Hollande a fait au Mali ce que Sarkozy a fait en Libye.

Dans l’histoire récente des beaux gestes politiques, il y a aussi eu, naturellement, le voyage de Mitterrand, en 1992, dans Sarajevo assiégée.

Mais il eut, ce voyage, des effets pervers immédiats.

Il fut, malgré son panache, le point de départ du traitement humanitaire du problème politique qu’était l’agression des milices nationalistes serbes contre la petite Bosnie multiethnique.

En sorte que la vraie comparaison est à faire non seulement avec la guerre de Libye, mais avec le voyage de Sarkozy, en octobre 2011, à Tripoli, puis Benghazi : même parfum de déplacement à haut risque dans des villes libérées mais pas encore sécurisées ; même sorte de discours, place de l’Indépendance pour l’un, place de la Liberté pour l’autre ; même liesse de la foule scandant « Merci la France ! » en agitant des drapeaux tricolores ; et même enthousiasme des commentateurs conscients, dans les deux cas, que la guerre n’est pas finie (Kadhafi à Syrte… les dirigeants d’Aqmi repliés dans les grottes du massif des Ifoghas…) mais que le geste, lui, se doit d’être salué.

Je ne dis pas cela pour diminuer le mérite de Hollande, dont chacun des mots, prononcés à Tombouctou puis à Bamako, fut juste (honte aux petits esprits qui, face à un président saluant le rôle de l’armée d’Afrique pendant la Seconde Guerre mondiale et présentant l’intervention d’aujourd’hui non comme un don ou une faveur, mais comme une dette acquittée, continuent de répéter, tels des disques rayés, « Françafrique ! Françafric ! »).

Ni davantage pour rendre justice à Sarkozy, qui n’a besoin de personne pour que soit reconnu, dans ces matières,
celles de l’intervention en Côte d’Ivoire puis de la difficile guerre de Libye, que son bilan fut bon (misère de cet autre discours qui, sous prétexte qu’une République ne se construit ni en un jour ni en deux ans et que la lutte fait rage, en attendant, entre islam modéré et extrémiste, éclairé et obscurantiste, en viendrait presque à regretter la chute de Kadhafi…).

Je le dis parce que ces deux interventions dessinent un visage de la France que tout le monde, ou presque, a l’air de trouver naturel alors qu’il est, quand on y songe, proprement sidérant : où et quand a-t-on vu une puissance moyenne se porter ainsi, par deux fois, et dans un délai si court, en première ligne militaire de la défense du droit ? quel autre exemple d’un pays de taille modeste prenant de vitesse ses partenaires, bousculant leurs timidités de pachydermes empêtrés dans leurs logiques de compromis et finissant, sinon par les violer, du moins par les entraîner et par prendre ainsi la tête d’une coalition internationale, de format variable, visant à faire chuter des dictatures ?

Fin de ce que, dans les années 50, on appelait le cartiérisme : « la Corrèze avant le Zambèze ».

Mise en échec, par la gauche et par la droite, de ce que, depuis quelques années, on appelle le souverainisme : charbonnier est maître chez soi… aux peuples de se débrouiller, seuls, de leurs tyrans, de leurs talibans…

Mais surtout, d’un règne à l’autre, pour des raisons métapolitiques qu’il faudra bien, un jour, se décider à élucider (débat sur le devoir d’ingérence… promotion des droits de l’homme au rang d’impératif moral et politique… nouvel internationalisme…), apparition d’un paradigme nouveau – dont les deux données sont les suivantes.

Une France qui rompt avec une tradition, notamment coloniale, où la force servait la force et ne venait qu’en renfort des intérêts nationaux : pour la première fois, au Mali et en Libye, la force a été mise au service explicite de la liberté et de la justice ; pour la première fois – depuis Valmy ! – il y a un lien voulu, pensé, verbalisé comme tel, entre l’exercice par la France de sa puissance et la défense de valeurs qui la dépassent.

Et puis une France qui, deuxièmement, prend le leadership, non seulement moral, mais opérationnel d’une guerre juste et envoie ses meilleurs soldats se substituer, de surcroît, aux Casques bleus de Nations unies faillies : c’est étrange, mais le fait est là – avec ses faibles moyens, son chômage, son commerce extérieur déficitaire, sa façon de sembler décrocher, ici ou là, du train de la mondialisation, la France joue le rôle dont on attendait qu’il fût joué par la puissante Amérique ; elle donne le la d’une géopolitique habituellement préemptée par ces grandes puissances officielles que sont les États-Unis, la Russie, la Chine ; elle est à l’initiative, en d’autres termes, d’une autre mondialisation, vertueuse, généreuse, qui est celle de la démocratie, de la paix ; elle devient la première exportatrice de droits ou encore, si l’on préfère, la première puissance antitotalitaire mondiale.

La planète s’en étonne.

Nos grands alliés, stupéfaits, en sont réduits à suivre le mouvement et à épouser, de plus ou moins bon gré, le cours nouveau ainsi donné aux relations entre les nations.

Est-il interdit à un intellectuel, peu suspect de chauvinisme, d’observer que son pays renoue, là, avec une forme de grandeur ?

Et n’y a-t-il pas lieu, pour tous les citoyens français, quelle que soit leur appartenance, par-delà les querelles politiques ou idéologiques subalternes, d’en être fiers et de le dire ?