Peut-être faut-il informer nos lecteurs, pas tous de la maison, des fondamentaux freudiens en matière d’homosexualité.

Il est d’abord curieux qu’on impute à la psychanalyse une homophobie en raison de son affirmation de la norme hétérosexuelle, étant donné que nul plus que Freud n’a interrogé celle-ci dès 1905, comme étant loin d’aller de soi. Il est aussi l’un des premiers à s’indigner de la stigmatisation des homosexuels : en 1897, il a signé une pétition proposée par le sexologue Magnus Hirschfeld pour l’abrogation d’un article du Code Civil allemand pénalisant l’homosexualité masculine; moins militant, certes, que cet humaniste, il ne fait pas comme lui de cette déviation un handicap médical.

L’homosexualité fait partie du programme de la libido ; si la sexualité infantile demeure un paradigme, elle inclue la bisexualité quant au choix d’objet dans la méconnaissance de la différence anatomique. Les deux parents sont de même sexe : c’est le phallus pour tous. On invoque d’ordinaire cette « perversion polymorphe » comme une aberration appelée à être dépassée par un développement ordonné ; ce credo évolutionniste se heurte au réel de la pulsion. Il y a toujours un reste des premières fixations, une coexistence des différentes étapes : rien ne se perd des premières traces de jouissance. D’ailleurs, dans l’élaboration de sa théorie, Freud passe d’une conception stadiste et préœdipienne à une conception structurale ; l’homosexualité n’est plus une survivance archaïque de la sexualité infantile, mais un mode de jouissance dont les avatars sont les mêmes que dans tout choix d’objet : c’est ce qu’apprend l’analyse des homosexuels. Trauma, séduction, embrouilles familiales etc., les sujets ne viennent pas en analyse pour se normaliser mais pour régler des conflits comme tout le monde. Enfin, on connaît une lettre de Freud à une mère américaine du 9 avril 1935 (in Correspondance 1873-1939) qui la rassure sur la normalité de son fils homosexuel, où Freud dénonce la cruauté dont ils sont l’objet.

Pourtant, le libéralisme des freudiens avait des limites dès qu’il s’agissait de quelqu’un de chez eux ; la compagne d’Anna Freud, Dorothy Burligham, a pu en faire les frais. Réaliste, Freud s’est s’accommodé de l’homosexualité de sa fille Anna, au point de la tenir éloignée des prétendants au mariage ; sa liaison était connue de la communauté analytique ; et, bien sûr, de lui-même puisqu’il les a analysées toutes les deux. On les voyait ensemble dans les congres ; à partir de 1921, une rumeur au sein de l’IPA circulait visant à interdire la pratique de l’analyse aux homosexuels ; Freud n’a jamais souscrit à cet oukase.

Si l’on veut faire un procès pour homophobie à la psychanalyse, c’est à Abraham ou à Jones qu’il faut s’adresser : ce dernier, féministe à ses heures et anti phallocrate est pourtant bien plus homophobe que Freud.

C’est à propos de la sublimation de l’homosexualité et de ses effets sur la civilisation qu’on perçoit le mieux le message freudien : « amitié, camaraderie, esprit de corps, amour des humains en général » en procèdent. Lacan, à son tour, souligne que « l’homosexualité mise au principe du ciment social dans notre théorie, la freudienne, est le privilège du mâle », cette norme « mâle » qui lui est impartie, non par sa puissance, mais par sa castration : celle-ci consacre l’idéal viril.

Cette « hommosexualité » avec deux « m », généralisée donc, ne sera pas confondue avec le choix, toujours singulier, du mode de jouissance. Elle permet cependant de mettre les points sur les i en matière d’anatomie : tous châtrés. Si Freud emprunte à Napoléon son : « l’anatomie c’est le destin », gageons que ce dernier ne pensait certes pas à Cambacérès qu’il voulait marier à tout prix, ou alors c’était par désespoir ; l’homme affichait son homosexualité avec ostentation et bien malin qui eut pu déduire cette inclination d’une anatomie qu’ornaient perruque et jabot. Au reste, le Code Civil de 1804 dont on lui reconnaît largement la paternité témoigne peut-être davantage de cette affinité freudienne de la libido avec l’ordre républicain.

Corollaire sur le mariage : l’homo n’est-il pas déjà marié avec son phallus ? Non pas seulement qu’il s’aime lui-même dans l’autre, dans le leurre du narcissisme (les hétéros n’y échappent pas), mais ce phallus qui l’intéresse chez son partenaire « c’est le sien propre qu’il va chercher chez l’autre » (Lacan, Le Séminaire, Livre IV, p.194). Ce détour, s’il ne vaut pas forcément une messe, n’est pas si éloigné des critères du Concile d’Elvire en 305 en matière de mariage : une même chair.

Il est vrai que Lacan mettait un bémol à ce « pour tous » en élevant l’homosexualité féminine à une distinction qui vaut d’être rappelée, en ces temps où l’uniformisation devient le mot d’ordre du politiquement correct : au contraire, une dissymétrie existe entre gays et lesbiennes, elle génère une torsion qui redéfinit l’hétérosexuel : celui ou celle qui aime les femmes. Ces dernières étant, par la démonstration de leur passion pour une, les vraies hétérosexuelles ; ce qui ne devrait pas les mettre à l’écart du mariage.

Enfin, Lacan relevait en 1958 le paradoxe d’une survivance du mariage au-delà de l’émancipation sociale des femmes, d’un désir coexistant avec le « déclin du paternalisme ». Anticipation étonnante au regard de la revendication d’aujourd’hui où l’on vérifie l’interdépendance des deux phénomènes, leur variation concomitante : la dissolution de l’ordre symbolique et la bague au doigt. Simone de Beauvoir qui était contre, fait figure de ringarde : on ne naît pas mariée, on le devient. Et l’on attend les mémoires d’une lesbienne branchée.