En 2008, Louis-Georges Tin, fondateur de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie, avait demandé à Rama Yade, alors secrétaire d’État aux Droits de l’Homme, de porter aux Nations Unies une déclaration pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité. Décembre 2008, ce fut une première historique.

Cependant, quatre années plus tard, force est de constater que la situation a peu évolué : environ 80 pays pénalisent encore l’homosexualité, et sept appliquent même la peine de mort… Pour s’élever contre ce qu’il perçoit comme un « scandale majeur », Louis Georges Tin, président du Comité IDAHO, a entamé, le 25 juin 2012, à dix heures précises, une grève de la faim, avec deux autres membres de son organisation. Son objectif ? Rappeler au Président Hollande ses engagements, aujourd’hui reniés par le Quai d’Orsay.

 

Louis Georges Tin, cela fait désormais plus de quinze jours que vous avez entamé une grève contre la faim. Comment vous portez-vous ?

Faiblement. Très faiblement. J’ai perdu 14 kilos, et je ressens des douleurs dans tout le corps, comme mes amis. Mais nous continuons notre grève pour protester : le nouveau président, que j’ai rencontré personnellement le 10 mai dernier, s’est engagé à porter dans l’année une résolution aux Nations Unies pour une dépénalisation universelle de l’homosexualité, ce qui implique qu’on l’annonce officiellement et qu’on s’y emploie au plus vite. Mais le Quai d’Orsay s’y refuse.

Derrière cette initiative, quels objectifs politiques poursuivez-vous ?

Notre objectif est clair : faire adopter une résolution sur la dépénalisation universelle de l’homosexualité. Nous avions poussé la France à présenter une déclaration sur ce sujet, en 2008, avec Rama Yade, à l’Assemblée générale des Nations Unies. Ce fut une première absolue. Mais il faut maintenant un texte plus contraignant, une résolution, qui mettrait hors-la-loi les pays qui pénalisent. Il y en a tout de même plus de 70 dans le monde !

Votre grande inquiétude, on l’aura compris, serait une victoire du républicain Mitt Romney aux prochaines élections américaines…

Oui, avec les élections présidentielles en novembre, il y a un risque que les républicains l’emportent, et l’on connaît déjà leurs positions peu favorables à la lutte contre l’homophobie. Mais même si Barack Obama gagne, Hillary Clinton a déjà annoncé qu’elle quittera ses fonctions de secrétaire d’État, et il y a peu de chances que l’on retrouve à ce poste une personne aussi engagée qu’elle sur ce sujet. Par conséquent, en novembre, la situation sera moins bonne, ou plus mauvaise. Le moteur américain sera affaibli ou cassé. Or, pour faire passer une telle résolution, le soutien des États-Unis, et d’Hillary Clinton en particulier, est absolument indispensable. C’est pourquoi il faut agir maintenant. Ceux qui estiment qu’avancer est risqué ont tort : le danger, c’est l’immobilisme.

Que répondez-vous aux personnes qui vous accusent d’en faire trop alors même qu’en France les homosexuels seront prochainement autorisés à se marier ?

Je suis heureux de pouvoir me marier prochainement avec mon compagnon. Mais je ne suis pas certain que cela change grand chose à la situation de celles et ceux qui croupissent dans les prisons de l’homophobie, de la haine et de l’intolérance. Que veut-on que je leur dise : « S’il vous plaît, je me marie, pourriez-vous crier moins fort ? Vous gâchez la fête » ?

Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas plus de mobilisation sur ce sujet, que ce soit au niveau du gouvernement ou dans la société ?

Comme la plupart des minorités, vous savez, les homosexuels intéressent moyennement les gens. Alors les homosexuels noirs et arabes… Vous voyez ce que je veux dire. L’indifférence tue. Celle du Quai d’Orsay en particulier. A l’époque de Rama Yade, nous avions une diplomatie active et offensive ; depuis lors, c’est une diplomatie en déclin sur les questions gaies et lesbiennes. L’attitude dominante du Quai d’Orsay se résume en trois mots : frilosité, suivisme et attentisme.

Concrètement, quelles difficultés rencontrent encore lesbiennes et gays en France, en 2012 ?

Selon les chiffres du ministère de la santé, plus de 800 jeunes, chaque année, se suicident à cause de l’homophobie sociale. C’est un sujet majeur, sans parler des dépressions, décrochages, échecs scolaires, jeunes chassés de chez eux, etc. On parle beaucoup du mariage et de la filiation, et ce sont des avancées importantes, j’en conviens, mais je regrette qu’on laisse de côté toutes ces autres questions, qui sont tout simplement des questions de vie ou de mort, en France, comme ailleurs.

Selon vous, sensibilise-t-on assez les jeunes générations à la lutte contre l’homophobie ?

A l’évidence non. Rien dans les programmes scolaires, rien dans les cours, ou presque. Quelques associations tentent, sans grand moyen, de suppléer aux déficiences de l’éducation nationale en organisant des interventions en milieu scolaire, ici et là – quelques gouttes d’eau dans l’océan. La grande refondation lancée par M. Peillon tout récemment a présenté ses pistes de travail dans un document riche de 20 pages : pas un mot sur les discriminations, et encore moins sur l’homophobie. Nos jeunes dépriment et meurent dans l’indifférence générale.

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