes tu m’appelleras sale bête; dans cinq tu casseras quelque chose. C’est réglé comme un protocole. — Et pendant que j’y pense… (Elle va à la cheminée, y prend un,- poterie ébréchée qu’elle dépose sur un guéridon, à portée du bras de Monsieur)… je te recommande ce petit vase. Tu l’as entamé il y a six semaines en revenant de la soirée de l’Instruction Publique, mais il est encore bon pour faire des castagnettes. Monsieur, furieux, envoie l’objet à la volée à l’autre extrémité de la pièce.

ELLE — Tu commences par la fin ? Tant mieux ! Ça modifiera un peu la monotonie du programme.

LUI, se levant comme mû par un ressort. — Ah ! Assez ! Ne m’exaspère pas ! (Un temps.) T’es-tu assez compromise !…

ELLE, à part. — Sale bête, vous allez voir.

LUI, les dents serrées. — Sale bête !

ELLE, A part. — Ça y est.

LUI, Tu t’es conduite…

ELLE : Comme une fille.

LUI : Parfaitement. Ose un peu dire que ce n’est pas vrai ? Ose-le donc un peu, pour voir?… Il n’y a pas de danger, parbleu ! Tu t’es couverte d’opprobre.

ELLE : Oui.

Lui. — Tu as traîné dans le ridicule le nom honorable que je porte !

ELLE. — Navrante histoire ! A ta place, j’en ferais une complainte.

Lui. — Tu t’es compromise de la façon la plus révoltante !

ELLE. — Oui, je te dis !(Elle va se poster devant la cheminée, et là, d’une main qui prend des précautions, elle cueille une large rose épanouie, la met en la nuit de ses cheveux.)

Lui. — Et avec un soldat, encore. Car à cette heure tu donnes dans le pantalon rouge. Ah ! C’est du joli ! C’est du propre ! A quand le tour de la livrée ?

ELLE, debout devant la cheminée, en jupon et en corset. — Toi, tu as une certaine chance que je t’aie épousé.

Lui. — Pourquoi ?

ELLE. — Parce que si c’était à refaire…

Lui. — Penses-tu que je n’en aie pas autant à ton service ? Je te conseille de parler ! Une femme dans ta position… (Long regard ironique de Madame.) Oh ! Ne joue donc pas sur les mots. — … se galvauder avec un pousse-cailloux !…

ELLE. — D’abord, c’est un officier…

Lui. — C’est un drôle, voilà ce que c’est !… Et un polisson !… Et un sot !… Et un goujat de la pire espèce !… Son attitude à ton égard a été de la dernière inconvenance. Il t’a fait une cour scandaleuse !

ELLE, l’ongle aux dents. — Pas ça !

Lui. — Tu mens !

ELLE. — Charmante éducation.

Lui. — Tu mens !

ELLE, agacée. — Et quand je mentirais ? Quand il me l’aurait faite la cour, ce brin de cour autorisé d’homme du monde à honnête femme ? Le grand malheur ! La belle affaire !

Lui. — Pardon…

ELLE. — D’ailleurs, quoi ? Je te l’ai présenté. Il fallait te plaindre à lui-même, au lieu de te lancer comme tu l’as fait dans un déploiement ridicule de courbettes et de salamalecs. Et « Mon capitaine » par-ci, et « Mon capitaine » par là, et « Enchanté, mon capitaine, de faire votre connaissance ». Ma parole, c’était écœurant de te voir ainsi faire des grâces et arrondir la bouche en derrière de poule, avec une figure d’assassin. Tu étais vert comme un sous-bois. Elle passe et revient vers le lit.

Lui. — Je…

ELLE. — Seulement voilà… ce n’est pas la bravoure qui t’étouffe…

Lui. — Je…

ELLE. — Alors tu n’as pas osé…

Lui. — Je…

ELLE. — Comme le soir où nous étions sur l’Esplanade des Invalides à voir tirer le feu d’artifice, et où tu affectais de compter les fusées et de crier : « Sept !… Huit !… Neuf !… Dix !… Onze ! » Pendant que je te disais tout bas : « Il y a derrière moi un homme qui essaie de passer sa main par la fente de mon jupon. Fais-le donc finir. Il m’ennuie. »

Lui, jouant dans la perfection la comédie de l’homme qui ne comprend pas. — Je ne sais pas ce que tu me chantes avec ton histoire d’esplanade; mais pour en revenir à ce monsieur, si je ne lui ai pas dit ma façon de penser, c’est que j’ai cédé à des considérations d’un ordre spécial : l’horreur des scandales publics, le sentiment de ma dignité…

ELLE. — … la peur bien naturelle des coups, et cætera, et cætera.

Lui, brûlé comme au fer rouge. — Tu es plus bête qu’un troupeau d’oies ! (Rires de Madame.) Ah ! et puis ne ris pas comme ça. Je sens que je ferais un malheur !… La peur des coups ! La peur des coups !

ELLE. — Bien sûr oui, la peur des coups. Tu n’as pas de sang dans les veines.

Lui. — C’est de moi que tu parles ?

ELLE. — Non. Du frotteur.

Lui. — Par exemple; celle-là est raide ! Moi, moi, je n’ai pas de sang dans les veines ? En six mois de temps, j’ai flanqué onze bonnes à la porte, et je n’ai pas de sang dans les veines ? … D’ailleurs c’est bien simple. Où est l’encre ? (Il s’installe devant le guéridon, attire à soi un petit buvard de dame et en tire un cahier de papier.) Je ne voulais pas donner de suite à cette affaire…

ELLE. — Ça, je m’en doute.

Lui. — … me réservant de dire son fait à ce monsieur le jour où je le rencontrerais. Mais puisque tu le prends comme ça, c’est une autre paire de manches, je vais vous faire voir à tous les deux, à cet imbécile et à toi, si j’ai du sang dans les veines oui ou non et si je suis un monsieur qui a peur des coups. (Il écrit.) « Monsieur, votre attitude à l’égard de ma femme a été celle « du dernier des goujats et du dernier des paltoquets. »

ELLE. — Ne fais donc pas l’intéressant. Tu sais très bien que tu n’as pas son adresse.

Lui, qui continue à écrire. — J’ai son nom et le numéro de son régiment. C’est suffisant et au-delà. (Il paraphe sa lettre d’une arabesque imposante.) Pas de sang ! Pas de sang !… Ah ! Ah ! C’est du sang, qu’il te faut ? Eh bien, ma fille, tu en auras, et plus que tu ne le penses peut-être. Voilà un petit mot de billet dont je ne suis pas mécontent et qui n’est pas, j’ose le prétendre, dans un étui à lunettes. (Il ricane.) Qu’est-ce que tu attends ?

ELLE, qui est demeurée silencieuse, la main tendue. — La lettre, pour la faire mettre à la poste. Il est huit heures, la bonne est levée.

Lui, après avoir clos l’enveloppe. — Voici. (Il lui tend la lettre, mais, à l’instant où elle va la prendre, il la retire d’un brusque recul de la main et l’enfouit en la poche de son habit.) Et puis, au fait, non. Je la mettrai moi-même à la boîte. Je serai plus sûr qu’elle arrivera.

ELLE. — A Pâques.

Lui, étonné. — A Pâques ?…

ELLE. — Ou à la Trinité. Le jour où M. Malbrough rentrera dans le château de ses pères.

Lui. — De l’esprit ? Le temps va changer. (Geste de Madame.) Il suffit. Tes insinuations en demi-teintes font ce qu’elles peuvent pour être blessantes, heureusement la sottise n’a pas de crocs. Ta perfidie me fait lever le cœur et ta niaiserie me fait lever les épaules; voilà tout le fruit de tes peines. Là-dessus, tu vas me faire le plaisir de te taire, ou alors ça va se gâter. Je veux bien me borner, en principe, à remettre un goujat à sa place par une lettre plus qu’explicite, mais c’est à la condition, à la condition expresse, que la question sera tranchée et que je n’entendrai plus parler de lui. (Indigné, les bras jetés sur la poitrine.) Comment ! Voilà un galapiat, un traîneur de rapière en chambre, qui non seulement manquerait de respect à ma femme, mais viendrait par-dessus le marché mettre la zizanie chez moi ? Troubler la paix de mon ménage ? Oh ! Mais non ! Oh ! Mais n’en crois rien ! Donc, tu peux te le tenir pour dit : la moindre allusion à ce monsieur, la moindre ! C’est clair, n’est-ce pas ? et ce n’est plus une lettre qu’il recevrait de moi.

ELLE. — Qu’est-ce qu’il recevrait ?

Lui, très catégorique. — Mon pied.

ELLE. — Ton pied ?

Lui. — Mon pied en personne, si j’ose m’exprimer ainsi.

ELLE, pouffant de rire. — Pfff.

Lui, qui saute sur son pardessus et l’endosse. — Veux-tu que j’y aille tout de suite.

ELLE, froidement. — Je t’en défie.

Lui, son chapeau sur la tête. — Ne le répète pas.

ELLE. — Je t’en défie.

Lui. — Fais attention.

ELLE. — Je t’en défie !

Lui. — Pour la dernière fois, réfléchis bien à tes paroles. (Solennel, la main sur son cœur.) Devant Dieu qui me voit et m’entend, nous nagerons dans la tragédie si je passe le seuil de cette porte.

ELLE, courant à la porte qu’elle ouvre. — Le seuil ? Le voilà, le seuil ! Et voici la porte grande ouverte.

Lui. — Aglaé…

ELLE. — Passe-le donc, un peu ! Passe-le donc, le seuil de la porte ! Non, mais passe-le donc, que je voie, et va donc lui donner de ton pied, à ce monsieur.

Lui. — Aglaé…

ELLE. — Mais va donc, voyons ! Qu’est-ce qui te retient ? Qu’est-ce qui t’arrête ? Va donc ! Va donc ! Va donc ! Va donc !

Lui, jouant la stupéfaction. —Tu me donnes des ordres, Dieu me pardonne ! « Va donc ! » dit madame, « Va donc ! » (Retirant son paletot qu’il jette au dossier d’un siège.) C’est étonnant comme j’obéis ! (Haussement apitoyé de l’épaule. ) En vérité, tu aurais seulement dix ans de moins, je t’administrerais une fessée pour te rappeler au sentiment des convenances. Qui est-ce qui m’a bâti une morveuse pareille !… une gamine, on lui presserait le nez il en sortirait du lait, qui se permet de donner des ordres et de dire « Va donc » à son mari !

ELLE, installée près du lit et attaquant son pantalon. — Le fait est qu’en parlant ainsi j’ai perdu une belle occasion de garder pour moi des paroles inutiles.

Lui. — Et tu en perds une seconde en émettant cette vérité d’une ambiguïté si piquante. Car tu la juges telle, j’imagine.

ELLE. — Trop polie pour te démentir.

Lui. — Oui ? Eh bien, j’ai le regret de t’apprendre que le jour où l’esprit et toi vous passerez par la même porte, nous n’attraperons pas d’engelures.

ELLE. — Ce qui veut dire qu’il fera singulièrement chaud ?

Lui. — Singulièrement chaud, oui, ma fille. (Goguenard.) Tu as cru que c’était arrivé ?

ELLE. — Comment ? Elle est revenue à la cheminée. En chemise, Ules pieds nus dans des mules, elle se prépare un verre d’eau sucrée.

Lui. — Tu ne t’es pas aperçue que je me moquais de toi ?

ELLE. — Je l’avoue.

Lui. — Tu ne t’es pas rendu compte que je mystifiais ta candeur ?

ELLE. — Ma foi non.

Lui. — Jour de Dieu ! Comme dit Mme Femelle, tu as de la naïveté de reste. Je t’en prie, laisse-moi rire; c’est trop drôle. (Il se pâme.) Me voyez-vous ? Non, mais me voyez-vous, tombant à huit heures du matin dans un quartier de cavalerie, le camélia à la boutonnière, et tirant les oreilles à ce monsieur devant un escadron rangé en bataille ?…

ELLE. — Ça ne manquerait pas de chic.

Lui. — Comment donc !…

ELLE. — Qu’est-ce qui t’empêche de le faire ?

Lui. — Rien !… une niaiserie ! La moindre des choses !

ELLE, qui se met au lit. — Enfin, quoi ?

Lui. — Moins que rien, je te dis. Le sentiment du plus élémentaire devoir : le respect de l’uniforme français. Tu vois que ça ne valait pas la peine d’en parler.

ELLE, couchée. — Comprends pas.

Lui. — Bien entendu. Un morveux d’officier m’outrage. Je ne lui casse pas les reins ; pourquoi ? Parce que mon patriotisme parlant plus haut que ma violence me crie : « Ne fais pas ça, ce serait mal. Songe à la France qui est ta mère, et n’attente pas, par un châtiment public, au prestige de l’épaulette. » Je m’incline. Tu ne comprends pas. Si tu te figures que ça m’étonne !

ELLE. — Cœur magnanime !

Lui. — Tais-toi donc, vous êtes toutes les mêmes, fermées comme des portes de cachot à tout ce qui est grandeur d’âme, générosité naturelle et noblesse de sentiments. Quelle race !… Oh ! tu peux rigoler. Je suis au-dessus de tes appréciations. J’ai ma propre estime, qui me suffit, et toi du moins tu ne te plaindras pas de moi, Patrie : je fais passer tes affaires avant les miennes.

ELLE, accoudée dans l’oreiller. — Tu as raté ta vocation. Tu aurais dû te faire cabotin.

Lui. — Blague, pendant que tu en as le temps. Tu ne triompheras pas toujours, car, entre ce monsieur et moi, ce n’est que partie remise.

ELLE. — Ah ! Aouat !

Lui. — Que je le repince, ce monsieur; qu’il me retombe jamais sous la main… Je lui flanquerai une petite leçon de savoir-vivre qui lui ôtera l’envie d’en recevoir une seconde.

ELLE. — Tu dis des bêtises.

Lui. — Je lui referai une éducation, moi, à ce monsieur.

ELLE. — Mais oui, mais oui.

Lui. — Avec mon pied dans le derrière.

ELLE. — C’est convenu.

Lui. — Tu ne me crois pas ?

ELLE. — Je ne fais que ça.

Lui. — Tu ne fais que ça, seulement tu n’en penses pas un mot. Eh bien ! Que je dégotte son adresse, j’irai lui dire comment je m’appelle, tu verras si ça fait un pli.

ELLE. — C’est au point que, si on te la donnait, tu irais le gifler de ce pas.

Lui. — De ce pas.

ELLE. — Homme intrépide !… — La veux-tu ?

Lui. — Quoi ?

ELLE. — Son adresse.

Lui. — Tu as l’adresse de ce monsieur ?

ELLE, qui enfin éclate. — Oui je l’ai ! et puis tu m’assommes ! (Elle saute du lit, s’empare de son carnet de bal, qu’elle a déposé sur le chiffonnier, près du lit, et en feuillette les pages d’une main fiévreuse. ) Et puis, oui, il ne me déplaît pas ! Et puis, oui, il m’a fait la cour ! Et puis, oui, il m’a dit de toi que tu avais une bonne tête de…

Lui. — Une bonne tête de quoi ?

ELLE. — Une bonne tête…, une bonne tête…, tu sais parfaitement ce que je veux dire…

Lui. — Pardon !…

ELLE. — Et puis oui, je suis une honnête femme ! Et puis oui, tu ne seras satisfait que le jour où je serai devenue autre chose ! Et puis oui, il m’a remis sa carte ! Et cette carte la voici ! Et tu sais maintenant où le trouver et tu peux y aller tout de suite, lui casser les reins à ce monsieur !

Lui, formidable. — Sa carte ! Sa carte ! Je me fous de sa carte comme de lui-même, ce qui n’est pas peu dire. Tiens, voilà ce que j’en fais, de sa carte : des confettis ! — Polisson ! Drôle !… qui a le toupet de donner son adresse à une femme mariée…

ELLE, très sèche. — Mais…

Lui. — … et qui se permet de dire de moi que j’ai une bonne tête de !

ELLE, qui se recouche. — Si c’est son opinion.

Lui. — Je l’en ferai changer avant qu’il soit l’âge d’un cochon de lait, et pas plus tard qu’à l’instant même. (Même jeu de scène que précédemment. Il a couru à son pardessus qu’il a enfilé précipitamment. Il se coiffe de son chapeau.) Qu’est-ce que j’en ai fait de cette carte ?( fouille ses poches).

ELLE. — Rue Grange-Batelière, 17.

Lui, sourd comme un pot. — Nom d’un chien, je l’ai égarée ! Ces choses-là n’arrivent qu’à moi.

ELLE. — Rue Grange-Batelière, 17.

Lui, de plus en plus sourd. — Il n’y a de la veine que pour la canaille, on a bien raison de le dire.

ELLE. — Rue Grange-Batelière, 17.

Lui. — Quoi, rue Grange-Batelière ? Quoi, rue Grange-Batelière ? Est-ce que tu vas me raser longtemps avec ta rue Gi ange-Batelière ? (Enlevant violemment son pardessus et son chapeau.) D’abord qu’est-ce que c’est que ces façons d’élever la voix lorsque je parle et de causer en même temps que moi ?

ELLE. — Ce monsieur…

Lui, qui bondit vers le lit. — Ah ! Je t’y pince ! (Stupéfaction de Madame.) Tu voudrais détourner la question, fine mouche.

ELLE. — Moi ?

Lui. — Je te prends la main dans le sac, flagrant délit d’impertinence; alors toi, tout de suite : « Ce monsieur ». Tu es rouée comme une potence ; seulement voilà, ça ne prend pas avec moi, ces malices cousues de corde à puits.

ELLE, au comble de l’énervement. — Oh ! Oh ! Oh !

Lui. — Pas une minute ! Fais-toi bien à cette idée-là. D’ailleurs, tout ça, je sais de qui ça vient.

ELLE. — Ça vient de quelqu’un ?

Lui. — Ça vient de ta mère.

ELLE, abasourdie. — Ça c’est un comble, par exemple !… Qu’est-ce que maman a à voir là-dedans ?

Lui. — Elle a à voir que si jamais elle remet les pieds ici, je la prends par le bras et je la flanque à la porte.

ELLE, qui fond en larmes. — Hi ! Hi ! Hi !

Lui. — Absolument. Et quant à toi, je te défends de retourner chez elle, ou c’est à moi que tu auras affaire. Crise de sanglots de Madame qui s’effondre dans son oreiller. Lui, allant et venant par la chambre. — C’est comme la bonne. En voilà une qui ne moisira pas ici. Je vais lui octroyer ses huit jours, le temps de compter jusqu’à cinq. Ah ! Et puis y a le chat que j’oubliais ! Une saloperie qui passe sa vie à aller faire ses ordures dans le porte-parapluies de l’antichambre. Il aura de mes nouvelles, le chat : je vais le foutre par la fenêtre et nous verrons un peu s’il retombera sur ses pattes ! (Se jetant les bras sur la poitrine.) Non, mais enfin je vous le demande; qu’est-ce que c’est qu’un monde pareil ! Tout ceci va changer. La mère, la fille, la bonne, le chat, je vais vous faire valser tous les quatre, ah là ! là ! Ah ! Je suis un monsieur qui a peur des coups ! Ah ! je suis un monsieur qui a peur des coups !… Grêle de coups de canne en travers du guéridon. Hurlements désolés de Madame.

FIN