Retrouvez la vidéo d’une soirée exceptionnelle avec Christine Angot à la librairie La Hune. L’auteur y a lu un extrait de son dernier roman, Une semaine de vacances (Flammarion).

La lecture a été suivie d’une conversation autour de cette œuvre, l’évènement de la rentrée littéraire 2012.

 

Un commentaire

  1. Quel est-il, ce tachiste qui dut percer à jour Van Gogh et Van Magogh pour entrer au Prado, et arrivant dans la salle où étaient accrochées Les Ménines, gronda : «Où est le tableau?»
    Nous n’avons pas attendu Madonna pour déguiser les petites filles en femmes.
    La corde au cou dans le dos du démiurge, nous, Philippe IV, ne prenons pas la pose d’un homme qu’on vient de prendre en flag.
    Nous n’étions pas censés apparaître à ceux qui étaient faits pour nous apparaître.
    Le rideau bunuélien ne prévient pas les inhibés qu’il pousse à la confrontation. Il prend son théâtre des deux côtés.
    Je n’ai jamais voulu dévisager Marguerite Thérèse d’Autriche. Qui d’entre vous n’a pas senti son propre regard irrésistiblement attiré vers sa lumière à elle, ou était-ce uniquement la lumière? Si la lumière ne résiste pas à l’Infante, comment pourrais-je lui résister, moi, que l’on doit surprendre comme un roi d’Espagne, planté dans l’ombre de son immortalisation, trompe-l’œil de Vélasquez?
    J’ai saigné des oreilles face à Christine Angot. Or ce n’est pas maintenant QUE je vais me CONvaincre que je suis de son côté; tout fils basculera du côté de son père.
    Combien de filles peuvent dire qu’elles n’ont jamais été séduites par un prof de lycée qui aurait pu les engendrer? Combien de fils peuvent dire qu’ils ont déjà été séduits par un prof de lycée dont le ventre aurait pu les porter?
    Les très jeunes hommes sont attirés par les filles de leur âge. Les très jeunes femmes fantasment en général sur l’homme le plus puissant du clan. Il n’arrive que rarement de les voir trouver ce qu’elles cherchent dans les entéléchies foutraques de leur génération.
    Le prof de lycée n’a pas droit à une seconde d’inattention au volant de son propre mobile sous l’emprise d’une gestuelle nubile qui ne prend pas la peine de dissimuler ses signaux de détresse à l’homme-objet dont elle désire le pouvoir de trancher, au point parfois de s’en scarifier.
    Je pourrais dire que la violence de ce père m’évoque dans une certaine mesure la violence du mien. Non que j’aie eu à souffrir d’un abus de ce type, mais il n’y a pas que le sexe pour vous trouer la peau. Et puis, il y a moult façons de violer son prochain, comme le laisser-faire, à l’aise! et Dieu sait si on se bousculait au portillon quand il est rarissime qu’un homme, ou une femme, ait à répondre devant la justice d’un viol de cerveau. Bon, d’accord. Ils pouvaient toujours courir, je suis inabordable, mais au fond… qu’est-ce que ça change? Ils sont restés sur leur faim, moi sur la mienne. Je ne leur ai pas donné ce qu’ils voulaient, eux pareil. Si j’avais cédé au chantage, cela m’aurait flingué. Ne jamais m’allonger m’a fait vivre ma vie un revolver dans la bouche, braqué vers l’extérieur.
    Mais je me dis que je suis la femme qui se lit, observant la distance réglementaire, la petite mère a six ans au moment où je crève l’écran, et cela m’empêche de m’arrêter là où la comparaison m’arrange. Car je me reconnais aussi, car je me reconnais d’abord sous les traits d’un homme, d’un homme faisant face au visage d’une femme, d’une femme de l’âge que j’ai eu, d’une femme qui me découvre tel que je suis à l’âge auquel je suis parvenu. Arrivé là, le principe de Heisenberg me laisse dans une incertitude partielle, autrement dit totale, sur l’effet que me fait la parole crue de ce sujet qui va et vient entre ce qu’il est et ce que l’on fait de lui, un objet sexuel, un objet de désir dont la crudité réveille ma propre crudité en deçà des deux beaux esprits dont son corps et le mien sont pourvus. Est-ce la Christine Angot d’aujourd’hui que je désire ou est-ce l’adolescente qui me saute dessus? Est-ce moi ou était-ce moi, celui qui s’est uni à la fille de quinze ans? Le lecteur ne peut parvenir à ignorer ce qu’il sait. Il sait ce qu’il sait de la femme Christine Angot, il n’est pas l’homme qui agresse sa propre fille car elle n’est pas sa propre fille qui vient lui dire, à lui et à nul autre, ce qu’il lui a fait, ce qu’il a fait d’elle.
    «Regarde-moi! Tu vois ce que tu as fait?»
    Faire une fille et en faire un grand écrivain… Démolir l’humain en préambule à tout rebâtissement… Sexe ou pas sexe, l’éducation est une entreprise de démolition. Que les pères et les mères essaient de se montrer honnêtes… l’amour détruit autant que l’égoïsme. À être irréprochable, on en devient incomparable, et nul substitut amoureux ne fait le poids comparé à un amour parfait. Celui d’un père parfait ou d’une mère parfaite. L’amour sépare de ce qui ne l’est pas. Il vous sépare de tout quand rien n’est ce qu’il est.
    Le père violeur a dû cesser d’aimer sa fille pour s’être allongé sur l’enveloppe cachetée où son âme s’écrasait. On pourrait croire que ce faisant, il lui tendait le plus beau des présents qui puissent se faire à un être que l’idéalisation de la figure paternelle avait abstrait, à la manière d’une nonne, de tout ce que le Père n’est pas. Voir Christine Angot suffit à faire la démonstration des limites de ce mauvais tantrisme. On n’oublie pas celui dont on a la tête pleine après qu’il nous l’a eu emplie lui-même.
    Il n’y a pas de solution. Alors, restons-en là. Et par là, j’entends le Ça. Tenons-nous-en à ce Là. Laissons-y enfoui ce qui n’est pas censé s’en sortir. Laissons Juliette et Roméo mourir comme il se doit. Dans la parole. Elle comprend le tabou.
    Il y a aussi des cordons ombilicaux qui vous restent coincés en travers de la gorge. Mais putain… Ça s’y était… Non, non, ça s’y était pas. Quoi? Quoi? Tu… Et la mère? Où est-elle passée, la mère? Je ne parle pas de la femme, cette mère améliorée si le père en a fait sa nouvelle épouse, l’épouse n°2 qui chez les monogames pousse dehors la N°1 pour lui piquer sa place, briseuse de couple, mais pas seulement, briseuse de famille, briseuse de paternité, briseuse de filiation que l’on ne voit finalement qu’au travers des yeux de son homme, à laquelle il nous compare, contrairement à nous, elle posséderait un sexe puant le poisson mort et un trop grand nez, – nous qui nous en faisions pour la taille du nôtre! – non, c’est la génitrice qui nous occupe, et à travers elle, ces 4L arrachées par les Scies Sans Cat de la domination masculine, – 4L ou 2 x 2L (2 pour la mère; …) – anges déçus de la condition féminine, portières verrouillées d’un amour à l’abandon avec le poil de Gaïa enfoui dans la glissière en caoutchouc accouchant d’une séparation dure, froide, invisible et plate que nulle barre de fer ne viendra plus briser. Hou, l’impuissante! Que s’était-il passé pour qu’elle vînt se figer en statut archaïque devant le Sodomite au lieu que de jeter son grain de sel entre ses incestueurs en plein d(ébat)? Nulle part la mère = Partout la mère. Mais de quelle mère est-ce que l’on (ne) parle (pas)? Celle de la fille? Celle du père?
    Le père violeur a dû cesser d’aimer sa fille pour s’être allongé sur l’enveloppe cachetée où son âme s’écrasait. Sinon. Si le père est un fils, d’une mère que l’absence envahit, que la mère de sa propre fille n’a jamais vu comme une mère devrait voir le sien, dont aucune femme au monde ne se substituera à la mère mal aimante sinon, peut-être, cette fille aux yeux noirs comme des lys liée à lui par le sang comme ne le sera jamais une étrangère quand même cette dernière la lui aurait mise au monde. Si c’est un fils plongé dans la nuit noire qui se raccroche à l’âme de sa mère aux yeux noirs comme des lys. Quoi faire? Que faire au dénouement que vous promet le renouement avec le lien filial, que vous rendez tel qu’il vous rend, indestructible?
    Le père indigne ne se borne pas à mal aimer ses enfants. Il est d’abord un homme incapable d’aimer avant de devenir ce père qui ne cesse d’être cet homme. Incapable d’aimer gratuitement, il n’y a que la méchanceté qu’il vous sert sans rémunération. Méchant, il le sera sans attendre dès lors que vous barrerez la route à ses appétits insatiables. Aimant, il le sera aussitôt que vous aurez rouvert la route à ses appétits insatiables. Mais est-ce bien cela aimer ou finalement ne faut-il voir par là que propension à aimanter tout être positif, ce sentiment de privation chronique que seules possèdent ces brutes de la nature condamnées à subir leur essence mécanique, êtres inanimés auxquels ne fut pas attribué à l’origine l’organe de volonté?
    J’ai mis longtemps avant de me pousser à défourrer d’entre ses étaux le dernier étau de celle par qui le scandale gicle. Je devais redouter quelque chose. Je redoutais quelque chose comme de l’excitation dans ce décor planté. Je redoutais quelque chose comme de l’excitation dans ce décor qui allait me planter. Et en fait, rien. Pas une amorce d’érection. De l’impuissance, d’un bout à l’autre de ce viol léthargique, inter-minable entre une fille et un non-père, un impair désemparé jusqu’à la moelle des eaux insécables, un nombre sans ombre, saturnien, dévorateur de sa propre enfant et sans doute à la recherche de la peine capitale, de l’implosion explosive, de la vengeance froide, avec minuteur clitoridien, inévitable à tel point qu’elle en paraît préméditée. Normal, elle fut préméditée. Mais pas par la main qu’on éduqua dans le sens du bon coup, fatal.
    Je n’étais pas forcé de me mettre en bouche Une semaine de vacances. L’écrivain ne vous offre que cela. Le choix de ne pas lire. Je n’ai pas fait ce choix. Bon, je mentirais en prétendant que je suis né de la même pluie, mais les confidences mutiques d’am(i/e)s victimes de sévices comparables m’avaient déjà ramené au port d’une angoisse dont je n’apprendrai pas à l’initié qu’elle se confond avec la poisse d’un désir par essence inassouvissable. Dolto avait tort. La vérité n’est pas toujours moins horrible que l’idée qu’un silence vous conduit à vous en faire. Et rien n’est plus vrai que les mots sortis de la bouche dégoulinante de sperme d’un enfant. Je n’étais pas forcé d’avaler ça, mais je n’ai pas eu le cran de m’en empêcher. La lâcheté, il faudrait vivre avec… Et puis, je crois que je lui devais bien ça. Un humain doit bien partager l’humanité en marche.
    Je me sens moche. Je me sens sec. Je ne me reconnais plus depuis quelques jours.
    Je ne suis plus le même homme depuis que j’ai violé Christine Angot.
    Je ne m’explique pas comment j’ai pu faire cela. Je l’ai fait. C’était plus fort que moi. Dès l’instant que j’avais commencé, il me fut impossible de ne pas aller jusqu’au bout.
    Ce qui me rassure et m’inquiéterait presque, c’est le fait que pas une seule fois au cours de mes visualisations de nos accouplements je n’aurai été secoué ne serait-ce que d’une crampe. Un indice, peut-être, sur le lien à saisir entre tout type de viol et l’impuissance sexuelle. En même temps, étais-je vraiment resté, ainsi que je le croyais, d’un bout à l’autre, à la place du violeur?
    Il y avait eu cette heure, une heure en toutes lettres, une heure toute en lettre où l’auteur, qui parle de lui à la troisième personne, cherche à mettre celle-ci à distance, la personne, qu’il redoute de regretter de ne plus être au cas où elle aurait accompli quelque chose prête à combler en lui un manque grandissant, l’heure où le père, à qui elle avait fait promettre de ne rien faire avec elle de sexuel durant la totalité de la journée suivante, ce père, il allait enfin devenir ce qu’il était pour elle en échange de ce qu’elle avait accepté d’être pour lui, cet enfant de salaud, donc, vient l’arracher à son sommeil profond. Depuis ces lignes jusqu’au dernier point, je suis resté de son côté à elle. Rien ne put m’attirer du côté masculin de la malédiction après que je m’étais revu, arraché aux genoux de ma mère pour me traîner jusqu’à la Quatre Sans Quatre au bout d’une fête soporifique à trente bornes de chez nous, et réveillé une seconde fois sur la banquette arrière, d’un claquement, suivi d’une suite de frottements et froissements sur mon corps engourdi englouti par les couvertures de mon rectangle inviolable. Sauf que là, je suis sûr que j’ai vu Hitchcock. Un couloir entre deux chambres. Un couloir entre deux lits. Un couloir entre une fille et son putain d’homme de père. Un cordon ombilical antinaturel vers une renaissance monstrueuse. Les fois précédentes, je savais que c’était dégueulasse, mais je le savais intellectuellement, c’est toute la puissance démoralisatrice du sexe. Les descriptions cliniques trop justes pour qu’elles n’aiguillent pas la rêverie lecturale sur leur voie hypnotique. Le sexe, trop adulte. Sexe trompeur au corps d’une enfant qui va reprendre ici l’intégralité de ses droits au moment où les soubresauts de la banquette arrière de la voiture m’emportant vers mon lit s’accompagnent d’un déshabillage complet dans la froidure d’une nuit phallique, et d’un refroidissement du froid, comme si cela ne suffisait pas, par humidification de ma peau sans défauts à coups de langue savante.
    J’aimerais tant pouvoir échanger ma place avec ma chère María de Sotomayor, défixer mon mental dedans la fillette dévisagée, défiger mon propre visage, en arracher les nerfs de marionnette, alors, il va me falloir convertir point par point la géométrie de l’inceste, me traduire maux pour maux la demoiselle qu’on honore en demoiselle d’honneur, la mi-naine en Ménine car en l’espèce, ma petite dame d’atour est la vraie reine de nous deux, ma confidente, celle qui se moque bien du fait que le monde entier nous reluque, celle qui se confie à moi comme si personne ici n’avait aucun moyen de pénétrer la bulle d’intimité où elle m’a fait entrer. Pour commencer, je dois remplacer la mémoire de la sensation par la mémoire du sentiment, l’empire des sens par le royaume du sens. Nommer l’innommable. Le trauma est un Minotaure. Il faut reparcourir le labyrinthe à l’envers, sans oublier un geste, se rappeler tous les gestes dans les moindres détails, une seule erreur et c’est foutu, on reste coincé dedans jusqu’à ce que mort s’ensuive, chaque geste, chaque direction, chaque inflexion, chaque inclination, tout doit revenir, tout doit se rendre, se vomir, se sortir, de ce ventre qui nous a tout pris, qui nous a pris en lui, le forcer, à recracher ce poisson de l’enfer. Me remettre en scène. Me remettre en somme. Et m’omettre en obscène. Tout redire. Tout comme. Tout. Comme l’avait fait la créature à laquelle fut confié le soin de nommer tous les états de la sauvagerie prise au piège du réel avant elle. Elle, qui aura été faite entre autre dans ce dessein. Elle, qui aura été faite dans le dessein de nommer entre autre celui qui l’avait précédée. De lui donner le nom qui le définit au travers Du Monde sous lequel il se cache. Le Monde qui le révèle, car ce FRANCOcentrique EST MORT à cette étrangère qui attendait autre chose de lui qu’un esclavagiste, car cet ÉMILE AJAR n’est pas l’auteur magnifique des jours de la petite splendeur de création sur l’isolement de laquelle tous les regards se braquent s’il ne partage avec personne ce privilège d’un tête-à-tête public entre un père et sa fille. Il me faut mots dire comme autant de coups de verge détournant sur ma cuisse les pensées de ce corps en retrait, – les pensées chez Évagre sont toutes à bannir de l’espace monachique, dans mon cas, le salut ne consistera pas à chasser hors de soi toute impression pouvant nous détourner de Dieu en nous attirant vers le monde terrestre, non, je ne m’acharnerai que sur la cataracte des sensations rétives à la substitution qui me séparent de ce dernier. – Elle, la sensation toujours présente, non plus remplacée par une sensation confondante, mais par une autre essence de la même sensation confuse, l’essence des mots qui eux, pour moi, éprouveront la douleur. Elle meurt, et laisse revenir au corps l’autre fille, celle qui n’est pas elle, celle qui a un autre corps, celle qui a un père en creux, celle qu’arrache au trauma le coup de verge de Benoît de Nursie, celle qui dit sa propre Règle, celle qui en devient aussi vierge que les trous de lumière d’une page intensément noircie, une fille, comme toutes les autres, sur laquelle se porte le regard des puceaux : Christine Angot.