Voilà une exposition qui délectera les amoureux de Paris, plaira aux amoureux de l’art, et surprendra ceux qui pensaient connaître la Ville lumière mieux que leur poche.

Car le musée Carnavalet, qui est l’institution consacrée à l’histoire mouvementée de la capitale française, en consacrant une exposition passionnante et fort réussie aux peintures qui ornaient les églises parisiennes au XVIIe siècle, fait bien davantage. À travers les tableaux qu’il présente, Carnavalet ressuscite pour le plaisir des yeux et de l’imagination tout un pan de Paris disparu, englouti par les destructions de la Révolution et les reconstructions de l’hygiénisme haussmannien. Ces œuvres sont les derniers vestiges d’une richesse infiniment plus grande : celle d’un siècle, le Grand Siècle de l’histoire de France, où Paris devient peu à peu, sous l’égide de la puissance monarchique retrouvée, une capitale des arts et se couvre d’églises, d’hôtels particuliers et de palais décorés par les plus grands artistes du temps.

Les tableaux de l’exposition proviennent souvent d’églises détruites par le marteau jacobin et autres vandalismes modernes, et qui ont trouvé refuge loin de leurs écrins d’origine, dans les grands musées de province aux quatre coins de la France. À travers cent vingt tableaux, gravures et dessins d’époque, c’est un peu du Paris ancien, celui qui subsiste par endroits dans le Marais, autour du Palais Royal ou encore dans l’île Saint-Louis, qui renaît devant nous. Un Paris insoupçonné, qui n’existe plus, une autre ville prennent forme sous notre regard.

On a aujourd’hui l’image d’un Paris principalement dix-neuvième siècle et Belle-Époque. Qui pense à Paris voit Haussmann, le Bon Marché, le romantisme, l’impressionnisme,  les crinolines et les brasseries aux belles boiseries, et, pour les touristes, le Moulin Rouge et le Chat Noir.

Pourtant le XVIIe siècle fut véritablement le grand siècle de Paris et, avant de nous lancer dans la contemplation de ces œuvres crées à la gloire de Dieu non moins qu’à celle de la cité des rois de France, attachons-nous à restituer dans ses grandes lignes le contexte culturel d’une époque qui a donné naissance à un foisonnement artistique inédit dans la capitale depuis le Moyen Âge. C’est sous le sceau d’une prospérité retrouvée, après les guerres de Religion qui minèrent le pays durant la deuxième moitié du XVIe siècle, que s’ouvre le Grand Siècle. La population augmente, le commerce aussi, qui s’organise autour de corporations de métiers florissantes. Une grande bourgeoisie marchande voit le jour et concurrence la haute noblesse qui n’hésite pas à dépenser sans compter pour ériger de splendides hôtels particuliers. Ce sont ces paroissiens fortunés qui vont pourvoir à la décoration fastueuse et dans le goût du jour des églises parisiennes. Sur le plan politique, le XVIIe siècle français va suivre son cours à l’ombre d’un pouvoir royal raffermi, de plus en plus puissant et incontesté, depuis l’avènement de Henri IV en 1589 jusqu’au règne personnel et absolu de Louis XIV. Du point de vue religieux, le pays connaît un élan spirituel renouvelé, qui s’inscrit dans le sillage de la Contre-Réforme née du Concile de Trente, et dans un contexte relativement apaisé, grâce à l’Édit de Nantes qui a mis fin aux déchirements entre protestants et catholiques. C’est l’époque où s’affrontent sur le terrain spirituel des conceptions opposées de la foi : la rigueur des Jansénistes, l’extravagance et la théâtralité de la foi extériorisée du jésuitisme. Le roi de France reste le roi Très Chrétien, le Fils aîné de l’Église de Rome, et si, officiellement, le protestantisme est reconnu, la religion d’État demeure plus que jamais le catholicisme. L’art religieux va devenir l’un des terrains de la lutte contre le protestantisme, dont l’un des traits distinctifs est l’iconoclasme. Les chantiers d’églises et de couvents se multiplient. Les images pieuses y trouvent naturellement leur place, parmi les dorures. Jamais, depuis l’ère gothique, on n’a construit autant d’édifices religieux à Paris.

Simon Vouet (1590-1649), L'Adoration du nom divin par quatre saints, vers 1647 Paris, église Saint-Merry.
Simon Vouet (1590-1649), L’Adoration du nom divin par quatre saints, vers 1647 Paris, église Saint-Merry.

Paris, oui, car la grande scène où se joue l’histoire du pays est, à nouveau, en ce siècle, et pour la première fois depuis longtemps, sa capitale. Paris, désertée par les rois à la Renaissance, qui lui préféraient le confort spacieux des châteaux du Val de Loire, redevient la capitale politique du royaume et la vitrine de sa puissance nouvelle. La ville doit être l’ornement, le diamant de la Couronne, montrer à la face de l’Europe entière, à l’Espagne des Habsbourg honnis, à Londres et surtout à la Rome des Papes, que le roi de France possède la plus belle capitale d’Occident. Ainsi les principaux architectes du siècle s’appellent Henri IV, Louis XIII et Louis XIV. Les rois s’occupent de leur ville comme s’il s’agissait de leur palais. On construit, on embellit, on modernise, on monarchise et on monumentalise ce Paris à l’aspect encore médiéval. Le style classique français se fait jour. La place Dauphine, le Pont-Neuf, la nouvelle Sorbonne, le Collège des Quatre-Nations, la Salpetrière, la manufacture des Gobelins, l’Observatoire sont tous des créations du XVIIe siècle.

C’est l’époque de Molière et de Scarron, de Pascal et Descartes et, ce qui nous intéresse ici, d’artistes qui sont les premiers grands noms de la peinture française, Simon Vouet, Nicolas Poussin, Charles Le Brun pour ne citer qu’eux.

L’un des intérêts de l’exposition est qu’elle constitue un voyage dans ce Paris monumental du XVIIe siècle. Avant de pénétrer dans les salles qui renferment les œuvres, l’on passe par un petit vestibule, sorte d’antichambre, qui livre à travers de très belles gravures d’époque le visage disparu de ces églises qui renfermaient les trésors exposés dans les salles qu’on va découvrir. Ce sont des églises nouvelles, comme le noviciat des Jésuites, le couvent des Feuillants, rue Saint-Honoré, non loin des Tuileries, dont on admire la belle façade dessinée par François Mansart, ou les Minimes dans le Marais, avec sa grande coupole à tambour qui restera inachevée. Ce sont des églises plus anciennes comme Saint-Victor, dans ce qui est aujourd’hui le Jardin des Plantes, ou l’immense complexe des Chartreux, rive gauche, à l’emplacement de l’actuel jardin de l’Observatoire, que l’on redécore sous Louis XIV. Ce sont des dizaines d’autres églises, grandes ou petites, nouvelles ou médiévales, dont les œuvres exposées à Carnavalet sont souvent les derniers témoignages. On découvre des gravures d’autres édifices qui, eux, ont échappé aux destructions et nous sont bien connus : Saint-Paul-Saint-Louis dans le Marais (qui ne s’appelait encore que Saint-Paul, à l’époque), les Carmes déchaussés, rue de Vaugirard (aujourd’hui l’Institut catholique), Saint-Gervais-Saint-Protais, dont la façade classique se dresse juste derrière ce gros gâteau néo-renaissance qu’est l’Hôtel de Ville.

Pour mieux comprendre l’étendue des pertes que le Paris monumental a subi, une reproduction grandeur nature du célèbre plan de Turgot de 1736 ouvre fort à propos l’exposition. Il représente Paris à vol d’oiseau, depuis le nord-ouest vers le sud-est, comme tous les plans anciens de la ville. Tous les édifices de la capitale sont représentés en vue cavalière. On distingue particulièrement bien les clochers des dizaines d’églises qui peuplaient la ville, et l’on se rend compte que Paris autrefois était comme Rome aujourd’hui. Partout des tours, des coupoles, des façades gothiques ou classiques. Sur le plan de Turgot, les églises aujourd’hui disparues ont été cerclées de rouge, celles qui existent encore de vert. Le rouge l’emporte haut la main.

Un autre attrait de l’exposition est qu’en descendant des murs des églises parisiennes les tableaux qui y sont restés après la Révolution, une occasion unique est donnée au visiteur de voir enfin ces peintures admirables dans de bonnes conditions. Qui ne s’est jamais tordu le cou pour tenter de déchiffrer correctement une toile accrochée à trois mètres du sol, mal ou pas éclairée, pleine de reflets ? L’exposition permet aussi de mettre en évidence les étapes de la création de ce décor peint dans les églises, en confrontant certaines œuvres achevées à leurs esquisses et leurs dessins préparatoires.

Louis et Mathieu Le Nain, La Naissance de la Vierge, vers 1640, Paris, cathédrale Notre-Dame.
Louis et Mathieu Le Nain, La Naissance de la Vierge, vers 1640, Paris, cathédrale Notre-Dame.

En ce siècle florissant, les églises parisiennes deviennent la vitrine de cette richesse et de cette ferveur retrouvées, ainsi que le laboratoire d’une peinture française qui se fixe peu à peu dans ses grands canons pour devenir une École à part entière dans le paysage européen de la peinture. L’art religieux à Paris au XVIIe siècle est en effet l’œuvre des plus grands peintres de l’époque, et résume à lui seul l’évolution stylistique de la peinture du grand genre en France, à mesure que les règnes se succèdent et que l’on avance dans le siècle.

On voit, à travers les salles de l’exposition, s’affirmer peu à peu un art français, selon les caractéristiques qu’on lui connaît aujourd’hui : un art classique de l’équilibre, aux compositions claires et lisibles, aux couleurs vives et contrastées.

Si la peinture parisienne du règne de Henri IV se développe encore sous le signe de l’influence flamande et d’un maniérisme aussi charmant qu’anachronique en ce début de siècle, dès la fin des années 1620 et le retour à Paris d’une génération d’artistes partis se former en Italie, un art plus maitrisé et progressivement affranchi d’influences extérieures se met en place.

Le règne de Louis XIII constitue un âge d’or, traversé par plusieurs courants picturaux, où les premiers grands talents de la peinture française émergent, alors que l’on compte plus de soixante chantiers d’églises nouvelles sur les bords de la Seine. On s’arrache les peintres les plus réputés, Vouet ou Philippe de Champaigne.

Une date, celle de 1627, est capitale dans l’histoire de la peinture française au XVIIe siècle. Cette année-là, Simon Vouet revient d’Italie. Il abandonne la manière caravagesque qu’il pratiquait à Rome et tire de ses leçons italiennes un style virtuose, monumental et empreint de lyrisme, un habile compromis entre le baroque romain et l’exigence française de classicisme, exigence que remplit de mieux en mieux le peintre au fil des années, avec ses plages de couleurs contrastées et son art savant de la distribution des figures. Cela donne L’Adoration du nom divin par quatre saints, exécutée vers 1647, à la toute fin de sa carrière, et provenant de l’église Saint-Merri. Vouet construit ici puissamment l’espace par le seul agencement des figures ; l’architecture reste secondaire, tout se joue au premier plan. On a l’impression d’une scène de théâtre, sans pour autant que la pièce qui se joue sous nos yeux soit confuse. C’est le mouvement des figures et leur enchaînement, où se mêlent couleurs, lumières et volumes, qui sont la marque distinctive de ce baroque à la française de Simon Vouet : c’est un tourbillon, mais un tourbillon visible et lisible. Sans entrer plus avant dans l’analyse du talent sans pareil de l’artiste, le visiteur se délectera du chatoiement étincelant de cette toile, dont la lumière est le protagoniste véritable.

Vouet est un si grand artiste – et si prolifique dans ses années parisiennes, que l’on peut regretter que n’aient pas fait le voyage depuis le musée des Beaux-Arts de Lyon les trois peintures appartenant au décor qu’il réalisa vers 1635 pour la chapelle privée de l’hôtel du chancelier Séguier à Paris. Les commissaires de l’exposition ont préféré ne retenir que les peintures provenant d’édifices publics. Il fallait bien faire des choix, et on ne leur en tiendra pas rigueur, car quand une exposition thématique s’étale, veut par trop faire catalogue, elle dilate son propos et s’étiole.

Dans un goût tout à fait différent, le classicisme culmine entre 1640 et 1660 dans cette tendance à l’antique que l’on a appelée « atticisme parisien », selon l’heureuse formule de l’historien d’art Jacques Thuillier. Ce courant se développe à l’époque de la régence d’Anne d’Autriche autour de figures comme Jacques Stella, Eustache Le Sueur ou Laurent de La Hyre, ces deux derniers étant de purs Parisiens puisque ni l’un ni l’autre n’ont fait le voyage en Italie. Le séjour parisien de Poussin entre 1640 et 1642 est décisif dans ce tournant de la peinture parisienne. Les peintres atticistes expriment dans leurs œuvres un classicisme exacerbé, ultra rigoureux, dont la quête formelle autant que spirituelle est celle de la sobriété, de la mesure et de l’harmonie. On est bien loin des effluves baroques romaines ou des grâces flamandes de Rubens. L’intérêt archéologique pour le monde gréco-romain se ressent fortement dans leurs tableaux, les coloris sont clairs et lumineux, les nez des personnages aux profils attiques, droits. C’est une peinture rationnelle, aux contours soignés, qui représente des figures hiératiques, pleines de noblesse. Des tableaux de Le Sueur et La Hyre illustrent le mieux ce « retour à l’antique ».

Dans cette même salle, peut-être la plus belle de l’exposition, on remarquera deux toiles plus singulières. L’une est due à Jacques Blanchard, à la formation atypique pour l’époque puisqu’il partit se former à Rome mais surtout à Venise, d’où il ramena un art chatoyant, sensuel, fondé sur la couleur plus que sur la ligne, à tel point, qu’à son retour d’Italie, on le surnomma le « Titien français ». Il livre une Lamentation sur le Christ mort au format horizontal, frappante par son harmonie tonale autant que par sa composition en frise, inhabituelle. Au pied de la croix, sur la terre morne, le corps livide du Christ est pleuré par sa mère, et le tableau s’ouvre à peine, à gauche, par-delà un arrière fond grisâtre, sur un épais brouillard lumineux, peut-être la préfiguration de la lumière divine et de la destinée céleste du Messie.

Les frères Le Nain, quant à eux, charment par leur art qui donne une dimension tout autre que solennelle aux sujets religieux, par le biais de leur palette restreinte, fondée sur les harmonies de bruns et de rouges, mais surtout grâce aux détails prosaïques qu’ils placent dans leurs sujets et qui insufflent une émotion simple, transformant leur Naissance de la Vierge (peinte vers 1640) en touchante scène quotidienne. Si, dans cette toile, un rayon de lumière divine qui se propage depuis un nuage peuplé de séraphins est bien présent, il n’est pas la seule source lumineuse de la scène : un âtre, sur la droite, répand sa lueur incertaine sur un angelot qui fait chauffer des langes pour le nouveau-né. Cet âtre, ainsi que le berceau en osier qui le cache et trône au premier plan, nous plongent dans l’atmosphère rassurante de la chaumière où vient de naître ce bébé que sa nourrice aux formes rondes tient sur ses genoux et contemple d’un regard maternel et recueilli. Les colonnes antiques, reléguées au second plan, et les jeunes anges ailés nous rappellent qu’il s’agit tout de même d’un événement hors du commun, surnaturel, et permettent d’identifier la scène : la naissance de la mère du Christ.

Charles Le Brun (1619-1690), Le Martyre de Saint Jean l'Evangéliste, 1642, Paris, église Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
Charles Le Brun (1619-1690), Le Martyre de Saint Jean l’Evangéliste, 1642, Paris, église Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

Pour conclure cette première moitié de siècle, on ne peut pas ne pas mentionner Philippe de Champaigne, qui, dans son style inimitable, est le véritable chantre de la peinture religieuse. Contrairement à Vouet ou à Le Sueur, il ne s’intéresse presque qu’à la peinture d’église. Sobre et élégant, son art exprime une foi intériorisée, sans pathétique ni effets grandiloquents. Si on peut rattacher sa manière à l’atticisme, la recherche de l’antique ne l’intéresse pas, et il gomme tout élément superflu de ses œuvres pour s’en tenir à l’essentiel : l’évocation d’une spiritualité faite de retenue, loin des excès baroques italiens ou du mysticisme espagnol. Il est, à cet égard, presque janséniste, et, en tout cas, purement français. Mais son plus beau tableau se trouve plus loin dans l’exposition. Nous y reviendrons.

Après Louis XIII, on passe enfin à l’interminable règne louis-quatorzien. Ce jeune roi, comme chacun sait, se méfie de Paris, la ville de la Fronde, qu’il quittera finalement pour Versailles. Il n’en fut pas moins l’un des monarques qui fit le plus pour Paris, contrairement à ce qu’affirmait cette mauvaise langue de Saint-Simon : les Invalides, le pont Royal, la Cour Carrée du Louvre, deux places royales – la place des Victoires et la place Vendôme – la création de boulevards pour la promenade là où s’élevaient les anciennes fortifications dans lesquelles la ville s’engonçait… Dans les églises, le temps n’est plus à la construction de nouveaux édifices mais à la redécoration dans le goût du jour. Autour d’une nouvelle grande figure, Charles Le Brun, se développe un style théâtral et éminemment royal. L’un de ses plus beaux tableaux de jeunesse, encore emprunt d’une vivacité romaine, a fait le déplacement depuis Saint-Nicolas du Chardonnet, sa demeure Rive gauche, où est d’ailleurs enterré le peintre. Il s’agit du Martyre de Saint Jean l’Évangéliste, daté de 1642. C’est un Le Brun qui signe presque Vouet ici, avec une fougue affichée et une belle maîtrise de la lumière pour modeler les corps. Ce Saint Jean qu’on s’apprête à ébouillanter, les bras ouverts, semble Jésus que l’on va crucifier. La composition est admirable, d’une force sans pareil. Le bourreau au premier plan montre son dos musculeux, avant que le regard ne se s’élève, du martyr dans son linceul christique aux angelots qui volettent au-dessus de la cuve sacrificielle. Le chien représenté en bas à droite semble plus intéressé par le regard du visiteur que par la scène de cuisson humaine qui se déroule derrière lui. La construction est extrêmement dynamique : tous les personnages, peints dans des couleurs vives qui tranchent avec l’arrière plan enfumé, sont saisis dans des attitudes différentes, particulièrement expressives, alors que le martyr, les bras déployés, a déjà accepté son destin, et porte un regard extatique au ciel où les deux angelots grassouillets l’attendent. Cet art de la dramatisation, cette maestria dans la représentation de la variété des expressions humaines sont caractéristiques de la peinture de Le Brun et feront sa renommée tout au long de sa féconde carrière. On notera également l’intérêt que marque d’ores et déjà le peintre pour un Antique glorieux et rutilant, et qui, vingt années plus tard, épousera à merveille les desseins d’un jeune roi qui se voudra un nouvel Alexandre, et dont il deviendra Premier peintre. Cet Antique pompeux et augustéen, loin de la pudique retenue atticiste, se met ici en scène à travers de nombreuses citations : la bannière frappée d’un SPQR en lettres d’or, le faisceau de licteur qui émerge sur la droite, la statue de marbre à moitié nue qui contemple la scène avec circonspection ou encore ce cavalier chevauchant un fringant destrier dont le poitrail est recouvert d’une peau de tigre.

Une autre section de l’exposition est dédiée à un aspect singulier de la commande de peinture religieuse à Paris au XVIIe siècle et qui fut pour beaucoup dans le lancement de la carrière de nombre de peintres talentueux : la tradition des Mays de Notre-Dame. Un May était un tableau commandé chaque année par la corporation des orfèvres de Paris pour honorer la Vierge le premier jour de mai. La tradition voulait qu’on choisisse un peintre point trop fameux (peut-être pour que l’addition ne soit pas trop salée) et qu’il réalise une toile de très grandes dimensions ayant pour thème un épisode tiré des Actes des Apôtres, que l’on accrocherait ensuite dans la nef de la cathédrale, à la vue de tous les fidèles. De futurs grands noms, Le Brun, La Hyre, d’autres demeurés moins célèbres comme Boullogne ou Chéron, se livrèrent à l’exercice, faisant de Notre-Dame une véritable pinacothèque du Grand Siècle. La tradition des Mays fut abandonnée en 1708. À la Révolution, ces morceaux de peinture monumentale furent envoyés par le pouvoir jacobin dans les nouveaux musées de province crées partout en France, où ils constituent souvent la gloire des collections locales encore aujourd’hui. Des petits bouts de Paris à Toulouse, Lyon ou Marseille, la palme revenant au musée des Beaux-Arts d’Arras, qui compte dans ses inventaires quatorze immenses Mays ! Treize, heureusement, sont restés à Notre-Dame.

Philippe de Champaigne (1602-1674), Le sommeil d’Elie, 1650-1655, Le Mans, musée de Tessé.
Philippe de Champaigne (1602-1674), Le sommeil d’Elie, 1650-1655, Le Mans, musée de Tessé.

Les salles suivantes évoquent les deux grands chantiers religieux du siècle : le Val-de-Grâce et les Invalides, patronages royaux, d’Anne d’Autriche pour le premier, de Louis XIV pour le second. C’est dans la salle consacrée au Val-de-Grâce que se trouve Le sommeil d’Elie de Philippe de Champaigne (peint entre 1650 et 1655), l’une des plus belles œuvres de l’artiste et de l’exposition, autrefois dans le réfectoire de l’église voulue par la mère de Louis XIV pour célébrer la naissance de son fils. Se détachant sur un paysage peint dans des tons froids, les couleurs acides des drapés des deux personnages, rose pour l’ange, bleu pur pour Elie endormi, irréelles dans leur éclat, construisent une œuvre mystérieuse, figée, intemporelle, pleine de majesté et de sérénité. Dans ces salles, d’autres œuvres proviennent de ces vastes complexes que sont le Val-de-Grâce et les Invalides (mais rien ne remplace une visite sur place, les Invalides, et surtout le Val-de-Grâce, sont les seuls édifices religieux du Grand Siècle restés miraculeusement dans leur état d’origine).

La salle qui clôt l’exposition évoque les transformations de la peinture à la fin du siècle, qui souffre du manque d’une grande figure tutélaire, comme Paris, déserté par son roi au profit de Versailles depuis 1671. C’est une peinture entre deux eaux, plus tout à fait dans le monumental XVIIe siècle, pas encore dans le suave et vaporeux XVIIIe siècle. Cela donne cependant un art de transition avec des artistes originaux, comme Charles de la Fosse et Jean Jouvenet, qui dans des compositions toujours classiques, de construction rigoureuse, instaurent une touche plus vibrante et des teintes qui se fondent avec une plus grande harmonie.

Ce parcours passionnant dans la peinture française au XVIIe ne saurait être complet sans une visite à l’une des rares églises parisiennes qui ont conservé une partie de leur décor d’époque, tel Saint-Nicolas des Champs, non loin de Carnavalet, où l’on peut admirer l’un des derniers grands retables baroques de l’époque, orné de peintures de Simon Vouet, et où l’on se transportera encore un court moment dans ce vieux Paris de pierre et de peinture, sous le Ciel glorieux et coloré des peintres du Grand Siècle.

Un commentaire

  1. Votre leçon d’Histoire de l’art ,sur les toiles constituant l’exposition du musée Carnavalet, est remarquable !

    Merci pour cet intense moment de lecture qui nous communique une irresistible envie de voir.