« Avez-vous déjà giflé un mort ? » demandait Aragon à propos d’Anatole France.
Je pose une question du même genre : Avez-vous déjà giflé un journal ? Non ? Moi non plus. Mais j’aimerais bien.

Explication. Le 20 septembre dernier, neuf jours après l’assassinat à Benghazi de l’ambassadeur américain en Libye, le quotidien arabophone algérien Ennahar (Le Nouveau Jour), connu pour ses sympathies islamistes, publiait une photo où nous étions, BHL et moi, en compagnie du dit-ambassadeur, photo prise un an et demi plus tôt à Benghazi. La photo était légendée ainsi : l’ambassadeur américain avec BHL et Sam Bacile. Sam Bacile ! l’auteur du film islamophobe « L’innocence des musulmans », ce brûlot infect sur le prophète de l’islam, qui venait de mettre le feu au poudre dans le monde musulman. Sam Bacile, c’était votre serviteur, moi.

Le lendemain, l’ambassade américaine à Alger protestait officiellement. Ennahar, par la voix de son directeur de la publication, Anis Rahmani, reconnut une « confusion » (Vous avez dit « confusion » ? C’était un mensonge délibéré sur les personnes, doublé d’une ignominie politique) et déclara en substance : « Bon, d’accord, le type sur la photo n’était pas le salopard Sam Bacile mais un journaliste de Libération ». Léger mieux dans le n’importe quoi : je n’étais plus « Sam Bacile ». Mais ce n’était pas encore tout à fait ça, et le plus beau fut que Libération lui-même publia cette rectification telle quelle, sans se demander qui était son soi-disant journaliste-maison !

Mes amis, qui, bien entendu, m’avaient tous reconnu sur la photo, m’ont appelé, les uns se marrant, les autres vaguement inquiets. Des fois que tout le monde, ici ou là, n’ait pas lu le rectificatif d’Ennahar, je ne suis pas monté d’emblée au créneau, mais je ne voulais pas non plus laisser tomber. Car les trucages de ce genre, un peu mieux fichus, pourraient, demain, finir en tragédie.

Ici, c’en est resté au mauvais gag. Gag pour gag, voici un petit billet à l’attention de mes nouveaux amis de Ennahar, qui ont voulu faire de moi un type mondialement connu. Alors, à tout prendre, autant, s’il doit y avoir une prochaine fois, qu’ils fassent, cette fois, bien les choses, je veux dire à mon avantage. Ne me mettez pas, s’il vous plaît Messieurs, de nouveau dans la peau d’un dingue, d’un salaud ou d’un assassin.

Oui, il faut le leur reconnaître, mes amis algériens du journal Ennahar ont fait fort. Je me savais ne pas être une très grande star du porno, un parfait croyant en Krishna, un éleveur de Kangourous éthiopiens. Mais je n’aurais pas imaginé me retrouver un beau jour dans la peau d’un Copte de Los Angelès déconnant à pleins tubes sur Mahomet. Le problème, en vérité, est que je ne suis pas assez connu en Algérie, et qu’un journal qui n’a pas froid aux yeux peut m’y faire passer pour n’importe qui, extrémistes débiles compris.

Pourtant, pour peu que vous eussiez, chers journalistes de ce noble quotidien, été moins empressés à bidonner un mega-scoop assez puant, et que, appliquant une déontologie minimale, vous eussiez tenté d’identifier le troisième homme sur la photo, j’avais quelque modeste titre à ne pas être assimilé sans autre forme de procès à un ennemi dingue de l’islam, mais bien plutôt à être traité comme un ami, serait-il ancien, du peuple algérien. Figurez-vous, chers amis d’Ennahar, si, donc, vous aviez tenté de vérifier vos sources, que vous auriez peut-être découvert (voire même, qui sait ?, dans vos propres archives…) qu’il y quinze ans, au pire moment de la guerre civile qui ravagea votre pays, BHL et moi-même, venus à Alger de notre propre chef, étions allés recueillir les témoignages des survivants dans deux villages de la Mitidja, Rais et Bentalha, proches de la capitale, où des centaines de personnes, femmes et enfants compris, venaient quelques heures plus tôt d’être massacrés par les terroristes islamistes du GIA. Nous étions bien seuls, et, dans mon souvenir, il me semble qu’il n’y avait aucun journaliste d’Ennahar sur place… La presse algérienne (vous-mêmes peut-être, chers amis ?) s’était faite l’écho de notre témoignage.

J’aimerais bien, chers amis d’Ennahar, s’il doit y avoir récidive dans le surréalisme journalistique en Une de votre journal qui n’a pas froid aux yeux, que vous me fassiez, histoire de réparer votre vilénie, passer pour un plutôt chic type. Genre, par exemple, vedette danoise de patin sur glace dans les années 1910. Ou encore, dans une photo entre Moïse, Jésus et le Pape Benoit 228, pourquoi pas me faire passer pour le Mahatma Gandhi, pour qui j’éprouve une admiration sans limite, ce qui serait l’occasion inespérée de le lui faire savoir. Sauf, direz-vous peut-être, que la Grande Ame, par-dessus la boîte crânienne où elle avait élu domicile, était chauve, que je ne vais pas nus pieds, que je m’emmêlerais à l’envers dans un sari et que ses bésicles à lui ne venaient pas de chez Afflelou, alors que mes lunettes si.
Mais gageons, chers amis d’Ennahar, que vous ne vous arrêterez pas à ces mini-détails, et vous aurez bien raison. Un scoop est un scoop, oui ou merde ?

J’oubliais. Parallèlement à ce mauvais gag photographique, se diffusait sur Internet que BHL aurait, il y a des années de cela, comploté avec tout un groupe sans foi ni loi à sa solde, afin de renverser le gouvernement irakien. Mais non, Messieurs, pas du tout, du tout ! Vous vous trompez complètement. BHL n’était pas en Irak, il n’était même pas en France. Il était sur la planète Mars, où il espionnait les cratères rouges pour le compte du Sdece, du MI 6, du Mossad et de la CIA réunis. Vous ne me croyez pas ? Ce n’est pas moi qui le dis. C’était écrit noir sur blanc dans le journal Ennahar de l’époque, qui, une fois n’est pas coutume, disait alors la vérité. Ces heureux temps ont bien changé, et Ennahar, hélas, n’est plus ce qu’il était.