Je vous laisse libre de juger son attitude bien peu citoyenne au moment où notre pays a besoin de toutes ses forces pour surmonter la crise ou d’estimer qu’un artiste est fait pour créer et non pour être exemplaire.
Vous avez eu le temps de vous faire votre avis. Des gens bien plus connus que moi ont eu l’occasion de vous convaincre. Et vous avez aussi le droit de ne rien en penser du tout.

J’ai plutôt envie de vous parler de cinéma pour de bonnes raisons et, par la même occasion, d’un sentiment qu’il serait judicieux de remettre à la mode : la fraternité.
Troisième mot de notre triptyque républicain, c’est aussi la notion la plus floue et la plus difficile à expliquer pour nos concitoyens.

Main dans la main de Valérie Donzelli
Main dans la main de Valérie Donzelli

Pourquoi ? Parce que si on se réfère très souvent dans le débat public aux termes de « liberté » ou d’ « égalité », le terme « fraternité » est bien moins usité — sauf, exception notable il y a quelques années par Ségolène Royal qui tenta de réanimer cette belle idée mais se heurta à l’ironie des commentateurs politiques — comme s’il semblait trop excessif, trop affectif dans une société de plus en plus tentée par l’individualisme, où les citoyens s’interrogent sur leurs valeurs communes et sur ce qui les unit vraiment.
L’ Histoire a montré que la fraternité naissait le plus souvent dans les combats : entre les sans culottes pendant la Révolution française, sur les barricades en 1848 ou bien sûr plus récemment dans la Résistance durant la seconde guerre mondiale.
La fraternité ne relève en effet pas de bons sentiments, c’est une notion exigeante qui ne se décrète pas mais qui s’éprouve.
Il faut du temps et des efforts pour nous sentir solidaires de parfaits étrangers.

Sans conflit mais avec délicatesse, c’est ce que tentent de nous démontrer trois films français sortis en cette fin d’année :

Comme des frères, premier film sensible et intelligent d’Hugo Gélin qui retrace le parcours initiatique de trois hommes que tout sépare (génération, position sociale…) mais qui ont à une période différente de leurs vies aimé la même femme. C’est en voulant accomplir l’ultime volonté de cette dernière qu’ils prennent la route pour la Corse en passant par des chemins de traverse qui leur permettent de se découvrir et de se créer un lien indéfectible. Au-delà de l’indéniable qualité de jeu des acteurs (mention spéciale à Pierre Niney qui fonce tout droit vers le César du meilleur espoir qu’il aurait déjà du avoir l’an dernier pour J’aime regarder les filles et joue actuellement un Fadinard survolté dans la très réussie adaptation d’ Un chapeau de paille d’Italie à la Comédie Française), on ne peut qu’apprécier le message humaniste de ce film qui donne envie d’embrasser son(sa) voisin(e) à la fin de la projection.

Télégaucho de Michel Leclerc
Télégaucho de Michel Leclerc

Main dans la main de (et aussi avec) Valérie Donzelli qui raconte comment deux êtres que là-encore tout oppose se retrouvent collés l’un à l’autre : Hélène Marchal, Directrice de l’école de danse de l’Opéra Garnier et Joachim Fox, employé d’un miroitier de province (interprété par l’excellent Jérémie Elkaïm dont on avait déjà pu constater le talent dans les deux précédentes œuvres de Valérie Donzelli La reine des pommes et surtout La guerre est déclarée, succès surprise mais ô combien mérité de l’an dernier). Sans démagogie et toujours avec poésie, le récit montre, lui aussi, à sa manière, comment se nouent des liens et comment peut naître une fusion lorsque l’on accepte de passer outre les différences.

Télégaucho de Michel Leclerc qui évoque une période récente mais déjà révolue : celle de l’éclosion des télés libres. A travers le parcours d’un jeune garçon de banlieue lointaine (impeccable Félix Moati) débarqué à Paris et partageant son temps entre un stage dans une télévision populiste et sa participation active à une télévision de quartier où se côtoient marginaux, gauchistes, révolutionnaires et utopistes en tous genres, le réalisateur livre un éloge de l’action collective et de l’engagement politique et sociétal.

Et puisque Robert Desnos disait que ce qu’on « demande au cinéma c’est ce que la vie nous refuse, c’est le mystère, c’est le miracle », profitons de cette période propice aux souhaits pour espérer que la notion de fraternité présente dans ces trois beaux films mais de plus en plus absente dans notre société inspire réellement nos vies et ne relève plus de l’utopie et du miracle.

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