La Déclaration que nous venons de signer à la suite de manifestations hostiles au projet de loi sur « le mariage pour tous » et à la modification des standards de filiation à venir, mentionne qu’ « il revient à chaque être parlant de trouver les voies de son désir, qui sont pour chacun singulières, tordues, et marquées de contingence et de malencontres ». Elle admet la torsion générale de ce qui fait communication chez l’animal parlant.

Les lectures proposées de l’expérience psychanalytique et de l’enseignement de Lacan comme garants d’un « invariant anthropologique » sont néanmoins particulièrement tordues. Elles relèvent tout bonnement d’une lecture à l’envers, d’un asservissement à des fins conservatrices, de toute la mise en cause par Lacan des « Noms-du-Père », au pluriel. Au départ, Lacan vise une extension du domaine du Nom-du-Père dans le contexte des familles divorcées des années 30. Comme lui !

Le divorce et l’Œdipe
Il est aberrant de constater que celui qui, dès 1938, avant la restauration de Pétain, dans ses « Complexes familiaux… », au pluriel, appréciait de façon critique l’apport freudien du « complexe d’Œdipe », se retrouve embringué comme garant d’un ordre immuable. Celui qui plaidait pour la complexité des familles, divorcées, et recomposées en notant qu’elles étaient, « formatrices pour la raison », se retrouve enrôlé comme garant d’une forme unique de présentation de la  différence sexuelle.

Le désir et les familles recomposées
Lacan n’était « pas de ceux qui s’affligent d’un prétendu relâchement du lien familial ». Il soulignait plutôt que le dit « relâchement » est en fait une complexification du lien par intégration « des plus hauts progrès culturels », y compris l’égalité des droits entre homme et femme. Le développement de son œuvre allait faire de la femme, un autre « Nom-du-Père », affirmant une égalité au-delà de la différence sexuelle. Je développerai ce point dans d’autres chroniques, mais pour l’instant, il me suffit de souligner cette égalité complexe.

Il rapportait enfin la naissance de la psychanalyse au contexte du « déclin social de l’imago paternelle ». Cela ne légitimait nulle perspective de « restauration », mais au contraire la prise en compte de la véritable place du père. Dans le dispositif freudien, relu à l’endroit, le « père » n’est pas un garant anthropologique, il vient incarner le caractère transgressif du désir singulier contre les impératifs moraux communément admis, qui prétendent définir la façon de  vivre la pulsion. Le père sépare, par son désir, s’il est accepté, la mère de sa relation exclusive à l’enfant. Il incarne la pluralité de jouissances.

Lacan fondait ainsi en raison freudienne le sort des parents divorcés qui rompaient en pionniers dans ces années-là avec l’ordre moral. Le divorce avait en effet restauré dans l’institution juridique le primat du choix du couple sur l’ordre familial et celui de la filiation. C’est ce qui en anglais apparaît clairement dans l’opposition entre marriage et kinship.

S’occuper des objets (a) !
Trente ans plus tard, après 1968, dans sa « Note sur l’enfant », Lacan précisait  dans la même ligne que le père donne nom à une « incarnation de la Loi dans le désir ». Ceux qui nous bassinent avec « l’invariant anthropologique » lisent à l’envers cette expression. Ils en font une « sublimation du désir dans la Loi », supposée naturelle pour faire bonne mesure. Autrement dit, ils lisent la fonction du père comme une normalisation du désir. La mère serait la pulsion, le père la Loi. Cette lecture est absurde. L’écart, la différence dont il s’agit est que le « Nom-du-Père », fonction dont une femme peut être porteur, invente une façon de s’occuper des enfants de la mère, ses « objets (a) », pour les inscrire dans la loi commune, immanente. Ce qui était daté en 1968, doit maintenant s’actualiser avec les couples LGBT.

Les débats à venir
Notre Déclaration marque un début. Après le vote de la loi sur le « mariage pour tous », et jusqu’à l’examen de la Loi sur la famille, de nombreux débats vont traverser la société française. La querelle sur le père va se développer. Ce sera l’occasion de préciser notre position. De quoi le père est-il l’incarnation ? D’un invariant monotone, ou le nom d’une invention de la façon dont une époque vit la contingence du rapport des sexes ?

Pour signer l’appel contre l’instrumentalisation de la psychanalyse.

Un commentaire

  1. Excelente articulo de Eric Laurent, de apertura para pensar el padre en tiempos del matrimonio para todos. Una vuelta más, para hacer avanzar el psicoanálisis ,desde la orientación pólitica de Miller.