Qui n’a pas mesuré, à la fin de l’été, dans le cœur ou dans le ciel, ce soudain voilement de la clarté, cette altération, cette fragilité où, jusqu’alors, tombaient à foison des boisseaux de lumière pas même aperçue, indifférent qu’on était à ces jours trop légers, trop faciles, gratuits, des vacances – qui n’a pas senti, alors, le temps s’amenuiser comme les derniers grains du sablier, et le regret si peu souriant serrer le jeune cœur qui apprenait là, déjà, tout ce qu’il y avait à savoir du malheur, tellement simple, d’une connaissance plus aisée que toute autre chose au monde –

Qui n’a pas la mémoire étreinte d’un tourment à l’affreux mot de rentrée, qu’il sorte ; sans conteste, il n’a pas sa place dans ces lignes.

C’est qu’il s’est agi de vivre – l’école, jamais, n’a su ;  moins que jamais quand elle prétendait y complaire.

Vivre, aussi, fut la tâche que se donnèrent, bardés de leurs défauts comme nos contemporains le sont de leurs diplômes, quelques uns parmi les plus grands qui élevèrent si haut (trop haut, sans nul doute, puisqu’ils se rendirent à la fin un culte à eux-mêmes)  le mot, somme toute bien maigre, de littérature. Vivre, alors, pouvait se promettre dans cette porte grinçante, un peu abîmée, où chez un zélote (je dis le libraire), un plus ou moins jeune écolier venait fuir les jours normaux qui, inlassablement, trahissaient le vivre. Et quand même on répétait avec quelque naïveté « La chair est triste, hélas, et j’ai lu tous les livres ! », la brise marine continuait de souffler dans les pages qu’on tournait, promettant à un demain si proche, beyond the hills, le jardin où retrouver la lumière inviolée.

Mais l’école ne l’entendait pas de cette oreille ; l’école, l’école des faits humains qui sont traités comme des choses, l’école toujours plus obscure, toujours plus tyrannique quand elle devenait plus compréhensive, plus pédagogique, marquant de ses griffes de mort les esprits, toujours souples et dociles, qu’on n’éveillait, qu’on ne formait plus alors plus qu’à eux-mêmes, l’école avait décrété qu’elle aimait la littérature ; et dès lors cela advint : là, chez les anglo-saxons, on apprit à devenir écrivain ; et ici, dans le pays de Colbert et de Louis XIV, on sonna tardivement, en sus du glas de la rentrée, une marche funèbre, pompeuse, cérémoniaire et vaine comme le Te Deum de Charpentier – la rentrée littéraire.

C’est un peu du funeste, de la véritable morbidité de notre temps qui se dit dans cet oxymore, vous ne trouvez pas ? La rentrée littéraire. Proust, Balzac, Chateaubriand, pour ne pas dire Goethe, Nerval, et moins encore Hölderlin, ou Dante, ou Shakespeare – bref, tous ceux qui faisaient fulminer cette insurrection de la lumière devant nos gosiers assoiffés, aux portes des libraires – que fussent-ils devenus, si tout autour d’eux, avec cette gaîté morne des commerçants journaliers et des journalistes vendeurs – les rabatteurs de la cour, ce néant récréatif – on avait sonné les cloches de la rentrée littéraire ? Allez, mes petits, sortez vos copies, c’est la rentrée ! Si l’on avait exigé de Cervantès ou de Keats qu’ils s’exécutassent, ainsi qu’on le requiert de Mme de Vigan ou de Mlle Nothomb ? Fussent-ils devenus autre chose, après tout, que les estimables auteures susnommées ?

Réclamez de l’homme, exigez de l’homme, avec des sourcillements jansénistes et des indignations progressistes, qu’il soit ceci, seulement : le bon élève, en formation continue, cultivant ce jardin de soi que le hideux sourire nous invite, depuis les bancs du lycée, à lisser ; un médiocre, donc ; exigez qu’on juge ringards, outrés, réactionnaires les vieux mots de beauté, de génie et de débordement ; vous avez à la fois le plus catholique, c’est à dire le plus universel, et le plus laïque des ordres du monde, définitivement mué en cette cour, d’école républicaine et  de parade monarchique, sous les regards bienveillants des jésuites et des combistes, où, sagement, tremblant sur les plateaux des télévisions sous les regards de son éditeur comme un élève trop poli un jour de grand oral, le dernier héritier de la littérature vient la trahir, puisqu’il vient trop tard, après la vie, et expier, s’il fut honnête, l’espoir qu’il avait mis dans les mots.

Formons un vœu, voulez-vous ?

S’il reste en vous, lecteur, le soupçon d’un souvenir, oui, des jours funestes de la rentrée et de l’espoir de vivre, ne laissez pas ce crachat verbal (dans la cour de l’école, on appelle ça un molard) traverser vos lèvres, sinon pour le nier, et dites avec moi

qu’il n’est pas de rentrée littéraire.