Un grand cinéaste peut-il faire un mauvais film ? C’est la question que pose le dernier film de Stephen Frears, « Lady Vegas », sorti, sans grand battage, au milieu de l’été.

Histoire calamiteuse, rythme poussif, acteurs, à l’exception de l’épatante Rebecca Hall, au pire de leur forme – Bruce Willis et Catherine Zeta-Jones jouent carrément faux –, réalisateur aux abonnés absents, on se demande comment une telle chose a pu se monter.

Certes, on voit bien l’idée qui a pu inspirer les producteurs : tenter de rééditer le succès du précédent film de Frears, « Tamara Drewe », avec l’incroyable Gemma Aterton dans le rôle-titre. Même type de personnage féminin qui tient le film à lui tout seul : une grande naïve qui « dit tout haut ce que les autres pensent tout bas » vient bousculer un milieu accroché à sa propre hypocrisie en mettant les pieds dans le plat. Même ton de comédie « doux-amer ». Même caractère documentaire dans la description du milieu.

Différence notable toutefois, tout cela ne se passe pas dans une société anglaise que Stephen Frears connaît comme sa poche mais très loin de son univers, à Las Vegas, chez des bookmakers pas très nets. Différence aussi : le budget (considérable) et le casting, fait de champions du box-office.

On se dit : tous ces gens ont dû arriver au tout dernier moment pour remplacer l’équipe initialement prévue. Stephen Frears, appelé en pompier de secours pour sauver un film dont l’histoire ne lui correspond pas. Bruce Willis, collé dans un rôle qui n’a visiblement pas été écrit pour lui : il est censé être new-yorkais et parler quelques mots de yiddish, ce qui ne lui va pas vraiment comme un gant ! Catherine Zeta-Jones, imposée dans un second rôle où elle rame pour exister.

On se pose, bien sûr, la question : ils l’ont donc fait uniquement pour l’argent ?

On se demande : tout cela pour sauver le soldat « Lady Vegas » dont le scénario avait dû coûter bonbon puisque tiré d’un best-seller lui-même inspiré d’une « histoire vraie » ?

Et on en conclut que, malgré tous ces subterfuges, cette histoire ne fonctionne pas et que « Lady Vegas », au-delà du nanar qu’il est, restera dans la filmographie de cet immense cinéaste qu’est Stephen Frears comme son plus mauvais film.

Un (très) bon cinéaste peut-il donc faire un mauvais film ? Et, doit-on le dire ?

Plus généralement, un grand écrivain peut-il écrire un mauvais livre ? un grand musicien enregistrer un mauvais disque ? Et un grand peintre livrer une croûte ?

Beaucoup d’inconditionnels répondront que c’est impossible et que dans un pays comme la France, qui a inventé l’idée même de l’ « auteur » et surtout la fameuse « politique des auteurs », chère aux Cahiers du Cinéma période Truffaut, Godard, Rivette, Rohmer, une telle idée est inadmissible.

Un cinéaste refaisant inlassablement toujours le même film – le sommet ayant été atteint par des cinéastes comme Howard Hawks ou Léo Mac Carey qui faisaient eux-mêmes les remakes de leurs propres films –, un cinéaste estampillé « grand » ne peut que faire ad vitam aeternam de grands films. Et si le critique trouve une de ses œuvres, mauvaise, c’est qu’il se trompe et que l’histoire lui donnera tort.

Pourtant, nombreux sont les exemples de mauvais films faits par de «grands auteurs » qui restent, des décennies plus tard, toujours aussi mauvais. On citera, à titre d’exemples, « L’Homme sans Age » de Francis Ford Coppola, « Par-delà les Nuages » de Michelangelo Antonioni, ou « Dr.M »  de Claude Chabrol, un spécialiste en « ratages ».

On citera même le cas, c’est plus rare, d’un « grand cinéaste » devenu (inexplicablement ?) mauvais : Wim Wenders, star des années 70-80, qui ne commet plus que des navets.

Alors pourquoi ?

Peut-être parce que l’inspiration d’un artiste n’est pas permanente, que la paresse peut gagner ou que la vie de certains les poussent à s’égarer, sous la pression de mauvais producteurs ou d’un mauvais entourage. Après tout, il ne s’agit que d’êtres humains et l’homme (ou la femme) est influençable et fragile.

Mais cela pose aussi une autre question : faut-il le dire, au risque de ruiner la carrière d’un cinéaste alors qu’il ne s’agit, le plus souvent, que d’un faux pas ? Ou faut-il le cacher, pour ne pas détruire la confiance qu’un cinéaste, comme tout artiste, doit avoir en lui pour faire de grandes choses ?

C’est une question morale à laquelle la lâcheté de beaucoup (critiques, sélectionneurs de Festivals, producteurs,…) ne résiste pas.

Mais il nous semble que le respect que l’on doit à un auteur impose de lui dire la vérité et que lorsque quelqu’un s’égare, comme dans la vie, il est préférable de le lui dire.

La carrière du réalisateur de « My Beautiful Laundrette » et des « Liaisons Dangereuses » mérite mieux que « Lady Vegas ».

S’il ne s’agit que d’un simple accident, nous l’aurons très vite oublié.

 

* « L’oeil du loup », le blog de François Margolin, sera lancé sur le site de La Règle du jeu très prochainement

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